Le titre IV du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt est consacré à l'enseignement technique agricole, deuxième réseau éducatif du pays qui compte 170 000 élèves, à l'enseignement supérieur agricole, qui comprend certaines de nos plus grandes écoles, et à la recherche agricole dont l'excellence est d'ores et déjà reconnue. Il réaffirme l'ambition de disposer d'un appareil de formation et de recherche innovant tourné vers l'avenir, et vise à donner au secteur concerné les outils permettant de répondre aux défis agricoles et alimentaires d'aujourd'hui et de demain.
Trois enjeux sont au coeur de ces mesures.
Le premier recouvre une réalité simple aux ressorts complexes : il faut nourrir les habitants de notre planète, ceux d'aujourd'hui comme ceux de demain. Une fois présentée cette nécessité se posent les questions auxquelles notre génération et les suivantes doivent apporter des réponses. Notre réflexion doit ainsi prendre en compte plusieurs données : le facteur démographique, dans la mesure où notre planète devrait compter neuf milliards d'habitants en 2050 contre sept actuellement ; la diminution des terres disponibles, liée notamment à l'urbanisation et au changement climatique ; et les disparités dans les dépenses d'alimentation. Alors que pour beaucoup de ménages ces dernières demeurent contraintes, une transition alimentaire est à l'oeuvre à l'échelle mondiale, en particulier dans les pays émergents où les nouveaux urbains consomment, par exemple, plus de lait ou de viande.
En 2011, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture prévoyait que la production agricole devrait s'accroître de plus des deux tiers d'ici à 2050 pour répondre à ces défis. C'est pourquoi il est impératif d'engager la transition de l'agriculture française vers une double performance, économique et écologique, et de préparer les générations futures à ce nouveau modèle agro-écologique.
Ainsi, dès lors que l'on admet que, demain, il faudra produire autant, voire plus, mais autrement, il est indispensable de faire de l'enseignement agricole la clef de voûte des politiques publiques destinées à favoriser l'agro-écologie. Il est à cet égard positif que cet enseignement soit intégré dans ce projet de loi d'avenir pour l'agriculture et qu'il ne soit pas abordé dans un texte distinct.
Le second enjeu consiste à matérialiser l'ambition d'un enseignement agricole comme levier de promotion sociale, d'insertion professionnelle et de développement des territoires. Pour cela, il convient de s'appuyer sur les atouts de cet enseignement, et ils sont nombreux : petite taille des établissements ; internats très présents ; grande place accordée à la pédagogie de situation, à l'expérimentation grâce aux exploitations rattachées aux lycées agricoles, à l'apprentissage et à l'alternance ; ouverture des instances de gouvernance aux élus et aux professionnels de l'agriculture. Bref, pour reprendre les propos du président de l'Observatoire national de l'enseignement agricole (ONEA), M. Henri Nallet, nous pouvons dire que ce qui fait la force de l'enseignement agricole, « c'est son humanité ».
Dans cette dynamique propre à cet enseignement, les articles 26 et 27 comprennent un ensemble de mesures en faveur de la réussite scolaire et de la promotion sociale.
Il convient d'évoquer tout d'abord le dispositif d'acquisition progressive des diplômes de l'enseignement agricole, qui reposera sur une attestation et devrait fonctionner comme un « mécanisme d'assurance », valorisant la réussite partielle et les acquis d'un élève ayant échoué aux examens. Il donnera ainsi une deuxième chance, illustrant notre volonté de ne laisser personne de côté et de lutter contre le décrochage scolaire.
Il faut ensuite citer la possibilité donnée au ministre de l'agriculture de créer une voie d'accès spécifique aux écoles d'ingénieurs pour les bacheliers professionnels ayant suivi une classe préparatoire. Cette disposition fait suite aux propositions émises par notre collègue Carole Delga, qui a recommandé la mise en place de parcours attractifs vers les écoles supérieures pour les élèves de l'enseignement technique, alors qu'ils ne sont aujourd'hui que 10 %, environ, à intégrer des établissements d'enseignement supérieur agricole.
Enfin, le texte consacre légalement le médiateur de l'enseignement agricole dont l'existence repose actuellement sur une simple note de service d'octobre 2000, ce qui facilitera le développement de relations de qualité entre ce service public et ses agents et usagers, un climat plus serein étant nécessaire pour faire aboutir les réformes proposées.
Le troisième et dernier enjeu est relatif au pilotage de l'enseignement supérieur et de la recherche agricole français, à sa lisibilité sur le plan national et à son attractivité internationale.
