Intervention de Christian Saint-étienne

Réunion du 21 novembre 2013 à 9h15
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Christian Saint-étienne, économiste, professeur titulaire de la chaire d'économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers :

En Allemagne, cela a globalement fonctionné. Contrairement à ce que prétendent de nombreux économistes, le gain de compétitivité obtenu par l'Allemagne ne s'explique pas par les réformes Hartz, mais par l'instauration de la TVA sociale et par les mesures prises entre 1998 et 2004 pour réduire la charge fiscale pesant sur les entreprises. Aujourd'hui, l'écart de charges fiscales et sociales entre la France et l'Allemagne équivaut à six points de PIB. Or l'écart de marges entre les entreprises françaises et allemandes est du même ordre. La réforme que je propose permettrait de réduire, en un seul coup, cet écart de près d'un tiers – entre 1,6 et 1,7 point de PIB. Elle serait puissante, non seulement en raison de ses effets directs sur la compétitivité, mais aussi parce qu'elle ferait basculer une partie du poids du financement de la protection sociale sur les importations.

Certes, mes collègues diraient qu'à moyen et long terme, une telle réforme ne changerait rien. C'est vrai dans une économie fermée, mais le basculement de certains coûts sur les importations est bien un élément de compétitivité à court terme.

Il n'existe pas de réponse objective à la question que vous posez de l'effet sur l'emploi du mécanisme évoqué. Permettrait-il de créer 200 000, 300 000, 400 000 emplois ? Personne ne peut le dire. Je pense en tout cas qu'il pourrait en sauver beaucoup.

La suppression de la part patronale des cotisations familiales équivaut à une baisse de charges de 35 milliards d'euros. Si on y ajoute les 15 milliards d'euros résultant de la transformation du CICE en mécanisme d'exonération, on obtient 50 milliards d'euros, soit la moitié de ce que représente l'écart de compétitivité – se traduisant en écart de profitabilité – entre les entreprises françaises et allemandes. Or si l'État fait un effort suffisant pour réduire cet écart de 50 %, ce sera aux entrepreneurs de faire le reste.

Pour être efficace, il n'est donc pas nécessaire de parler de « remise à plat » de la fiscalité, comme l'a fait le Premier ministre pour réaliser un coup politique. Il suffit de prendre la décision que j'ai évoquée : suppression des cotisations patronales finançant la branche famille et financement de la branche santé par la CSG. Ce serait déjà une modification significative du système fiscal, bénéficiant de surcroît aux outsiders et favorable à la compétitivité. Et compte tenu des effets d'une telle réforme sur la production, les entreprises devraient, en contrepartie, s'engager à développer l'apprentissage et la formation en alternance, mais également en matière d'investissement. Une telle politique pourrait donner des effets puissants en deux ou trois ans.

Nous disposons, pour l'engager, d'une fenêtre de tir limitée à environ six mois. En effet, dans une période marquée par un risque de déflation, une augmentation de TVA à hauteur de trois points ne poserait pas de problème. En outre, nous sommes en début de phase de reprise, un moment où il est particulièrement utile de redonner de la compétitivité aux entreprises qui vont bénéficier d'une demande extérieure importante.

D'ailleurs, ce n'est pas la demande qui a manqué aux entreprises françaises au cours des dix dernières années – car si l'on excepte les années de crise, la demande mondiale a fortement augmenté pendant cette période. Le phénomène essentiel est l'effondrement productif : notre économie a atteint son dernier point haut – en termes de parts de marché dans les exportations comme selon d'autres critères – vers 1998 ou 1999. Au cours des quinze dernières années, la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB a baissé de 30 % et la part des exportations françaises dans les exportations mondiales, de 43 %. Le secteur productif a donc subi un choc d'une violence inouïe. Le CICE a constitué un premier signal, mais une réforme globale comme celle que j'ai évoquée pourrait nous entraîner dans un nouveau cycle, et après quinze années pendant lesquelles la production a chuté, nous faire connaître dix ans de hausse. Le moment est idéal pour agir, en raison du risque de déflation.

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