Intervention de Henri Poupart-Lafarge

Réunion du 3 décembre 2013 à 17h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Henri Poupart-Lafarge, président d'Alstom Transport :

Vous avez été nombreux à aborder la question du développement durable. Le train est par essence durable. Il est plus respectueux de l'environnement en termes d'émissions, d'emprise sur le sol ou de recyclabilité des matériaux, que les autres modes de transport. Néanmoins, cela ne nous exonère pas d'efforts pour rendre nos trains plus « verts » encore.

En la matière, vous avez évoqué le chiffre de 98 % de matériaux recyclables. Il faut y ajouter les progrès dans l'alimentation et la traction grâce aux moteurs à aimants permanents qui améliorent de 10 à 15 % la puissance du train.

De même, le TGV qui succédera au 2N2 actuellement en fabrication, offre 10 % de places supplémentaires pour une consommation d'énergie identique. On estime le gain en termes d'efficacité énergétique sur le matériel roulant entre 10 et 15 % d'une génération à l'autre.

Enfin, nous recherchons des économies sur l'infrastructure. Hesop, que vous avez cité, est une sous-station réversible de traction qui permet la récupération de l'énergie produite lors des phases de freinage et la réinjection de cette énergie, à l'extérieur du réseau ferroviaire, dans le réseau de distribution d'énergie. Ce procédé, parce qu'il limite la perturbation sur le réseau de traction ferroviaire, permet de réduire le nombre de sous-stations électriques nécessaires et d'améliorer le coût et l'efficacité énergétique du ferroviaire. Il n'existe pas encore de sous-station de ce type en France. Un exemplaire a été vendu en Angleterre et le projet en Arabie Saoudite en comporte.

La sous-station Hesop peut être associée à un système de stockage pour surmonter l'obstacle suivant : RTE ne prend pas en compte l'énergie réinjectée dans le réseau pour une durée inférieure à dix minutes. Il faut donc installer des systèmes de stockage d'énergie à côté de la sous-station pour pouvoir réinjecter une quantité d'énergie suffisante.

Concernant la mobilité multimodale, un projet de gare durable pour Versailles Chantiers, dans lequel l'installation d'une sous-station réversible permettrait de réinjecter l'énergie du freinage dans les voitures électriques, est à l'étude. Mais il se heurte aux difficultés techniques que j'évoquais de valorisation de l'énergie réinjectée dans le réseau. L'objectif premier des projets Hesop réside pour le moment dans la diminution du nombre de sous-stations dans l'infrastructure.

Dans le cas de l'Allemagne, le problème est différent. L'énergie produite par le freinage des trains au diesel n'est malheureusement pas récupérable puisqu'elle ne peut pas être réinjectée dans un réseau électrique qui n'existe pas. Deustche Bahn nous a demandé comment intégrer dans les trains régionaux diesel des systèmes de stockage d'énergie hybrides. Nous connaissons déjà ces systèmes pour les locomotives de manoeuvre, qui permettent, outre des économies d'énergie, d'aller récupérer des voitures dans les usines grâce à une batterie chargée par le moteur diesel.

Je conteste l'idée selon laquelle les pays étrangers seraient moins soucieux de développement durable. Cela n'est pas tout à fait vrai dans le domaine du transport ferroviaire car cette préoccupation coïncide avec l'intérêt économique puisque la consommation énergétique constitue un levier commun. New Delhi s'est ainsi intéressé à la consommation électrique de nos métros. Nos efforts en faveur du développement durable peuvent tout à fait être valorisés à l'étranger.

Nous avons trop de fournisseurs trop faibles. Nous poursuivons nos efforts pour renforcer les partenariats avec nos fournisseurs pour des raisons qui ne sont pas seulement philanthropiques : le retard d'un fournisseur se retrouve inévitablement en bout de chaîne et peut avoir des conséquences catastrophiques dans les relations avec nos clients. Dans le cas de Regiolis par exemple, les difficultés d'un fournisseur ont eu des répercussions importantes sur l'outil de production.

