Intervention de Georges Fenech

Réunion du 4 décembre 2013 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech, rapporteur :

Je suis particulièrement heureux de soumettre à votre approbation, au nom de la commission de Lois et pour le compte de l'opposition, ce rapport sur la réforme des procédures de révision et de réexamen des condamnations pénales définitives. Notre approche commune a été saluée, quelles que soient leurs sensibilités et leurs appartenances, par l'ensemble des personnes que nous avons rencontrées. Je tiens tout particulièrement à remercier le président Jean-Jacques Urvoas, qui nous a accordé une totale confiance, ainsi que mon collègue Alain Tourret pour son engagement, son écoute et son humanisme.

La confiance dans la justice passe aussi par la capacité du système judiciaire à rectifier et réparer une erreur judiciaire sans chercher à toujours s'abriter derrière le sacrosaint principe de l'autorité de la chose jugée. Certes, la paix sociale et le respect dû aux décisions des cours et tribunaux impose que la voix révisionnelle soit strictement encadrée. Dans le même temps, l'idée qu'un innocent continue à subir les effets d'une condamnation heurte notre conscience et, par le sentiment d'injustice qu'elle répand, trouble fortement et durablement l'opinion publique, parfois même à travers les siècles. Les affaires Calas et Dreyfus sont toujours présentes dans la mémoire collective. Ne dit-on pas qu'il vaut mieux avoir dix coupables en liberté plutôt qu'un seul innocent en prison ?

Or, le très faible nombre de révisions – une dizaine ont été admises depuis 1945, chiffre pour lequel nous n'avons d'ailleurs pas de certitude – est-il le signe d'une justice infaillible ? Je ne le crois pas. Cela démontre plutôt que la procédure actuelle doit être modifiée dans un sens favorable aux victimes d'erreurs inhérentes à la fonction de juger. Toutes les personnes entendues, ainsi que les rapports annuels de la Cour de cassation, nous ont convaincus de la nécessité de modifier le système issu de la loi du 23 juin 1989.

En ce qui me concerne, je soumettrai à votre approbation les deux éléments centraux de ce rapport : d'une part, la nécessité de créer une cour unique de la révision et du réexamen ; d'autre part, la nécessité de qualifier le doute permettant d'ouvrir un recours en révision.

L'organisation actuelle est éclatée, complexe, source de décisions en apparence contradictoires. Ces dernières années, deux affaires ont suscité une incompréhension légitime : l'affaire Leprince et l'affaire Seznec. La commission de révision avait estimé que ces deux requêtes devaient être admises ; la Cour de révision les a rejetées. Ces appréciations contradictoires viennent du fait que la commission comme la Cour peuvent vérifier la recevabilité de la requête, procéder à des mesures d'instruction, décider de suspendre la peine du requérant, et surtout, se prononcer sur le fond du dossier, donnant ainsi le sentiment d'un véritable doublon judiciaire, sentiment renforcé par le fait que ces deux juridictions sont toutes deux composées de magistrats de la Cour de cassation.

Le système actuel présente un autre inconvénient majeur : la loi ne décrit que sommairement la procédure applicable devant la commission de révision, ainsi que ses pouvoirs d'investigation. Par ailleurs, la loi est muette sur la composition même de la Cour de révision. L'article 623 du code de procédure pénale dispose en effet que la commission de révision saisit la chambre criminelle qui statue comme Cour de révision. Elle peut donc siéger en formation plénière, mais n'y est nullement contrainte ; de fait, la pratique a varié. Cette liberté donnée à la Cour de fixer elle-même sa composition porte une indéniable atteinte à son impartialité. Enfin, la présence de seuls magistrats issus de la chambre criminelle crée des suspicions, fondées ou non, de corporatisme et donc de partialité.

Pour toutes ces raisons, nous proposons de créer une cour unique de révision et de réexamen afin d'éviter tout hiatus et de lever toute suspicion. Cette cour sera composée de dix-huit magistrats, à raison de trois magistrats élus par l'assemblée générale de la Cour de cassation au sein de chacune de six chambres qui composent actuellement la Cour. La présidence en sera confiée au président de la chambre criminelle. Chaque titulaire aura un suppléant désigné dans les mêmes conditions, pour une durée de trois ans renouvelable une fois. Cette même cour statuera en matière de réexamen, en cas de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme. En assurant ainsi la participation de magistrats aux horizons variés à la cour de révision et de réexamen, cette composition la fera définitivement échapper aux critiques.

