Intervention de Alain Tourret

Réunion du 4 décembre 2013 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret, rapporteur :

Je tiens à souligner que nous avons travaillé depuis juillet dernier, mon collègue Georges Fenech et moi-même, dans une parfaite complémentarité. C'est la première fois, au cours de cette législature, qu'une mission est confiée à deux membres, l'un de la majorité, l'autre de l'opposition. Nos expériences professionnelles passées, respectivement en tant que magistrat et avocat, nous ont permis d'aborder le sujet avec deux visions différentes mais complémentaires. Depuis longtemps, nous réfléchissons à la révision des condamnations pénales. Je rappelle d'ailleurs que Georges Fenech est l'auteur d'une intéressante proposition de loi, déposée en 2007, sur laquelle nous nous sommes appuyés.

Qu'est-ce que l'État de droit, dans le domaine judiciaire ? Il répond à deux impératifs contradictoires : d'une part, préserver l'ordre juridique par l'autorité de la chose jugée ; d'autre part, éviter l'erreur judiciaire et la réparer lorsqu'elle survient. Notre histoire est marquée par des erreurs judiciaires, comme en témoignent les affaires Calas, Dreyfus, et, plus récemment, Machin et Sécher, et par d'autres affaires pour lesquelles la justice s'est prononcée contre la révision (Seznec, Dominici, Raddad). La valeur de la sécurité juridique l'emporte actuellement sur la valeur de justice. Il y a vraisemblablement plusieurs dizaines d'innocents qui se trouvent aujourd'hui emprisonnés, ce qui ne peut que terrifier chacun d'entre nous.

Il existe deux procédures distinctes pour remédier à une erreur judiciaire, de fait ou de droit : d'une part, la révision des condamnations pénales ; d'autre part, le réexamen d'une décision pénale consécutif à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme. La procédure de révision est ancienne et existait déjà sous l'Ancien régime. Elle a été modifiée en 1989 et repose principalement sur l'existence d'un fait nouveau susceptible de créer un doute sur la culpabilité du condamné. La procédure de réexamen a, quant à elle, été votée en 2000. Je me souviens des interventions de M. Jack Lang, alors député, et de notre collègue Philippe Houillon. Le réexamen d'une décision pénale vise à réparer les conséquences d'une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment en cas de non respect du droit au procès équitable.

De l989 à 2013, 3 358 demandes de révision ont été déposées, parmi lesquelles 8 ont pu aboutir en matière criminelle, et 43 en matière correctionnelle. De 1945 à nos jours, nous avons connaissance de 10 cas de révision en matière criminelle. En ce qui concerne la procédure de réexamen, les chiffres sont beaucoup importants : sur 55 demandes en réexamen déposées depuis 2000, 31 ont conduit au réexamen de la décision pénale en cause. Ces chiffres démontrent, à l'évidence, que toute la machine législative et judiciaire est plus favorable au statu quo qu'à la révision.

Tous les ans, la Cour de cassation, dans ses rapports annuels, appelle de ses voeux une réforme du système actuel. Les 49 personnes que nous avons entendues nous ont indiqué, presque de façon unanime, qu'il était nécessaire de changer la législation. Dans les autres pays européens, une place plus large est faite à la révision.

À l'heure actuelle, la personne condamnée doit faire la preuve de son innocence, non pas seulement apporter des éléments susceptibles de faire naître un doute sur sa culpabilité. Ce fut le cas, en particulier, dans l'affaire Machin, où un autre coupable a été désigné.

Nos travaux nous ont conduits à entendre la Chancellerie, la haute magistrature, mais aussi des avocats, des juristes, la commission nationale consultative des droits de l'homme ou encore M. Roland Agret, qui a été jusqu'à l'automutilation pour faire entendre sa cause. Nous avons également reçu M. Bruno Cotte, qui présidait la chambre criminelle lors de l'examen de la demande en révision de la garde des Sceaux dans l'affaire Seznec, le procureur général près la Cour de cassation, d'anciens procureurs généraux, l'actuel président de la chambre criminelle, le président de la commission de révision ainsi que deux anciennes présidentes de cette juridiction. C'est un travail immense que nous avons accompli avec notre foi et notre passion d'humanistes.

Nous ne souhaitons nullement créer un troisième degré de juridiction. En revanche, il nous paraît indispensable de remédier à l'erreur judiciaire. Il nous est insupportable de penser que le système actuel conduit des innocents en prison. L'analyse des décisions criminelles rendues en appel entre 2003 et 2005 est particulièrement éclairante. Sur les 1 262 personnes rejugées en appel d'une condamnation, 64 ont finalement été acquittées. Il y avait donc eu une erreur dans 64 dossiers. C'est beaucoup en comparaison des 8 condamnations criminelles qui ont été révisées depuis 1989.

Par ailleurs, l'extraordinaire évolution de la police technique et scientifique, en particulier dans le domaine de l'ADN – on peut connaître l'identité d'une personne à partir de traces biologiques infimes –, mais aussi dans le domaine de l'expertise en écritures, de l'analyse des voix et des odeurs, aurait dû conduire à plus grand nombre de décisions de révision, comme cela a été le cas aux États-Unis.

Un consensus s'est établi sur la nécessité de modifier les dispositions relatives à la révision des condamnations pénales. Nous nous félicitons également de l'accueil très favorable que nous ont réservé les magistrats. Je tiens à souligner que ces erreurs judiciaires ne sont pas fautives : nous sommes persuadés que le monde judiciaire travaille avec toute la rigueur nécessaire. M. le premier président de la Cour de cassation nous a d'ailleurs reçu longuement pour que nous trouvions, ensemble, des solutions qui respectent le monde judiciaire. Le chemin était étroit, comme l'a dit la garde des Sceaux elle-même ; les propositions que nous formulons vont permettre, à l'avenir, d'améliorer le fonctionnement de ces procédures.

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