Intervention de Christian de Boissieu

Réunion du 18 octobre 2012 à 10h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Christian de Boissieu, professeur d'économie, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du collège de l'Autorité des marchés financiers :

En effet. Il ne s'agit donc pas de jeter le bébé avec l'eau du bain, mais il faut resserrer encore davantage les liens entre l'enseignement supérieur et la recherche et l'entreprise ; c'est très important pour une politique de compétitivité. Cela passe notamment par la multiplication des chaires. Beaucoup ont été créées, mais principalement dans les grandes écoles. Le processus a été plus tardif dans les universités. J'appelle donc les entreprises à rééquilibrer leur politique de chaires en faveur des universités, même si les laboratoires d'excellence et les IDEX ont permis – enfin – de multiplier les passerelles entre grandes écoles et universités.

Monsieur Sturni a également évoqué la localisation de la recherche. La délocalisation des centres de recherche est un problème encore plus grave que celle des sièges sociaux. Quand telle ou telle grande entreprise installe son centre de recherche à Bangalore ou ailleurs, il y a lieu de tirer la sonnette d'alarme. La question de la relocalisation est ici une question centrale.

Vous avez évoqué la problématique des filières, Monsieur le rapporteur. Vue sous l'angle des stratégies industrielles, celle-ci ne se pose plus dans les mêmes termes que durant la période pompidolienne ou giscardienne. Il est certes important d'avoir une approche en termes de filières, car nous assistons dans le monde d'aujourd'hui à une décomposition territoriale de la chaîne de valeur ; mais d'une certaine façon, le concept de chaîne de valeur est devenu plus intéressant que celui de filière. En me montrant son portable acheté en Chine, un Chinois me disait il y a peu que 80% de ses intrants avaient été fabriqués hors de Chine. Bref, cette approche des filières doit être réactualisée par rapport à ce qu'elle était dans les années 70 ou 80.

La France n'est pas assez présente dans les organismes où se joue la concurrence au niveau de la labellisation ou des brevets. Sans doute faut-il faire une politique d'entrisme – je reconnais que ce n'est pas facile. La question des normes est importante, car celles-ci ne sont rien d'autre que la forme moderne du protectionnisme. Officiellement, nous n'assistons pas au retour du protectionnisme. Mais beaucoup de pays, telle la Chine, protègent leur marché domestique en sous-évaluant largement leur devise. J'en ai parlé à propos des taux de change. On peut aussi arrêter les biens et services à l'importation sur l'argument de normes et de standards. C'est pourquoi chacun y va de ses normes. On le voit dans le débat franco-allemand, mais plus encore dans les relations commerciales entre pays avancés et pays émergents ou en développement. Nous payons là le prix de la faiblesse de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Certes, l'Organe de règlement des différends (ORD) fonctionne. Mais sur la partie OMC proprement dite, nous sommes au point mort depuis trois ans.

L'un d'entre vous le rappelait à propos des taux de change, la Chine, pourtant membre de l'OMC, ne respecte pas les règles du jeu. La question de la réciprocité revient dès lors dans le débat. Même si l'OMC est actuellement faible, il est important que nous exigions cette réciprocité dans nos relations bilatérales avec les pays émergents, qui sont en train de nous rattraper plus vite que prévu en matière de technologie, d'innovation et d'éducation.

En ce qui concerne les 35 heures, Monsieur le président, je suis en grande partie d'accord avec vous. Sans rouvrir le débat sur le fond, nous pouvons nous retrouver sur le constat que la méthode choisie n'a pas été la bonne. Pour ma part, j'ai surtout contesté à l'époque la manière uniforme et homogène dont la mesure était mise en oeuvre, avec toutes les conséquences que vous avez rappelées.

Un grand nombre de facteurs pèsent sur la compétitivité de nos entreprises. Vous avez parlé des administrations publiques. La réforme non seulement de l'État, mais aussi des collectivités locales, est l'un des sujets de la rentrée – y compris pour nous observateurs. Nous ouvrons aujourd'hui ce débat, en même temps que celui sur la réduction des dépenses publiques. Jusque-là, nous n'avions fait qu'effleurer la question de la maîtrise des dépenses locales : les efforts exigés dans le cadre de la LOLF et de la RGPP ne s'appliquent qu'au budget de l'État. Je sais qu'il est question de réorienter la RGPP, mais il est clair qu'il faut l'étendre à d'autres budgets que celui de l'État.

J'en viens à l'énergie. Je l'ai dit au début de mon exposé, il ne faut pas raisonner sur les seuls coûts salariaux. Les différences de coût de l'énergie, qui reflètent des différences de mix énergétiques, jouent un rôle important : elles introduisent des distorsions. Or, la politique européenne de l'énergie est aujourd'hui très faible. Il ne s'est en effet rien passé depuis décembre 2008 et l'objectif des « trois fois vingt ». Que peut signifier le marché unique dans un tel contexte ?

Je terminerai sur la BPI, qui va regrouper trois entités. Pour résumer ma pensée, je dirai qu'il faut espérer que « 1+1+1 » fasse plus que « 3 ». Rien n'est joué d'avance, et je me garderai de tout procès d'intention : soyons pragmatiques. Le problème central pour la BPI va être de trouver un bon équilibre entre le plan national et le plan local. Votre appréciation est un peu sévère en ce qui concerne ce dernier, Monsieur le rapporteur : le FSI a déjà des antennes régionales ; Oséo met en oeuvre une politique régionale. Espérons que la BPI poursuive en ce sens.

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