Avons-nous suffisamment de pouvoir outre-mer ou nous faut-il des instruments juridiques supplémentaires ? La loi Lurel nous fournit un arsenal satisfaisant et nous n'en demandons pas plus. Non seulement le Gouvernement peut désormais réglementer les marchés de gros, mais l'injonction structurelle, que nous pouvons mobiliser dans les situations extrêmes comme instrument de dernier recours, a une vertu très dissuasive ; elle nous a aidés à négocier avec les compagnies maritimes la levée des obstacles à la concurrence sur la route entre les Antilles et l'Europe du Nord.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans une décision d'octobre dernier, a confirmé la constitutionnalité de l'injonction structurelle, telle qu'elle avait été envisagée dans la loi de pays néo-calédonienne, certes avec quelques différences par rapport au texte voté par le Parlement national. Le Conseil estime clairement que cette restriction à la liberté d'entreprendre est justifiée par la situation particulière de l'outre-mer.
Si nous sommes suffisamment outillés sur le plan juridique, ce n'est pas le cas sur le plan humain. Il est donc essentiel que nous collaborions avec les observatoires des prix, qui doivent alimenter nos enquêtes.
Mme Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, qui m'accompagne aujourd'hui et dirige les services d'instruction, vous confirmera que nous avons huit enquêtes en cours, couvertes par le secret, mais dont je peux dire qu'elles concernent des secteurs évoqués par Mme Bareigts.
Vous avez tous évoqué la question des carburants. En premier lieu, le décret sur lequel nous avons émis un avis favorable ne menace nullement la situation des gérants de station-service outre-mer. Son objectif est tout autre : il s'agit de contrôler plus efficacement les conditions dans lesquelles les pétroliers importent du pétrole de Singapour ou de Rotterdam et restituent en aval les gains d'efficacité qu'ils obtiennent grâce à leur important pouvoir de négociation.
M. Ollier a insisté sur la question des normes, demandant s'il ne serait pas plus judicieux d'importer du pétrole des zones économiques voisines – les Antilles se situant à proximité de zones de raffinage du pétrole. On pourrait en effet envisager de déroger aux normes européennes en matière automobile, qui imposent aujourd'hui d'importer du pétrole conforme à ces mêmes normes ; mais comment faire pour le parc automobile existant, d'autant plus important outre-mer que les transports publics y sont sous-développés ?
Enfin, nombre d'entre vous s'interrogent sur l'organisation du stockage et de la distribution. À La Réunion, où la SRPP est détenue par Shell et Total, deux compagnies pétrolières qui devraient être concurrentes, le décret va imposer la séparation comptable entre l'activité de stockage et la distribution. Le véritable objectif à atteindre est le décroisement, c'est-à-dire la séparation entre le stockage d'une part, qui doit être géré de manière indépendante des pétroliers, et la distribution d'autre part, qui doit faire l'objet d'une mise en concurrence loyale entre les compagnies pétrolières.
Bien que Shell et Total envisagent favorablement le décroisement, la situation n'évolue pas, en raison de résistances liées entre autres à la fiscalité. Je pense néanmoins que la possibilité qu'a le Gouvernement de réglementer le marché de gros et l'injonction structurelle vont nous permettre d'infléchir la stratégie de ces sociétés, pour parvenir au décroisement complet des participations détenues par ces deux compagnies pétrolières dans la SRPP, et à la séparation juridique des activités de stockage et de distribution.
M. Ollier a raison de dire que la SARA n'est pas rentable : le raffinage sur place coûte plus cher que l'importation de pétrole raffiné. Mais la question se pose du devenir industriel de cette installation et des nombreux emplois en cause. Vers quelle activité envisage-t-on de reconvertir la SARA ? Il nous faut sur ce point des perspectives industrielles claires.
Mme Bareigts m'interroge sur les priorités en matière d'enquêtes sectorielles. Je rappelle que les enquêtes nationales que nous avons lancées – sur la réparation automobile et les pièces détachées, par exemple, ou sur la filière du médicament – comportent un volet consacré aux départements d'outre-mer. Des enquêtes sont également en cours sur les matériaux de construction, secteur dans lequel nous avons rendu une décision concernant Saint-Pierre-et-Miquelon.
Madame Bonneton, il faut en effet réfléchir à la manière de diminuer les coûts d'approvisionnement en encourageant les circuits courts. La situation évolue sous la pression des distributeurs, qui favorisent les circuits courts pour contrer les monopoles sur certains produits et certaines marques dont disposent les importateurs grossistes.
M. Fasquelle m'a interrogé sur l'octroi de mer. Le sujet dépasse largement les prérogatives de l'Autorité de la concurrence ; il est politique. Au plan technique, la Cour de justice des communautés européennes a admis, dans son arrêt Chevassus-Marche de février 1998, la compatibilité de l'octroi de mer avec le droit européen, dès lors qu'il s'applique de manière non discriminatoire entre les produits importés de l'Union européenne et les produits introduits à partir du marché local. Elle a par ailleurs validé certaines exonérations, dès lors qu'elles étaient limitées dans le temps.
Je partage son opinion sur l'insuffisant développement du tourisme outre-mer, lié aux prix trop élevés et au manque de concurrence, notamment dans le secteur du transport aérien, qui découragent les voyagistes.
En matière d'urbanisme commercial, l'Autorité de la concurrence est favorable à une modification en profondeur de règles qui devraient, selon elle, obéir au droit de l'environnement et au droit de la circulation plutôt qu'à des critères économiques, les élus, qui gèrent la planification des sols, devant avoir la maîtrise de ces questions. Cela étant, je n'ignore pas que les parlementaires peinent à parvenir à un consensus sur le sujet.
Dans le secteur des télécoms, nous n'y sommes pas allés avec le dos de la cuillère, infligeant, aux Antilles et à La Réunion, des amendes de 27 et 63 millions d'euros aux opérateurs. Qu'il s'agisse de la téléphonie mobile ou de l'accès à internet, la concurrence se développe aujourd'hui outre-mer, au bénéfice des populations ultramarines.
Restent des questions sensibles comme l'itinérance, les départements d'outre-mer étant aujourd'hui traités comme les pays étrangers. C'est un sujet qui intéresse l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), désormais autorisée par la loi Lurel à se saisir de ces questions.
Les propos de M. Vlody sur la vente en ligne nous intéressent au premier chef, et nous devons enquêter sur toute interdiction de vente en ligne dans les départements d'outre-mer qui viserait à protéger des exclusivités d'importation. La France a été pionnière en matière de concurrence dans le commerce en ligne. La décision de justice obligeant les laboratoires Pierre Fabre à vendre en ligne leurs cosmétiques a été confirmée par la Cour de justice de l'Union européenne, montrant que l'interdiction de vente en ligne était difficilement compatible avec le droit de la concurrence, y compris dans les secteurs éligibles à la distribution sélective.
La distribution automobile obéit quant à elle à des règles particulières, qui découlent d'un règlement européen. Néanmoins, à partir d'indices concrets sur les cas que vous avez évoqués, l'Autorité enquêtera.