Je voudrais à mon tour évoquer un certain nombre de constats scientifiques.
La pêche en eaux profondes suscite un certain nombre d'interrogations depuis le démarrage de son exploitation dans les années 80, à une époque où nous ignorions la biologie des espèces concernées et les impacts écologiques de cette pratique sur les populations sensibles et les espèces accessoires, et, indirectement, sur les habitats.
Je rappelle les critères de vulnérabilité des espèces concernées : une agrégation dense lors de la reproduction, une grande longévité, une maturité sexuelle tardive et une croissance lente. Le cumul de ces trois derniers critères et de la température basse des eaux profondes explique la très faible productivité de ces espèces. Nous en déduisons que la pression de pêche maximum qu'un stock profond peut supporter, tout en assurant son renouvellement, est très sensiblement inférieure à celle que pourrait supporter un stock côtier.
Ces éléments nous conduisent à penser qu'il faudra ajuster les captures au potentiel reproductif et tenir compte de la capacité de récupération des habitats vis-à-vis des impacts des engins.
Le suivi de la pêche dans les zones européennes est assuré par le CIEM, qui regroupe 4 000 scientifiques de vingt pays différents, dont 300 émanent de divers instituts de recherche et 77 de l'Ifremer, et dont les avis sont le fruit d'un consensus.
Ce consensus est issu de diagnostics concernant la collecte d'informations sur les captures, l'effort de pêche et les campagnes scientifiques dédiées – qui sont quasiment inexistantes pour la pêche en eaux profondes –, le traitement statistique des observations – nous devons éviter certains écueils, liés à la saison des observations et aux tactiques de pêche – enfin, l'utilisation de données dans les modèles statistiques qui tiennent compte de la dynamique des populations. Il reste sur ce point un certain nombre d'incertitudes liées à ce que nous appelons le recrutement. Le recrutement est l'ensemble des processus – éclosion des oeufs, survie, croissance des larves et des juvéniles – qui succèdent à la reproduction des adultes.
Tout cela doit permettre d'identifier la pression de pêche qui peut être retirée de façon continue d'un stock, dans les conditions environnementales existantes, sans affecter significativement la reproduction. Ce diagnostic est formulé en comparant l'effort de pêche actuel avec celui intitulé MSY ou RMD (rendement maximal durable).
J'en viens à ce que nous ne connaissons pas. Nous considérons les écosystèmes essentiellement à travers les espèces réglementées et nous apprécions l'impact de l'effort de pêche sur l'espèce exploitée, sans tenir compte des habitats ni des espèces potentiellement structurantes pour l'écosystème. Les espèces étant indépendantes les unes des autres, il serait préférable d'adopter une approche qualitative des habitats.
Cela ne veut pas dire que les scientifiques ne font rien. Chacun de ces points fait l'objet d'expériences scientifiques, encore faut-il transférer ces nouvelles connaissances vers des estimations opérationnelles, comme on le fait en météorologie.
En matière de pêche en eaux profondes, nos connaissances sont insuffisantes. La proposition de la Commission européenne insiste sur la collecte d'observations et l'acquisition de connaissances. En tant que représentants de la communauté scientifique, nous ne pouvons qu'être favorables à ces préconisations.
Le projet européen Deepfishman (Management and monitoring of deep-sea fisheries and stocks), coordonné par l'Ifremer et un certain nombre de partenaires européens et qui s'est déroulé de 2009 à 2012, a formulé un certain nombre de recommandations parmi lesquelles le gel de l'empreinte spatiale dans les zones les plus fréquentées au cours de la période récente et l'instauration éventuelle de nouvelles zones de conservation, ainsi que des mesures techniques destinées à améliorer la sélectivité des engins.