Il appartiendra à la cour de révision et de réexamen de désigner, en son sein, les cinq magistrats qui composeront une commission d'instruction des demandes en révision et en réexamen. Par cette nouvelle dénomination, nous évitons également la confusion actuelle entre la commission de révision et la Cour de révision : comment voulez-vous que les justiciables saisissent la différence qui existe entre ces deux instances ? La commission de révision, qui est en réalité une juridiction d'instruction, doit donc être rebaptisée. Bien entendu, les magistrats qui composeront cette juridiction ne siègeront pas au sein de la Cour ; nous respecterons en cela le principe constitutionnel et européen de séparation des fonctions d'instruction et de jugement.

Par ailleurs la commission d'instruction verra ses pouvoirs clairement définis, ce qui n'est pas le cas actuellement. Elle aura pour tâche de s'assurer de la recevabilité des demandes, comme c'est le cas aujourd'hui. Mais la nouveauté que nous souhaitons introduire réside dans le fait qu'après la mise en état du dossier, la commission se contentera de transmettre le dossier à la Cour. Seule celle-ci prendra la décision définitive d'acceptation ou de rejet, évitant ainsi tout risque de confusion voire de contradiction.

J'ajoute que les droits du requérant seront clairement définis : accès au dossier, demande d'acte, assistance d'un avocat. Il en sera de même pour la partie civile. Enfin, nous proposons d'élargir le recours en révision aux personnes pacsées, aux concubins, aux petits-enfants, mais aussi au procureur général près la Cour de cassation comme aux procureurs près les cours d'appel. Le garde des Sceaux conservera cette prérogative, qui n'entre nullement en contradiction avec la fin des instructions individuelles récemment adoptée.

J'en viens au second point de la réforme, qui est probablement le plus difficile. Nous proposons de qualifier, dans la loi, la nature du doute permettant la révision. La grande avancée de la loi du 23 juin 1989, outre le fait qu'elle a judiciarisé le filtrage des demandes auparavant effectué par le garde des Sceaux, a déjà modifié cet élément. Auparavant, il fallait établir l'innocence du condamné, ce qui restreignait considérablement les chances de succès d'une requête en révision. Le législateur de 1989 a rendu la révision possible lorsqu'« après une condamnation, vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ».

Je précise que le législateur n'a volontairement pas retenu la notion de « doute sérieux » jusqu'ici employée par la jurisprudence. Ce faisant, il a clairement indiqué au juge qu'un doute simple devait conduire à la révision. Or, force est de constater que le législateur et le juge n'entendent pas le doute de la même façon. D'ailleurs, M. Bertrand Louvel, président de la chambre criminelle, a clairement indiqué, dans sa contribution écrite, qu'un doute « raisonnable » sur la culpabilité est nécessaire à la révision. Or, le doute raisonnable n'est pas équivalent au doute sans qualificatif actuellement prévu par la loi, qui est de fait un doute simple.

Dans les faits, lorsqu'on examine la dizaine de cas dans lesquels la révision a été admise, on constate que, chaque fois, la preuve de l'innocence a été rapportée. Dans l'affaire Machin, il a fallu qu'un second individu récidive, en tuant à nouveau une femme près du pont de Neuilly, et qu'il s'accuse du meurtre pour que la révision de la condamnation ait lieu. Il en va de même dans une affaire où un bulletin d'hospitalisation psychiatrique a été fortuitement découvert qui innocentait le condamné. À chaque fois, c'est la preuve de l'innocence qui est rapportée. D'ailleurs, comme nous l'ont fait remarquer les représentants du Syndicat de la magistrature, si le terme « sérieux » a disparu de la loi, il est toujours présent dans la tête des juges. Ainsi, depuis 1989, aucun dossier n'a été soumis à une nouvelle cour d'assises sur le fondement d'un doute simple. C'est pourquoi, avec mon collègue Alain Tourret, nous avons la conviction qu'il faut qualifier ce doute. Du reste, le droit pénal est familier de la gradation.

Pour être tout à fait honnête, plusieurs personnes entendues ont soutenu que cette modification était inutile, le doute exigé par la loi étant d'ores et déjà un doute simple. Nous souhaitons mettre un terme à ce débat et préciser, dans la loi, que le moindre doute doit entraîner la révision. Un doute ne se dissèque pas : il y a doute, ou il n'y a pas doute. Dès qu'un doute apparaît, quelle que soit sa force, il doit bénéficier au condamné, comme il profite à l'accusé. J'espère que vous partagerez notre conviction. Ainsi, sans bouleverser la rédaction actuelle du texte, nous vous proposons que le moindre doute puisse donner lieu à la révision de la condamnation ; il appartiendra bien entendu à la cour d'assises désignée pour rejuger l'affaire de dire si ce doute est suffisant pour modifier l'issue du procès.

Je conclus en vous faisant part d'une conviction profonde : il nous revient de décider, je l'espère unanimement, de cette avancée du droit, de la vérité et de la justice. Nous aurons ainsi participé, ensemble, à un moment de l'histoire judiciaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion