Intervention de Bertrand Fragonard

Réunion du 21 novembre 2013 à 9h15
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille :

Depuis le décret de juin dernier qui a refondu ses missions, le HCF a perdu la compétence que lui avait attribuée le décret d'octobre 2008 en matière de financement. Sa seule mission est désormais de réfléchir à l'avenir financier de la branche. Il est vrai que le haut conseil n'a jamais pu exercer la compétence plus large qui lui avait été initialement attribuée, à savoir réfléchir sur la nature des recettes, en raison à la fois de la publication du rapport de M. Yves Bur sur le financement de la branche famille et de la création du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFi-PS).

Le HCF se préoccupe donc de l'équilibre financier de la branche : l'essentiel de sa compétence consiste à réfléchir aux besoins financiers de la politique familiale.

La seule position officielle adoptée par le haut conseil a porté sur le niveau et le dynamisme de la recette : à ses yeux, en cas de changement d'assiettes, il faut, d'une part, respecter le principe de la compensation pour ne pas affaiblir le potentiel financier de la branche, et, d'autre part, vérifier régulièrement que les recettes qui seront éventuellement substituées aux cotisations patronales auront le même dynamisme de moyen terme. J'ai transmis à Mme la présidente du HCFi-PS la position unanime sur ces deux points des membres du haut conseil, le MEDEF mettant toutefois plus l'accent sur la baisse des cotisations patronales, sans prendre position contre la position du haut conseil.

Certes, l'affectation à la branche famille de 1 milliard d'euros résultant du plafonnement du quotient familial fait bouger en direction de l'impôt sur le revenu (IR) la ligne de partage des recettes entre cotisations, CSG et impôt, mais c'est de manière peu spectaculaire. J'ai transmis aux membres du haut conseil une note sur les mesures de transfert et d'ajustement prévues dans l'article 15 du projet de loi de financement de la sécurité sociale : je n'ai jusqu'à présent été saisi d'aucune observation ni de demande de débat, ce qui pourrait laisser à penser – c'est une hypothèse – que les membres du haut conseil considèrent que le redéploiement opéré dans le cadre de l'article 15 ne contrevient pas à l'idée d'une compensation honorable dont le principe avait été retenu par le Conseil constitutionnel il y a quelques années. C'est d'autant plus remarquable que les partenaires sociaux et les mouvements familiaux sont d'ordinaire inquiets de l'obscurité qui accompagne habituellement tout mouvement brownien affectant les recettes – vous devez le savoir pour avoir auditionné le président de l'Union nationale des associations familiales (UNAF). Je tiens à souligner que, lors du transfert de 0,28 point vers la CSG, le haut conseil avait dénoncé le fait que les recettes affectées, équilibrées en début de période, étaient par la suite destinées à fléchir. Le Conseil constitutionnel a du reste par la suite rappelé qu'il ne convient pas d'affaiblir le potentiel de la branche famille.

Toutefois, alors que, selon les prévisions actuelles, la branche famille est en déficit pour quelques années encore, les décisions sur la reprise de sa dette permettront de la soulager : un apport substantiel de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) est en effet prévu en 2016 et en 2017. La dette que la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) serait amenée à rembourser à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) serait dès lors limitée à quelque 5 milliards d'euros, dans le cadre, évidemment, des prévisions financières actuelles sur la période 2014-2018 – celles-ci peuvent naturellement évoluer. La branche famille reviendra à l'équilibre puis à l'excédent plus rapidement que si elle avait dû assumer directement sa dette.

Quant à la baisse de 0,15 point de la cotisation patronale, elle est compensée exactement par un jeu de recettes.

Il convient de distinguer les réflexions sur la nature de la recette de celles sur le niveau de celle-ci.

S'agissant de la nature de la recette, la tendance actuelle est de réfléchir à la baisse des cotisations patronales : tous les scénarios envisagés comprennent une telle baisse, qui répond à une double motivation, l'une doctrinale, l'autre d'opportunité économique.

Sur le plan doctrinal, il convient de déterminer s'il est possible de déduire de la nature de la dépense la nature idéale de la recette – ce qui rejoint la question, assez ancienne, de l'assiette idéale du financement de la branche famille. Ne serait-il pas plus logique de financer la branche famille par des impôts de solidarité nationale que par des cotisations professionnelles ? En effet, d'une part, les prestations sont généralisées depuis 1976 – les prestations augmentant même de manière inversement proportionnelle à l'activité professionnelle – et, d'autre part, les prestations sont déconnectées du salaire qui sert d'assiette à la cotisation – il en est de même de la branche maladie. La seconde motivation, c'est la baisse du coût du travail grâce à l'allégement des cotisations sociales, l'instrument idéal étant la baisse des cotisations patronales à la branche famille. Les analyses, surtout des organisations patronales, convergent donc en ce sens, alors même que personne ne sait à l'heure actuelle si une telle baisse des cotisations patronales se traduirait par un abaissement du coût du travail ou par des transferts entre branches.

