J'évoquerai les coûts de production dans une perspective internationale, avant de présenter succinctement deux études que nous venons de réaliser.
Dans notre pays, le coût horaire moyen d'une heure de travail effectif se situait en 2008 – la situation ayant peu évolué depuis lors – à 31,8 euros, soit un niveau significativement supérieur à celui de la zone euro. Il est plus élevé en Belgique et au Danemark, mais inférieur en Allemagne et encore plus faible en Italie ou en Espagne.
En ce qui concerne l'évolution du coût salarial unitaire, le coût salarial rapporté à la production, la France se trouve dans une situation intermédiaire entre l'Espagne ou l'Italie, et l'Allemagne qui, ces dernières années, a réalisé des progrès considérables. La productivité allemande a subi un choc après la réunification, avant de se redresser progressivement pour passer au premier plan de l'Europe. La situation de la France s'est fortement dégradée pendant la même période.
Comparons à présent salaire « superbrut », soit le total versé par l'entreprise pour chaque salarié, et productivité. À la fin des années 70, le salaire « superbrut » progresse plus fortement que la productivité, ce qui entraîne un coût pour les entreprises. La courbe s'inverse ensuite. La situation est stable pendant les années 90, où le ralentissement des gains de productivité s'accompagne d'une certaine modération salariale. Entre 1983 et 1989, le salaire net évolue peu ou de manière négative, même quand le salaire « superbrut » augmente assez fortement, car la hausse est absorbée par la protection sociale : autrement dit, les gains de productivité ne profitent à la rémunération directe des salariés car ils sont intégralement absorbés par la hausse du coût de la protection sociale. Le phénomène n'est pas propre à la France mais la France est particulièrement touchée.
Depuis 1995, la productivité de l'Espagne ou de l'Italie, inférieure à la moyenne européenne, n'a pas rattrapé celle des autres pays. C'est le coeur des difficultés qui ont produit la crise européenne. On escomptait que, grâce à l'Union, la productivité des États convergerait permettant une convergence des salaires sans aggravation des écarts de compétitivité. Or l'Allemagne ayant fait preuve de plus de modération salariale que les pays dits méditerranéens, les écarts de compétitivité se sont creusés. Un important décrochage s'est produit en 2008 et 2009. Pendant la crise économique, la plupart des pays, à l'exception de l'Espagne, ont imité la politique de rétention de main-d'oeuvre pratiquée par l'Allemagne qui n'a pas hésité pas à conserver les emplois même quand la production plongeait. Cette stratégie, qui fait fléchir la compétitivité pendant la crise économique, peut être rentable à long terme, la présence de salariés qualifiés permettant à l'entreprise de repartir du bon pied après la crise.
En France, la part de la rémunération du travail qui entre dans la valeur ajoutée est relativement stable, mais son niveau élevé, qui favorise les salariés, limite la capacité des entreprises à constituer des marges susceptibles, en particulier, de permettre un niveau élevé d'investissement. En Allemagne, sa diminution, entre 1995 et 2010, a permis aux entreprises de renforcer leur compétitivité.
Dans notre pays, les coûts salariaux unitaires, stables dans l'industrie, ont connu une hausse constante dans le secteur marchand. Tandis que l'Allemagne les a maîtrisés dans tous les secteurs, nous les avons laissé augmenter, notamment dans les services ou la construction. Ils pèsent sur la compétitivité globale, puisque l'industrie a de plus en plus recours aux services de conseil, de maintenance ou d'informatique.
La différence entre coût « superbrut » et salaire versé est particulièrement élevée en France, du fait de l'importance des charges sociales. La stratégie ciblant les allégements de charges sur les bas salaires a profité aux services plus qu'à l'industrie dans la mesure où celle-ci compte plus d'emplois relativement qualifiés ou très qualifiés et verse des salaires plus élevés. Ce décrochage n'a pas été constaté en Allemagne. A vrai dire ce n'était pas le seul ni même le principal objectif des allégements de charges : ils ont peu favorisé la compétitivité industrielle, mais ils avaient pour objectif de ramener vers l'emploi des personnes peu qualifiées, particulièrement sensibles à la rémunération.
J'en viens aux deux études du Centre d'analyse stratégique auxquelles j'ai fait allusion.
La première concerne les salaires et les politiques salariales.
Bien que, depuis 1982, la France connaisse une certaine modération salariale et un resserrement de l'éventail des rémunérations, on constate de nouvelles disparités liées à la croissance rapide des hauts salaires et à la progression de nouvelles formes d'emploi, comme le temps partiel ou les contrats autres que les CDI. Les politiques de rémunération s'individualisent, notamment par le biais des primes individuelles, les établissements faisant le choix d'une plus grande souplesse en matière salariale.
Le système français est dual. Les pouvoirs publics interviennent dans la formation des bas salaires par le biais du SMIC et des mesures réduisant le coût du travail peu qualifié, comme la prime pour l'emploi (PPE), le revenu de solidarité active (RSA) ou les baisses de charges sur les bas salaires. Parallèlement, la place du dialogue social est réduite, la négociation collective dans l'entreprise se développant plus que la négociation de branche, ce qui favorise l'individualisation des salaires.
Le Centre d'analyse stratégique a proposé qu'on instaure un point d'étape annuel, comme il en existe dans d'autres pays. Un rendez-vous national inscrit dans le cadre d'une discussion macroéconomique permettrait aux partenaires sociaux de concilier la négociation salariale et le souci de la compétitivité.
La seconde étude porte sur l'ajustement de l'emploi et des heures travaillées pendant la crise. Les pays ont réagi très différemment au choc économique, qui s'est traduit par une baisse de la demande entraînant une chute de la valeur ajoutée. Au Royaume-Uni, le choc été compensé presque parfaitement par une baisse de l'emploi de même ampleur. En Espagne, surtout dans le secteur de la construction, il a été surcompensé, ce qui a entraîné des gains de productivité : la crise a joué le rôle d'un signal qui a permis de réduire les sureffectifs. En Allemagne, il a été sous-compensé, les entreprises préférant conserver leurs salariés pour mener une stratégie de long terme et en utilisant de manière massive le chômage partiel.. La France a également choisi de préserver l'emploi, mais elle a recouru dans une moindre mesure au chômage partiel. De plus, l'Allemagne, qui fabrique des produits différenciés, a pu augmenter ses prix, ce qui lui a permis de s'ajuster dans de meilleures conditions que la France.