Intervention de Philippe Cury

Réunion du 26 novembre 2013 à 17h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Philippe Cury, directeur de recherche à l'IRD, Institut de recherche pour le développement :

Je voudrais revenir sur cinq aspects scientifiques de la pêche en eaux profondes.

Le premier est l'exploitation des stocks. Dans son dernier livre, un expert international des ressources halieutiques indique que seule une pêche chirurgicale permettrait d'atteindre une exploitation durable dans les milieux profonds. Selon cet expert, il ne faudrait pas prélever plus de 3 % des ressources. Par ailleurs, une équipe américaine indique qu'il faudrait se contenter de prélever 200 kg de poissons par an sur une zone de 100 km2. C'est peu, comparé aux 1 000 tonnes de poissons qui ont été prélevées dans le Pacifique centre pendant trente ans.

L'utilisation du chalutage a dégradé les stocks des espèces vivant dans les eaux profondes de l'Atlantique Nord-Est. Parmi les 54 espèces de poissons d'eaux profondes citées dans la proposition de la Commission, et c'est également l'avis du CIEM, 21 espèces sont considérées comme épuisées ou présentant un risque d'épuisement, 26 autres espèces n'ont jamais été évaluées, et seules trois espèces possèdent un ou plusieurs stocks considérés comme étant en bon état.

La plupart des espèces profondes ont des caractéristiques biologiques qui les rendent particulièrement vulnérables à la surpêche – croissance lente, maturité sexuelle tardive, faible taux de fécondité. Pour les 30 espèces dont nous avons estimé l'âge maximum, la durée de vie moyenne est de 36 ans et l'âge de maturité sexuelle de 12 ans. Par comparaison, un anchois se reproduit à un an et vit près de 4 ans, et une morue se reproduit à 2 ou 4 ans et vit 25 ans.

En outre, les espèces vivant en eaux profondes sont connues pour leur comportement d'agrégation, ce qui les rend particulièrement accessibles et vulnérables face à la pêche car les pêcheurs, considérant ces agrégations, imaginent que les ressources sont abondantes. Au Canada, où le phénomène a été quantifié, on n'a jamais vu autant de morues qu'en 1992. En réalité, les poissons s'étaient concentrés dans une très petite zone mais la ressource globale avait diminué de 96 %.

L'exploitation séquentielle de ces ressources donne l'apparence d'une capture stable. Les captures par unité d'effort (CPUE) qui sont utilisées par le CIEM sont de très mauvais indicateurs pour calculer un MSY (maximum sustainable yield) ou pour caractériser l'état de santé des stocks, comme le reconnaissent les experts eux-mêmes.

En ce qui concerne la destruction des habitats, il existe 275 papiers dans la littérature scientifique qui reconnaissent que le chalutage profond détruit les habitats des poissons et a un impact sur le long terme. Nous avons quantifié cette destruction. Il apparaît que lors de pêches à l'empereur en Tasmanie, pendant un an, chaque trait de chalut contenait à peu près 1,6 tonne de coraux.

Le chalutage de grands fonds entraîne également la destruction de la biodiversité. Dans l'Atlantique Nord-Est, les chaluts de l'Union européenne capturent entre 40 et 100 espèces non ciblées, et les taux de rejet oscillent entre 20 et 50 % et vont jusqu'à atteindre 80 % des prises.

Outre leur quantité, les rejets concernent certaines espèces sensibles, tels les requins profonds que nous souhaiterions protéger, et de petites espèces qui jouent un rôle très important dans le maintien des écosystèmes. Nous disposons aujourd'hui d'une littérature abondante sur les écosystèmes côtiers et coralliens, mais nous n'avons rien sur les écosystèmes profonds. Ceux-ci doivent être pris en compte dans la gestion des ressources profondes.

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