Le récent rapport de l'HCFi-PS évoque cette option qui appelle, à mes yeux, quatre observations.

Premièrement, sur le plan de la doctrine, il faut rappeler que les solidarités nationale et professionnelle se croisent : l'entreprise n'est pas indifférente à la politique familiale. La Cour des comptes précise dans son rapport que le financement de la branche famille doit conserver un socle de cotisations patronales parce qu'une partie des prestations participe à l'amélioration de la conciliation de la vie professionnelle avec la vie familiale. Les chiffrages de l'UNAF ou de la CNAF conduiraient d'ailleurs à une diminution des cotisations patronales très supérieure à ce qui est actuellement envisagé. De plus, pour passer d'une telle conception, somme toute arbitraire, à une analyse factuelle, il conviendrait de décomposer l'ensemble des prestations pour distinguer celles qui ont un lien avec l'entreprise de celles qui n'en ont pas. Où situer, par exemple, la part des recettes qui financent les droits familiaux de retraite ? Les entreprises, faut-il le rappeler, sont indissociables de la construction des recettes. Conviendrait-il de laisser aux cotisations patronales la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) et tout ce qui concerne les modes de garde des enfants ? Ou le congé de paternité ? Ou encore les centres de loisirs sans hébergement (CLSH) ? Une telle piste de réflexion ne me semble pas très productive – je le dis à titre personnel. Toutefois, le HCF pourrait toujours étudier, à la demande du Premier ministre, une hypothèse de reclassement des prestations sur un tel critère.

Deuxièmement, l'option, même compensée, de la baisse des cotisations patronales est contestée par les partenaires familiaux, qui voient dans le glissement vers la budgétisation une double menace. La première concerne la gouvernance : les points de cotisation et leur affectation sont vécus par les partenaires familiaux comme une sécurité alors que le jour où l'État deviendrait le financeur principal, il n'aurait de cesse de baisser le potentiel financier de la branche famille. À mes yeux, cette crainte n'est pas fondée puisque le taux actuel de la cotisation patronale n'offre pas de plus grande sécurité juridique et politique qu'une décision du Parlement. La seconde menace, c'est de voir l'État évincer les partenaires sociaux de la gouvernance de la branche, leur participation au conseil d'administration étant liée, à leurs yeux, à la nature de la recette. Encore faudrait-il pouvoir mesurer le pouvoir réel des partenaires sociaux dans la branche famille : or celui-ci est menu. L'histoire des cinquante dernières années montre que le pouvoir de décision a appartenu au Gouvernement, puis au Parlement, la chronologie des débats du conseil d'administration de la CNAF révélant qu'il n'est saisi que lorsque les décisions sont déjà publiées. Du reste, les partenaires sociaux n'attendent pas la délibération de la CNAF pour discuter des enjeux : ils le font en amont.

Troisièmement, de nombreux partenaires sont partisans d'un recours à la CSG en raison de l'universalité des prestations – toutefois, la non-familialisation de la CSG laisse perplexe l'UNAF. Quant à la TVA, beaucoup estiment qu'elle est antifamiliale car régressive en termes de pouvoir d'achat. Les familles ayant, dit-on, un taux d'épargne plus faible – cela mériterait d'être nuancé –, la TVA pèse directement sur leur budget. Quant aux autres recettes possibles, les partenaires du haut conseil se retrouveraient, à mon sens, sur l'idée que le sujet principal est leur nature et leur dynamisme.

Quatrièmement, la remise à plat fiscale annoncée par le Premier ministre aura un impact direct sur le financement de la branche famille. Si les problèmes considérables posés par la fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG ont déjà été étudiés dans le rapport de M. Didier Migaud, l'instauration d'une CSG progressive non familialisée en poserait tout autant. Quant à l'évolution des charges sociales pesant sur les entreprises, si elle était retenue, elle renverrait à un besoin de financement. Cette remise à plat a en tout cas pour effet de geler toutes les réflexions déjà en cours.

S'agissant du niveau des recettes, à court et moyen termes, le haut conseil s'arc-boute sur l'idée qu'en phase de déficit il ne faut absolument pas perdre de recettes – c'est pourquoi l'opération de reprise prévue dans le PLFSS le rassure.

Le problème du niveau de la recette se posera de façon centrale à partir de 2020, lorsque la CNAF, à législation constante, sera revenue à l'équilibre puis dégagera un excédent croissant, qui pourrait devenir massif. Deux grandes options seront alors possibles – le choix qui sera fait rétroagissant sur la nature de la recette : conserver à la branche famille son potentiel financier et la laisser dépenser l'excédent spontané dont elle bénéficiera à législation constante, ou ne lui laisser qu'une partie de son excédent, via une diminution de ses recettes, en vue d'aider au rééquilibrage des finances publiques. L'avenir de la politique familiale se jouera donc davantage à partir de 2020 que dans les prochaines années, dont le cheminement est bien balisé : il ne pourrait être modifié qu'à l'occasion de la remise à plat de la fiscalité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion