Intervention de Henri Poupart-Lafarge

Réunion du 3 décembre 2013 à 17h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Henri Poupart-Lafarge, président d'Alstom Transport :

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, Alstom Transport est très connu pour sa production de matériel roulant à destination des réseaux de tramway, des lignes à grande vitesse, du métro ou du RER. Mais ce domaine ne représente en fait que la moitié de son activité, soit 3 milliards sur un chiffre d'affaires total de 6 milliards d'euros.

Le reste se divise en trois parties égales représentant chacune 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires. La première est la production de systèmes de signalisation, dont l'Urbalis Fluence, notre dernier-né. La deuxième concerne la maintenance, un service consistant à fournir chaque jour aux opérateurs le train qu'ils nous ont confié, pendant toute la durée de vie du train, et pour lequel nous sommes rémunérés au kilomètre parcouru. Cette activité n'est toutefois pas réalisée en France. Enfin, nous proposons des infrastructures – comme l'électrification ou la pose des rails – et des systèmes complets – par exemple un système complet de tramway incluant la fourniture de matériel roulant et l'intégration du réseau dans la ville. Notre société est donc plus diversifiée qu'il n'y paraît.

Sur les 25 000 employés d'Alstom Transport, 9 000 travaillent en France. De même, 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires sont réalisés dans notre pays, dont 1 milliard pour l'exportation. Par ailleurs, nos achats représentent 1,4 milliard d'euros, et pour chaque employé de notre société, nous en faisons travailler environ trois chez nos 4 000 fournisseurs. D'ailleurs, ce matin même, le Médiateur national des relations inter-entreprises nous a décerné le label « Relations fournisseurs responsables ». Nos relations avec nos fournisseurs – qui à 80 % sont français – sont fondées sur la proximité et le partenariat.

Pour résumer en quelques mots le message que je souhaite vous transmettre, je dirais que la France fournit à Alstom Transport trois choses nécessaires à sa survie : la recherche, une vitrine et un soutien à l'exportation.

Tout d'abord, 80 % de notre recherche-et-développement est réalisée en France. Pas seulement à Saint-Ouen, où se trouve notre siège et où travaillent 2 800 de nos employés, mais aussi en province. Certains d'entre vous le savent bien, dont la circonscription abrite un de nos dix autres sites.

Ensuite, la France est un marché domestique de première importance, puisque nous y réalisons un quart de notre chiffre d'affaires, et une vitrine. En général, nos produits sont lancés et développés en France avant d'être vendus à l'étranger.

Enfin, la France favorise notre activité internationale, non seulement en tant que vitrine, mais aussi parce qu'il y existe des mécanismes de soutien à l'export et des actions de coordination des acteurs de la filière – notamment via l'organisme interprofessionnel Fer de France.

Pour illustrer l'importance de notre marché domestique, le fret ferroviaire offre un parfait contre-exemple. En raison de la décroissance du secteur, la SNCF ne commande plus de locomotives destinées au fret, et a même annulé les commandes qu'elle avait effectuées il y a quelques années auprès d'Alstom. Dès lors, nous ne pouvons plus innover, ni intervenir dans le marché ouest-européen. En conséquence, dans notre site de Belfort, l'activité liée aux locomotives fret connaît une situation critique, et le coeur de la production tend à se déplacer vers la Russie et le Kazakhstan, soit de façon directe, soit à travers notre partenariat avec la société Transmashholding – TMH. Et tout naturellement, l'engineering va progressivement rejoindre cette zone.

Les trains à grande vitesse sont un autre exemple des conséquences mécaniquement entraînées par une réduction de l'activité domestique. On assiste à une diminution du nombre de TGV commandés, et un débat a lieu sur le rythme de production, qui a atteint 11 trains par an. Nous sommes désormais à l'étiage : toute baisse supplémentaire mettrait en danger la structure industrielle, particulièrement à Belfort. En outre, nous ne serions plus en mesure d'investir suffisamment pour préparer le TGV du futur.

A contrario, compte tenu de son importance mondiale, nous sommes heureux de pouvoir exposer à Paris l'ensemble de nos produits, d'autant que la ville organise régulièrement des rencontres avec les représentants des grandes mégalopoles.

J'en viens aux commandes. En ce qui concerne la grande vitesse, même si la commande de 40 duplex est très importante, il n'en demeure pas moins que le rythme de production pour la SNCF est passé de 15 ou 16 TGV par an à seulement 11 par an. Les trains que nous développons ont une plus grande capacité : à prix identiques, ils offrent 10 % de places en plus. Quant aux TGV du futur, ils permettront, à conditions économiques équivalentes, d'emporter 20 % de voyageurs en plus. Nous sommes donc dans une dynamique de réduction du coût des trains ; l'efficacité économique est d'ailleurs notre premier objectif en termes d'innovation.

S'agissant des trains express régionaux, le contrat cadre signé entre la SNCF et Alstom Transport prévoit la construction de 182 rames Regiolis. C'est un produit d'une grande modularité, à même de répondre aux besoins des différentes régions, tout en étant construit à partir d'une plateforme commune, ce qui permettra d'amortir les coûts de développement sur la longue série et donnera à la SNCF la possibilité de développer des synergies entre différents centres de maintenance.

Dans la mesure où le plan de renouvellement des rames de TER n'est pas la hauteur de ce qui était prévu au départ, nous nous réjouissons des annonces qui viennent d'être faites au sujet des trains d'équilibre du territoire. En effet, les caractéristiques de la plateforme que nous avons développée pour Regiolis – niveau de confort, accélération, vitesse maximale – lui permettent de répondre également, moyennant quelques aménagements, aux besoins de ces trains. Nous comptons d'ailleurs continuer sur cette lancée : qu'il s'agisse de la nouvelle liaison ferroviaire franco-suisse – contrat CEVA –, ou des nouveaux prolongements des TET, cette plateforme nous semble adaptée à la circulation inter-cités, y compris au-delà de nos frontières, puisqu'elle est équipée de l'ERTMS – European Rail Traffic Management System, le système européen de surveillance du trafic ferroviaire.

S'agissant du métro, notre activité pour la RATP est soutenue et devrait croître avec le développement du Grand Paris. De nouveaux appels d'offres sont d'ores et déjà lancés, tandis que nous continuons à honorer les commandes en cours. Nous disposons en particulier d'une expertise forte sur les métros automatiques, que nous avons été les premiers à proposer – contrairement à notre habitude, c'est dans une ville étrangère, Singapour, que nous l'avons développé pour la première fois. Nous comptons sur la plateforme parisienne pour développer le matériel roulant et la signalisation. De même, nous avons vendu à Lille notre nouveau système de signalisation, Urbalis Fluence, qui offre un bon exemple de notre savoir-faire : nous l'avons développé en France – à Saint-Ouen –, la première utilisation a lieu en France – à Lille –, et celle-ci nous sert de modèle pour gagner des contrats à l'export, par exemple à Riyad, en Arabie saoudite.

En ce qui concerne le réseau express régional, une livraison de rames est en cours pour le RER A. Un nouvel appel d'offres devrait par ailleurs être attribué dans un peu plus d'un an, dont nous sommes en train de discuter les termes et les conditions du cahier des charges. Il est évidemment essentiel pour nous de pouvoir fournir la région, et donc d'avoir un bon dialogue avec la SNCF et le Syndicat des transports d'Île-de-France, à l'image de celui que nous avons avec nos propres fournisseurs.

J'en viens enfin aux deux types de tram. Le premier, le tram-train, est un nouveau produit, comme toujours développé en France – à Valenciennes –, vendu pour la première fois à Nantes, puis à la région Rhône-Alpes, et que nous souhaitons désormais proposer pour les liaisons transversales en Île-de-France. Grâce à cette vitrine, nous avons réussi à le vendre à Ottawa, pour équiper une ligne de LRT – Light Rail Transit, qu'il convient de distinguer des petits tramways – street cars.

Quant au tram lui-même, il remporte un grand succès dans de nombreuses villes. Dans les pays d'Europe centrale, les réseaux n'avaient pas été démontés : nos concurrents – Siemens, Bombardier – ont donc pris l'habitude de ne remplacer que les matériels roulants. En France, nous avons acquis un savoir-faire particulier, lié à la rénovation urbaine.

En effet, un projet de tramway donne l'occasion de repenser l'aménagement de la ville et de ses quartiers. Alstom Transport, avec les municipalités pour lesquelles nous travaillons, a donc acquis des compétences en matière d'intégration urbaine qui peuvent être exploitées à l'étranger. Car le renouveau du tramway ne concerne pas seulement l'Europe de l'Est – Moscou, par exemple, on peut l'observer aussi dans les pays émergents. Nous avons ainsi passé un contrat pour l'équipement de 13 villes en Algérie, nous travaillons également au Maroc, et nous avons été retenus pour la rénovation du quartier de Porto Maravilha, au Brésil, en prévision des Jeux Olympiques. Nous savons donc comment intégrer un réseau de tramway dans un tissu urbain. Grâce à cette compétence, les contrats que nous signons à l'étranger sont de type « clés en main » et incluent les infrastructures comme la maintenance.

Bien entendu, si nous vendons à la ville de Caracas des métros construits à Valenciennes, c'est grâce au gouvernement français et à la Coface. Nous bénéficions par ailleurs de l'existence d'une filière ferroviaire florissante, comportant trois opérateurs urbains – Keolis, Transdev, RATP-Dev –, deux importants ingénieristes, Systra et Egis, et un organisme interprofessionnel, Fer de France. Il est essentiel que nous travaillions ensemble à l'export : quand Systra ou Egis conseillent des clients étrangers, ils sont aussi des prescripteurs du modèle français et participent au soutien de la filière. C'est ainsi que, malgré les difficultés et le grand nombre de concurrents, nous ne nous en sortons pas trop mal.

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