Nous déplorons l'éparpillement des fournisseurs. C'est la raison pour laquelle nous soutenons les initiatives gouvernementales, comme le fonds d'investissement baptisé « Croissance rail », afin d'aider les fournisseurs à se regrouper. Ce regroupement doit permettre de gérer les importantes fluctuations de charge dans les usines qui constituent la principale difficulté de notre métier. Nous sommes particulièrement impliqués à La Rochelle et à Valenciennes.

Le Translohr est un bon exemple de ce que peut faire la filière ferroviaire. Lohr Industrie connaissait, et connaît toujours, des difficultés mais NewTL se porte aujourd'hui très bien. C'est vraiment un succès. La reprise a été possible grâce au concours du FSI et de l'État ainsi qu'à un fort soutien de la RATP.

Notre stratégie consistait à attendre l'inauguration de la ligne de tramway francilienne T5 car l'image du Translohr avait pâti des difficultés rencontrées à Clermont-Ferrand. Le succès du T5, grâce à l'appui des ingénieurs de la RATP, nous permet aujourd'hui d'envisager une accélération du développement commercial. Le Translohr bénéficie de notre réseau. Nous avons des projets en Italie, à Medellin en Colombie, et à Ganja en Azerbaïdjan. Le Translohr peut en outre profiter du savoir-faire clés en main d'Alstom puisqu'il s'agit d'un système global qui ne peut pas être installé par d'autres. C'est un bon exemple de redressement et je reste très confiant pour l'avenir. Je répète que Paris, avec le T5 en l'occurrence, constitue une vitrine importante pour notre activité.

Le coût d'un tramway est de 20 millions d'euros par kilomètre. Il faut savoir que les infrastructures, les déviations de réseau et le réaménagement urbain pèsent plus dans les dépenses que le matériel ferroviaire. Nous essayons de diminuer le prix de ce matériel et des infrastructures mais le génie civil représente une part importante du coût de réalisation du tramway.

Le tramway compact Citadis, installé à Aubagne, a aussi été vendu à Avignon dans une forme un peu différente, une longueur de 22 mètres pour le premier contre 24 pour le second. Il paraît difficile d'envisager un tramway plus petit. Nous travaillons davantage sur le coût d'infrastructure. Nous disposons pour ce faire d'un outil, l'Appitrack, qui permet d'accélérer la construction des voies. Ce dernier est utilisé pour le métro et pourrait l'être pour les lignes à grande vitesse.

Il n'y a pas de seuil intangible pour l'implantation du tramway. Notre souci est d'apporter la solution la plus adaptée aux besoins d'un territoire donné. Nous ne privilégions pas un équipement plutôt qu'un autre.

Nous ne plaidons pas pour le tout-TGV. En revanche, nous sommes très préoccupés par un possible arrêt des commandes de matériel roulant de TGV. L'ensemble des rames de TGV, qu'il s'agisse des TGV PSE ou Atlantique, doivent être renouvelées – la première rame mise en service en 1981 fonctionne toujours, peut-être nos matériels sont-ils trop robustes… (Sourires) Notre demande pour relancer la production de TGV porte moins sur la création de nouvelles lignes de TGV – je ne me prononce pas sur le rapport de Philippe Duron – que sur le renouvellement des flottes.

La plateforme Coradia peut être déclinée dans une version pour le Regiolis – Coradia polyvalent – et dans une autre pour les TET – Coradia liner – puisqu'elle peut équiper des trains roulant de 120 à 200 kilomètres heure et pour des trajets de 150 kilomètres à six heures. Nous n'essayons pas de transposer le Regiolis aux TET. Une même plateforme technologique, en termes d'accélération, d'énergie et de confort de vibration, permet de s'adresser à plusieurs marchés. Il faut distinguer la plateforme technologique de la plateforme complète qui comprend l'aménagement intérieur, ce dernier étant adapté aux exigences de flux de passagers et de confort.

Quant au TGV brésilien, qui est un bon exemple de collaboration française, la date butoir pour l'appel d'offres était fixée au 16 août. Le marché a été reporté le 15 août parce que nous étions le seul candidat mais aussi à cause des manifestations en faveur du transport urbain et de la réorientation des investissements à son bénéfice. La présidente du Brésil a fait de la ligne à grande vitesse un axe fort de son programme électoral. La réalisation de ce projet dépendra donc du résultat des élections qui doivent se tenir dans un an.

