Succédant à d'autres intervenants, je reprendrai à ma manière des éléments qui ont sans doute déjà été formulés. Je souhaiterais aborder cinq aspects.
Le premier problème est d'ordre statistique lorsqu'on compare différents coûts de production et, qui plus est, que ces comparaisons sont effectuées avec des pays situés hors de la zone euro, tels que le Royaume Uni ou les États-Unis, du fait de l'intervention des taux de change. Il nous faut en effet raisonner en nous fondant sur le coût total de production et non sur le seul coût salarial. Ce coût total inclut notamment celui de l'énergie – comme l'illustrent le cas de l'Allemagne ou le débat sur les gaz de schiste –, mais également les charges financières des entreprises, qui varient selon leur taille et leur secteur d'activité – même si l'on a tendance à occulter ce débat sous prétexte que les taux d'intérêt à court et long termes sont bas, sans tenir compte des spreads payés par les emprunteurs jugés « risqués ». Les économistes s'accordent d'ailleurs sur le fait que le taux de marge moyen des entreprises françaises a plutôt eu tendance à diminuer, s'élevant désormais à 27-28%, contre 31 à 32% auparavant.
En deuxième lieu, la compétitivité-prix, qui dépend en grande partie du coût salarial unitaire c'est-à-dire du rapport entre salaire et productivité du travail, joue également un rôle non négligeable. Ainsi la perte de compétitivité-prix de la France par rapport à celle de l'Allemagne au cours des années 2000, qu'illustre le décalage entre le déficit extérieur structurel de la première et l'excédent structurel de la seconde, s'explique-t-elle à la fois par l'évolution des coûts salariaux (le numérateur du ratio) dans ces deux pays – l'Allemagne ayant en effet mené une politique salariale très sévère afin de tirer les conséquences de sa réunification – et par celle de leurs gains de productivité du travail (le dénominateur) – la France étant certes bien classée en termes de niveau de productivité du travail, mais pas spécialement en termes de gains de productivité. De même, depuis l'entrée de la Grèce dans la zone euro, les écarts de coûts salariaux unitaires qui existaient entre ce pays et l'Allemagne se sont accrus au cours de la dernière décennie. Alors que l'on pensait que la monnaie unique allait par son existence même rapprocher nos économies réelles, elle en a au contraire accentué les divergences.
Le troisième point a trait à la compétitivité « hors prix », parfois citée pour amoindrir l'importance de la compétitivité-prix alors que nous devons nous appuyer simultanément sur ces deux composantes. Le Centre d'observation économique de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, que j'ai dirigé pendant une vingtaine d'années, a montré dans une enquête relative à l'image hors prix des produits français auprès de certains importateurs étrangers qu'en la matière, depuis vingt à vingt-cinq ans, la France a comblé une partie de son retard face à l'Allemagne. Les entreprises allemandes conservent cependant une avance pouvant expliquer pourquoi elles sont moins sensibles que leurs homologues français au taux de change, et en l'occurrence à la surévaluation de l'euro. Plus généralement, en Europe, les différentiels de compétitivité « hors prix » sont tels que les pays européens sont inégalement sensibles aux taux de change, d'où la difficulté de définir un point de vue européen sur le taux de change idéal.
Mon quatrième point concerne encore plus précisément les taux de change. Si les entreprises françaises doivent faire des efforts pour accroître leur compétitivité et regagner des parts de marché, l'objectif pour la France est non pas d'afficher un excédent extérieur, mais plutôt de ne pas se maintenir pendant des décennies en situation de déficit extérieur structurel non soutenable à long terme. Or, si jamais nous sortons progressivement de la crise de la zone euro mais que les Américains, ravis de la sous-évaluation du dollar, continuent à jouer la guerre des monnaies pour améliorer leur compétitivité, nos efforts en ce domaine risquent d'être ruinés par un taux de change défavorable. L'épée de Damoclès de la baisse possible du dollar pourrait en effet s'abattre sur nous en 2013-2014. Dès lors, la question sera posée à M. Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), et aux autorités européennes, de savoir si la zone euro se dotera jamais d'une politique de change.
Enfin, cinquième et dernier point, au-delà de l'enjeu du basculement d'une partie des charges sociales vers de nouveaux modes de financement – la vitesse de basculement me paraissant à cet égard aussi importante que celle de son ciblage sur une hausse de la TVA ou de la CSG –, l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises dépend d'autres éléments structurels, tels que le mode de financement de nos dépenses d'avenir en faveur de la recherche-développement et de l'innovation et l'amélioration de la compétitivité de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. En effet, tout en restant keynésien, j'estime que l'économiste le plus important pour nos politiques publiques à venir est Schumpeter, économiste autrichien qui affirmait que les ressorts du capitalisme résident dans l'innovation, tant s'agissant des nouvelles technologies, de la montée en gamme des produits qu'en matière d'organisation. Cela explique d'ailleurs pourquoi 22 des 35 milliards d'euros du Grand emprunt ont été consacrés à l'enseignement supérieur et à la recherche. On ne peut cependant pas recourir au Grand emprunt tous les ans. Dès lors, dans le contexte financier actuel – fort difficile du fait de la pression qui s'exercera sur les budgets publics au cours des quatre ou cinq ans à venir ainsi que sur les banques privées du fait des nouvelles règles prudentielles définies lors des accords de Bâle III – il faut se demander comment attirer davantage de l'épargne des ménages, encore abondante en France, pour financer ces dépenses d'avenir.