Les auditions m'ont convaincu que, dans ce domaine, nous n'avons pas d'autre choix que de faire du « commun », sur des projets nationaux comme internationaux. En effet, alors que le système universitaire et de recherche est marqué par des enjeux disciplinaires traités localement par les établissements, dans les secteurs agricole et agronomique, ceux-ci sont, de toute évidence, thématiques.
Les rapports de MM. Bernard Chevassus-au-Louis et Stéphane Martinot nous enseignent qu'un certain nombre de missions à vocation nationale ou internationale nécessitent un niveau de mise en commun important, que ce soit sous forme de coordination ou de mutualisation.
Selon M. Chevassus-Au-Louis, la création d'un grand pôle agronomique national, qui viserait à « fédérer » les écoles actuelles, pourrait « permettre de répondre à de nombreux enjeux majeurs que les établissements ne sont pas en mesure d'affronter seuls ». Cette remarque est encore plus prégnante lorsque l'on constate, en particulier dans le domaine de la sécurité alimentaire, que la France perd des points et qu'elle n'est pas en mesure de défendre ses positions en raison de la relative petitesse des structures nationales. Je rappelle que, dans notre pays, l'établissement « moyen » compte 600 étudiants et 75 enseignants-chercheurs ou scientifiques alors qu'aux Pays-Bas, l'université de Wageningen rassemble, par exemple, 10 000 étudiants et 6 000 membres du personnel.
Dès lors, atteindre une « taille critique » est la condition sine qua non pour que nous puissions nous positionner sur des appels à projets jusqu'à présent inaccessibles. Elle doit permettre d'accroître la reconnaissance internationale de l'excellence de la « marque France » en matière de formation et de recherche agricole.
Engagée dans une certaine mesure par le consortium Agreenium, cette démarche se matérialise dans le projet d'un Institut agronomique et vétérinaire de France (IAVF). Ce nouvel institut propose une gouvernance souple permettant de structurer la coopération entre les acteurs tout en respectant leur identité. En d'autres termes, il concilie les politiques de site soutenues par chaque école et la mise en oeuvre d'orientations stratégiques nationales. Il se présente comme la vitrine, au niveau international, de l'excellence de l'école française de formation vétérinaire et agronomique et il a vocation à devenir le « bras armé » de notre vision de l'agriculture.
Parce qu'ils répondent concrètement à ces trois enjeux et qu'ils relèvent ces trois défis, les articles 26 et 27 du projet de loi portent une ambition renouvelée pour la formation et la recherche agricole.
L'article 26 fixe à l'ensemble des opérateurs de la formation et de la recherche agricole un but premier : l'acquisition et la diffusion de connaissances permettant de répondre aux enjeux de la performance des activités liées à l'agriculture, à l'alimentation et aux territoires. La performance est évidemment comprise dans toutes ses dimensions : elle est économique, écologique, sociale et sanitaire.
D'autres dispositions de l'article 26 confortent cette mise en cohérence. Il est, en particulier, prévu que les projets des établissements d'enseignement devront être élaborés en respectant les orientations des politiques publiques pour l'agriculture. Autrement dit, ces projets devront appuyer localement la mise en oeuvre des plans d'actions qui visent à modifier les pratiques professionnelles.
L'article 27 du projet de loi traite de l'enseignement supérieur. Il propose, en premier lieu, d'en réactualiser les missions. Les objectifs des formations seront redéfinis autour de la mixité sociale, de l'ambition européenne, du développement durable et du lien à construire entre les deux niveaux de formation, l'enseignement supérieur devant appuyer l'enseignement technique.
En second lieu, l'article 27 prévoit de créer l'IAVF, évoqué précédemment, qui rassemblera les douze écoles sous tutelle du ministre de l'agriculture et, sur la base du volontariat, d'autres établissements d'enseignement et de recherche. Outre les missions déjà mentionnées, et en résonance avec l'importance accordée à la formation des enseignants dans la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, cet institut aura vocation à coordonner la formation des personnels de l'enseignement agricole au niveau national.
Je salue le travail de concertation engagé dès sa prise de fonction par le ministre de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll, qui nous conduit à discuter aujourd'hui de ce projet de loi.
En définitive, une même ligne de conduite inspire la loi du 8 juillet 2013 sur la refondation de l'école de la République, la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche et le volet « enseignement » du présent projet de loi. Ces trois textes font en effet le pari que le redressement de notre pays ne pourra se faire qu'en investissant dans l'intelligence. Tel est le but du titre IV du projet de loi qui, tout en renforçant le rôle d'ascenseur social de l'enseignement agricole, le définit comme le moteur des politiques publiques destinées à promouvoir l'agroécologie en France et dans le monde afin de répondre aux défis agricoles et alimentaires de demain. Après avoir présenté quelques amendements, je proposerai en conséquence à la Commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des articles 26 et 27.