Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 10 décembre 2013 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'engagement des forces armées en république centrafricaine et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mesdames les présidentes des commissions, mes chers collègues, avant toutes choses je souhaite à mon tour exprimer, en mon nom et en celui du groupe écologiste, une profonde solidarité à l’égard des familles des soldats Vokaer et Le Quinio, tués hier soir près de l’aéroport de Bangui alors qu’ils effectuaient une patrouille de nuit.

Jeudi 4 décembre, au terme d’une semaine de violences opposant rebelles de la Sélékaet milices anti-balaka, le Conseil de sécurité des Nations uniesa décidé d’autoriser le recours à la force en République centrafricaine. Il l’a décidé à l’unanimité, au titre du chapitre VII de sa charte.

Depuis plusieurs mois, responsables politiques et observateurs avaient alerté sur les risques d’une dérive du conflit inter-religieux en Centrafrique et mis en garde contre la menace d’un génocide ethnique. La crise qui sévit en Centrafrique est en réalité beaucoup plus complexe que cela. Elle résulte de causes multiples et ne saurait se résoudre à une analyse monolithique.

N’ayons pas peur de le dire, la France a une responsabilité liée à l’histoire coloniale dans la faillite de l’État centrafricain. C’est notamment parce qu’elle a eu recours à des sociétés concessionnaires privées durant la colonisation que l’État centrafricain s’est trouvé dépourvu des moyens budgétaires et institutionnels nécessaires à l’exercice de sa souveraineté sur l’ensemble du territoire, à partir de l’indépendance.

Cette configuration a engendré une fracture entre la capitale, où s’exerçait le contrôle de l’État et l’exploitation organisée des richesses, et le reste du pays, marginalisé et livré à lui-même.

C’est cet éclatement de l’État centrafricain qui a constitué le terreau propice a l’émergence de groupes armés, d’abords dans les régions de l’est, puis sur l’ensemble du pays lorsque ces groupes se sont structurés en rébellion.

Initialement motivée par des ambitions économiques, la violence s’est progressivement propagée sur les terrains politiques et identitaires. Aujourd’hui, le risque d’une dérive confessionnelle mettant aux prises plus de quatre-vingt-dix groupes ethniques est réel et menace la stabilité de la région tout entière.

Dans ce contexte, la France a pris le parti d’intervenir militairement pour endiguer une dynamique de catastrophe humanitaire. Elle le fait dans le cadre strict de la légalité internationale. Elle le fait avec le concours des organisations panafricaines. Elle le fait, enfin, à la demande des partenaires africains et de ce qu’il reste d’État en Centrafrique.

Dans la mesure où l’opération Sangaris répond à une situation d’urgence sanitaire et s’inscrit dans un cadre multilatéral adapté, le groupe écologiste la soutient. Pour autant, cette adhésion ne saurait nous conduire à faire l’économie d’une réflexion sur les objectifs de cette intervention, et plus globalement sur le sens que nous souhaitons donner à la politique étrangère de la France sur le continent africain.

La finalité première de cette intervention est de « sauver des vies », comme l’a indiqué le Président de la République dans son allocution du 6 décembre dernier. En intervenant militairement, la France doit mettre fin aux exactions et offrir une aide humanitaire aux 500 000 réfugiés recensés dans l’ensemble du pays. À cet égard, il est essentiel de préciser que la reprise de l’aide française, suspendue depuis le coup d’État de mars 2013, doit satisfaire aux critères de bonne gestion et de transparence. Nous faisons toute confiance au Gouvernement et au ministre délégué chargé du développement pour restaurer cette coopération avec efficacité.

Pour permettre aux acteurs locaux et internationaux de remplir pleinement leur mission d’assistance, les forces françaises devront assurer la sécurité du territoire. À cette fin, le désarmement de la rébellion et des milices d’autodéfense a été érigé en priorité. Mais plusieurs interrogations demeurent. Comment identifier les anciens combattants, désormais cachés dans la population ? Comment éviter un climat de délation qui enracinerait les tensions ethnico-religieuses pour longtemps ? Comment parvenir à démilitariser 20 000 hommes en quelques mois ? Et à qui confier la responsabilité du traitement judiciaire des belligérants qui pourraient être faits prisonniers ? De toute évidence, la sécurisation du pays ne peut être traitée indépendamment du processus de transition politique.

J’en arrive ainsi au troisième objectif de l’intervention française : l’organisation d’un processus électoral, seul mécanisme pouvant redonner à l’État centrafricain une figure et une légitimité. Dans ce cas encore, la question de l’encadrement de la transition politique doit être clarifiée. La France a vocation à construire la paix, non l’État qui en résultera. Un point d’équilibre doit impérativement être trouvé pour qu’à l’assistance militaire et humanitaire ne succède pas l’ingérence. La question se pose donc de savoir quels acteurs locaux et régionaux seront associés à l’élaboration d’une feuille de route pour la transition politique et qui en assurera le respect.

Par ailleurs, il est clair que la tenue d’élections ne suffira pas à ramener le calme et la stabilité dans l’ensemble du pays. Les agences internationales n’ont pas attendu mars 2013 pour mener des initiatives de consolidation de la paix et nombre d’entre elles ont été infructueuses, à l’instar du processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion lancé par l’ONU en 2009. La France aujourd’hui, la communauté internationale demain, doivent prendre acte du fait que l’objectif d’un État centralisé et démocratique n’est pas partagé par l’ensemble des acteurs locaux.

Dans certaines régions, des économies parallèles se sont créées, outrepassant parfois la logique des frontières territoriales et générant des richesses et des intérêts. Une sortie de crise ne s’obtiendra qu’au prix d’une réponse globale comprenant certes des élections, mais également une structure étatique sur l’ensemble du territoire, un meilleur contrôle des frontières et, surtout, des mécanismes de paix et de réconciliations permettant de reconstruire un tissu social éclaté.

Enfin, mes chers collègues, l’opération Sangaris appelle de notre part une réflexion plus générale sur la trajectoire et le sens que nous entendons donner à notre politique extérieure sur le continent africain. Le sommet de l’Elysée qui s’est tenu la semaine dernière, dans le sillage des opérations malienne et centrafricaine, est justement venu rappeler la nécessité de soutenir ce que l’on appelle l’ « africanisation de la sécurité » en Afrique.

L’objectif de ce processus, à terme, est de mettre en place des forces de réaction rapides capables d’intervenir sur n’importe quel théâtre africain sous l’autorité des agences régionales que sont l’Union africaine et la communauté économique des États de l’Afrique centrale. La France devra soutenir ce projet en participant aux programmes de formation et d’entraînement, à l’image de ce qu’elle fait aujourd’hui en Ouganda et à Djibouti, par exemple.

Mais, encore une fois, des initiatives ont déjà été menées dans ce sens, notamment, le programme RECAMP lancé en 1997 destiné à renforcer les capacités africaines de maintien de la paix. Leurs résultats se font toujours attendre.

A cet égard, je soulignerai simplement que le sommet de l’Elysée a fixé comme objectif de créer en Afrique ce que la France n’est jamais parvenue à impulser en Europe, à savoir une défense à l’échelle du continent. Pour sa part, le groupe écologiste l’appelle toujours de ses voeux.

Puisque nous parlons d’Europe, la lucidité commande de constater que la crise centrafricaine confirme combien la France est bien seule lorsqu’il faut agir. La séquence qui a précédé le vote de la résolution de l’ONU a illustré, une fois de plus, des comportements que je qualifierais d’individualistes de la part de certains partenaires. Il est temps de placer les puissances face à leurs responsabilités. Le non-interventionnisme allemand, par exemple, qui a été érigé en concept au lendemain de la deuxième guerre mondiale, est depuis longtemps dépassé.

L’argument de l’absence de liens historiques ne peut plus conditionner la solidarité internationale, bien au contraire. Notre diplomatie devra s’atteler à défendre le principe d’une plus grande implication sécuritaire de nos partenaires européens sur la scène africaine. La question de l’effort financier ou, a contrario, de l’égoïsme financier, se pose également en Europe.

Cette implication européenne doit s’inscrire dans le cadre d’un engagement des pays de l’Union européenne dans la construction progressive d’un ordre international fondé sur le droit et la défense des valeurs universelles. Il ne sert à rien de prétendre, comme M. Jacob vient de le faire au nom du groupe UMP, que nous agissons au nom d’intérêts sécuritaires ou économiques propres à la France en République centrafricaine, sauf à retomber dans le schéma que l’on a appelé « la Françafrique ».

Si tant est que la page soit clairement et définitivement tournée, il ne faut rien faire qui puisse donner prétexte, en Europe comme en Afrique et donc à l’ONU, à l’expression des égoïsmes des intérêts nationaux. Le chemin pour en sortir est long et ardu mais si l’on ne regarde que les intérêts économiques, autant acter dès aujourd’hui ce que l’on devrait appeler « la Chinafrique ».

En définitive, c’est animés par l’esprit de responsabilité que nous soutenons cette intervention militaire et c’est avec le même esprit de responsabilité que nous appelons de nos voeux une sortie de crise politique concertée et accompagnée dans la durée ainsi qu’à une redéfinition de ce que l’on appelle la politique africaine de la France.

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