Nous sommes soucieux du problème du financement que nombre d'entre vous ont évoqué. Il faut savoir qu'il existe différents modes de financement des infrastructures de transport en Europe. De nombreux rapports soulignent le déséquilibre du financement que nous ressentons au jour le jour et les tensions sur ce sujet comme en témoignent les péripéties de l'écotaxe poids lourds. Si le financement des TET devait être remis en cause, cela constituerait un problème majeur pour nous, pour la charge du site de Reichshoffen à partir de 2015 et pour le développement de la plateforme pour les trains régionaux en tant que telle.

Nous avons besoin de continuité. Chaque plateforme doit conserver un minimum de production annuelle sinon nous perdons la compétence et nos sous-traitants aussi. Nous devrons alors nous redéployer, ce que les sous-traitants n'ont pas les moyens de faire. Nous essayons de rester optimistes mais les difficultés de financement nous placent à l'étiage. Pour le Regiolis, nous sommes passés de 400 trains à 182 et pour le TGV, comme je l'ai indiqué, d'une quinzaine à 11 par an. Quant au tramway, les commandes sont soumises au cycle électoral. Nous avons assisté à de nombreuses inaugurations ces deux dernières années mais le rythme devrait désormais se ralentir pour s'intensifier de nouveau dans cinq ans. (Sourires)

À propos de La Rochelle, la conjoncture est difficile : l'usine est très chargée pour les TGV pendant un an et pour les trams pendant deux ans. C'est le moment où la production du TGV marocain s'arrêtera et où la SNCF baissera son rythme de commandes. L'emploi n'est pas menacé. Mais les fluctuations d'activité justifient a posteriori le recours à l'intérim qui nous est reproché – nous avions il y a deux ans 30 à 40 % d'intérimaires, il n'y en a plus aujourd'hui.

Le coût du travail est une donnée importante de l'équation de notre productivité. Mais la principale caractéristique du métier ferroviaire est la flexibilité. Nous avons conclu des accords de flexibilité en Allemagne, en Espagne et en Italie afin de gérer les creux et les pics de charge, dans la durée mais aussi à court terme, dans le cas d'un retard d'un fournisseur par exemple. Nous ne sommes pas une industrie dans laquelle la production est réglée comme du « papier à musique » : nous devons en permanence nous adapter.

Je suis un grand défenseur de la cause européenne pour le transport. Il y a beaucoup à faire. L'inefficacité du transport ferroviaire au niveau européen est presque choquante : celle-ci s'explique par des raisons historiques qui tiennent aux différences techniques entre les réseaux mais aussi à des considérations institutionnelles. Tout est décidé au niveau national. Je bataille pour l'adoption du quatrième paquet ferroviaire qui comporte un volet politique qui suscite des débats infinis – la séparation entre l'opérateur et le gestionnaire d'infrastructure – et un volet technique – le rôle de l'Agence ferroviaire européenne (ERA). Nous avons la chance d'avoir à Valenciennes, sur notre territoire, cette agence qui se bat pour asseoir son autorité. Le quatrième paquet lui en donnera les moyens. C'est très important.

On évoque des projets d'autoroute ferroviaire en Europe. Il faut saisir les opportunités et les financements européens. Il faut se battre pour déployer l'ERTMS. Aujourd'hui, les pays de petite superficie l'ont fait. Deux pays sont en retard : la France et l'Allemagne. Il n'y aura pas d'Europe ferroviaire si le coeur géographique de l'Europe ne se conforme pas aux standards européens. Les pays sont plus ou moins habiles pour capter les financements.

L'Europe essaie de mettre en place des projets. Je préside l'Union des industries ferroviaires européennes (UNIFE). Nous développons dans ce cadre un programme de R&D commun « Shift2rail ». L'Europe pourrait le financer à hauteur de 500 millions d'euros sur sept ans, en complément des 500 millions apportés par l'industrie. Aujourd'hui, le financement européen de la recherche ferroviaire représente quelques millions seulement. Nous devons nous battre pour obtenir des financements européens.

Je cède la parole à M. Jérôme Wallut pour évoquer le TGV du futur.

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