Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 4 décembre 2013 à 9h30
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

L'intérêt du décret sur les carburants, c'est qu'il ne prend en compte, pour le calcul du prix auquel les pétroliers s'approvisionnent, que les seules cotations de référence de leur zone d'approvisionnement – l'index Platt's – et le cours moyen du dollar. Les compagnies ne pourront ajouter à ces coûts, aisément contrôlables, des frais de trading ou d'assurance qui ne seraient pas dûment justifiés.

Reste la question, structurelle, de la dépendance de certaines stations-service par rapport aux compagnies pétrolières. Revoir les clauses d'exclusivité, la durée des contrats, ainsi que tout ce qui peut donner aux pétroliers un pouvoir de négociation excessif fait partie des priorités, telles que nous les avions mises au jour dans notre avis de juin 2009.

Le problème du droit de la concurrence est qu'il s'agit d'un droit dissuasif, du fait du montant des sanctions, mais qui ne s'applique que dans des conditions restrictives : il faut prouver l'entente anticoncurrentielle ou l'abus de position dominante. Nous ne sommes pas les gardiens des prix et des marges, et ne disposons pas du pouvoir d'en fixer le juste niveau. Nous ne sommes pas une autorité de contrôle des prix, et nous ne pouvons nous attaquer qu'à des comportements illicites. Notre standard de preuve élevé fait que les recours sont nombreux, étoffés, et nous obligent à nous battre pour défendre nos décisions.

J'ajoute à l'attention de M. Ollier que la séparation structurelle des activités de stockage et de distribution est bien notre objectif final, la séparation comptable n'étant qu'une étape.

Monsieur Abad, nos moyens sont limités. Tous les chiffres – cas traités, décisions antitrust rendues – montrent pourtant que nous sommes l'Autorité de la concurrence la plus active en Europe. Nous ne sommes que 185 personnes, alors que des régulateurs sectoriels, qui ne couvrent qu'un champ limité de l'économie, ont des moyens sans commune mesure avec les nôtres. Nous n'avons pas non plus de services locaux et devons travailler avec les services de l'État, les DIECCTE, les observatoires des prix. La balle est donc dans votre camp : si vous êtes ambitieux, donnez-nous les moyens de cette ambition. Je rappelle que, pour 2012, le montant des sanctions infligées par l'Autorité de la concurrence s'élève à 540 millions d'euros, avec un taux de recouvrement de 97 %, alors que nous ne coûtons que 20 millions d'euros à l'État…

Plusieurs questions m'ont été posées sur le bouclier qualité-prix. Il a permis de faire baisser les prix de détail, ce qui est positif, mais il ne peut rien contre les raisons structurelles qui poussent les prix à la hausse ni contre les écarts entre les prix domiens et les prix métropolitains. Si l'on détaille la composition du panier de la ménagère, le risque est que les distributeurs mettent plutôt dans les linéaires des produits dont les prix ne sont pas régulés. Cela m'incite à plaider pour un « panier mystère », trop de transparence pouvant tuer l'efficacité du dispositif.

En matière de téléphonie, la suppression de l'itinérance ne relève pas de l'Autorité de la concurrence, mais de l'ARCEP.

Pour ce qui concerne les exclusivités, la loi relative à la régulation économique outre-mer, entrée en vigueur il y a un an, proscrit, à compter du mois d'avril 2013, les exclusivités d'importation de droit ou de fait, à moins qu'elles ne soient justifiées économiquement, et c'est au détenteur de l'exclusivité d'en apporter la preuve. Nous avons le sentiment que, si la loi a un effet dissuasif, les exclusivités de fait subsistent. C'est la raison pour laquelle des enquêtes ont été lancées, notamment à La Réunion. L'Autorité fera tout ce qu'elle peut pour mener ces enquêtes à leur terme. Nous avons d'ores et déjà découvert, dans une affaire de concentration récente, qu'un grand distributeur qui rachetait un magasin avait demandé que l'exclusivité d'importation dont bénéficiait la cible lui soit transférée, sachant pourtant que ces exclusivités étaient désormais illégales. Contre ces pratiques, nous appliquerons strictement la loi.

À propos des sites de réservation en ligne, nous avons reçu une plainte du syndicat des hôteliers contre les grandes plateformes électroniques – Expedia ou Booking.com – qui leur imposent notamment la clause de la nation la plus favorisée et leur interdisent de vendre leurs chambres à un prix moins élevé que celui négocié avec ces plateformes. L'enquête est en cours, et l'affaire se résoudra soit au contentieux, soit par des engagements adéquats, sachant que des engagements substantiels ont été pris au Royaume-Uni et en Allemagne sur ce même sujet. Il y a donc des marges de progrès.

Quant aux pouvoirs dont dispose la DGCCRF, c'est vous qui les lui avez donnés. Vous avez, sur la suggestion du Gouvernement, préféré renforcer la répression administrative plutôt que la répression pénale. L'appareil de sanctions administratives est en effet souvent plus efficace que la mobilisation du juge pénal, notamment dans le domaine économique. Peut-on rêver qu'un jour toutes les compétences seront réunies en matière de droit de la consommation et de droit de la concurrence ? C'est à vous de faire ce choix et de décider qui, du juge judiciaire ou du juge administratif, régnera sur cet empire. Si l'on s'attache à la matière, on peut considérer que le juge des entreprises est le mieux placé ; si l'on s'intéresse au mode d'action utilisé, c'est au juge administratif qu'il revient d'appliquer les sanctions. Mon devoir de réserve m'empêche ici de choisir…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion