Plusieurs questions concernent l'enseignement supérieur et la recherche. Je ne nie pas ce qui se passe, mais il y a aussi quelques juges arbitres. En France, la part de la R&D dans le PIB s'élève à environ 2,2 %. Si cette part est inférieure dans certains pays, elle est plus importante dans les pays scandinaves ou aux États-Unis. Nous rejoignons ici un débat qui est un peu la toile de fond de vos travaux. L'Europe a eu la bonne idée de l'agenda de Lisbonne en 2000, mais elle n'en a rien fait. Bref, elle a posé le problème sans le traiter.
Si la R&D publique représente, en France, 1 % du PIB, ce qui est conforme à l'objectif fixé à Lisbonne et à Barcelone, la R&D privée n'en représente que 1,2 %, soit bien moins que l'objectif de 2 % qui avait été fixé. La question centrale est donc de savoir comment inciter les entreprises privées à faire plus de R&D si elles ne le font pas spontanément.
Je suis bien sûr favorable au CIR. Dans un contexte de recherche d'économies et de réduction du nombre des niches fiscales, je sacrifierais même volontiers d'autres niches pour le renforcer. La dépense fiscale correspondante représente aujourd'hui entre 3 et 4 milliards d'euros par an. Le dispositif fonctionne bien. Reste le problème soulevé par le rapporteur : il profite plus aux grandes entreprises qu'aux PME. C'est logique, puisque le crédit d'impôt est proportionnel aux dépenses de R&D effectuées. Je ne suis pas hostile à l'idée de rendre le CIR plus sélectif, à condition d'avoir bien en tête les inconvénients potentiels des politiques trop sélectives. J'ai eu l'occasion de les mesurer comme étudiant, puis comme jeune économiste, qu'il s'agisse de l'encadrement du crédit, qui était une politique monétaire sélective, ou des politiques industrielles des années 60, 70 et 80. La sélectivité permet de cibler les mesures, mais elle suscite des contournements. Il faut donc bien réfléchir. En théorie, je suis plutôt favorable à un CIR à plusieurs vitesses, peut-être renforcé pour les PME. Nous manquons d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France. Augmenter leur nombre et renforcer le CIR au bénéfice des PME ne pourrait qu'avoir des résultats positifs à terme. Néanmoins, il ne faut pas trop compliquer le dispositif fiscal. Il revient au politique d'arbitrer entre les avantages d'une sélectivité mesurée et bien ciblée, et les inconvénients de la complexité fiscale.
J'en viens au problème de la formation, qui est lié à la question de Monsieur Sturni sur les moyens à mettre en oeuvre pour garder nos talents en France.
En tant que professeur d'université, j'ai apprécié l'exercice que nous a imposé le grand emprunt sur le terrain. Les laboratoires d'excellence, les initiatives d'excellence (IDEX) et tout le reste ont contribué à faire bouger de manière irréversible un système qui ne bouge pas facilement. Il ne faut pas revenir sur les avancées que constituent l'autonomie des universités et la concentration des moyens.
En matière de formation initiale, nous avons donc fait des progrès qui restent à poursuivre. En revanche, il y a lieu de s'interroger sur la formation continue. Notre système de formation professionnelle coûte entre 30 et 40 milliards d'euros par an, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de l'investissement consenti. Bien que je ne me sois livré à aucune étude comparative de l'ensemble des systèmes de formation professionnelle européens, Monsieur Véran, j'ai le sentiment que le nôtre est particulièrement inefficace. Il est marqué par des problèmes de gouvernance, de déperdition et de « tuyauterie ». C'est donc un important chantier à ouvrir.
J'enseigne la matière « Banque et finance » à l'université et je constate que la crise financière mondiale n'a pas découragé les vocations : beaucoup de nos meilleurs étudiants s'orientent encore vers la finance et les activités de marché. Certaines déviances n'ont pas été corrigées par la crise. J'ai une autre inquiétude : nombre de nos chercheurs qui partent à l'étranger ne reviennent pas. Je pense par exemple à certains économistes français, parmi les meilleurs, qui s'exilent aux États-Unis. Il faut donc rendre le système plus attractif, ce qui exige des mesures particulièrement difficiles à mettre en oeuvre en période de vaches maigres pour les budgets publics. Comment aborder la question de la rémunération des chercheurs ? Comment faire en sorte que les meilleurs esprits ne s'orientent pas tous vers la finance et l'administration, et que notre système d'enseignement supérieur et de recherche conserve dans son giron de futurs prix Nobel et de futures médailles Fields ? Certes, la France reste le deuxième pays couronné en mathématiques, après les États-Unis et devant la Russie, et le prix Nobel de physique revient cette année encore à l'un de nos compatriotes. Mais n'est-ce pas l'arbre qui cache la forêt ? Je reste inquiet : il faut reposer la question de l'attractivité de la France pour la « matière grise ».