Intervention de Alain Tourret

Réunion du 11 décembre 2013 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret, rapporteur :

Le groupe politique auquel j'appartiens a émis de grandes réserves lors de l'examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique. Son président, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, a même estimé en séance que certaines de ses dispositions étaient « insolites », ce qui, dans sa bouche, n'est pas peu dire. Ce qualificatif concernait en particulier les « lanceurs d'alertes », et certains ont même parlé du risque de « démocratie paparazzi ». Mais le temps du fracas est passé ; il faut désormais que la loi s'applique.

La loi du 11 octobre 2013 crée des obligations nouvelles et institue une autorité administrative indépendante chargée de veiller à leur mise en oeuvre. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera composée de neuf membres : son président, nommé par décret du président de la République, deux conseillers d'État, deux conseillers à la Cour de cassation, deux conseillers-maîtres à la Cour des comptes, et deux personnalités qualifiées nommées, l'une par le Président de l'Assemblée nationale, l'autre par le président du Sénat. La durée de leur mandat, non renouvelable, est fixée à six ans. Il est incompatible avec tout mandat ou fonction dont les titulaires sont assujettis aux obligations déclaratives prévues par la loi relative à la transparence.

Pour l'essentiel, les pouvoirs de la Haute Autorité concernent, d'une part, les conflits d'intérêts et, d'autre part, les déclarations de patrimoine et d'intérêts. Son champ de compétence ne se limite pas aux seuls parlementaires : sont également concernés les membres du Gouvernement, certains titulaires de fonctions exécutives locales, les collaborateurs de cabinet, les membres d'autorités indépendantes, les titulaires d'emplois ou de fonctions à la décision du Gouvernement, les présidents et directeurs généraux d'un certain nombre de sociétés ou d'organismes sur lesquels l'État exerce un contrôle total ou partiel. Le périmètre d'intervention de la Haute Autorité concerne donc la « fine fleur » de la France politico-administrative, soit environ huit mille personnes, peut-être même plus.

Aux termes de l'article 20 de la loi relative à la transparence, la Haute Autorité devra d'abord se prononcer sur la situation pouvant constituer un conflit d'intérêts pour les non-parlementaires. Il s'agit d'évidence d'une mission essentielle. La République ne peut admettre ni conflit d'intérêts, ni confusion de situations. Chacun se souvient de l'inoubliable président du Conseil incarné par Jean Gabin – et inspiré par la figure de Georges Clemenceau, radical si cher à l'actuel ministre de l'intérieur – qui, dans le film d'Henri Verneuil Le Président, désigne les uns après les autres les parlementaires à leur banc en énumérant leurs liens avec les puissances industrielles ou financières. Le fait est que les marchands de canons ont eu, avec Eugène Schneider, un président de l'Assemblée. Quant à Edgar Faure, qui présida également notre assemblée de 1973 à 1978, ses talents d'avocat d'affaires et de conseiller spécial du Roi du Maroc n'étaient ignorés de personne. Certes, ils étaient parlementaires et, à ce titre, ils n'auraient pas été soumis au volet « conflit d'intérêts » de la loi de 2013, mais l'image que ces situations a pu donner reste forte. La notion de conflit d'intérêts concerne tous les non-parlementaires – mais il est vrai que la zone grise du pouvoir économico-administratif a souvent été dénoncée.

La Haute Autorité devra ensuite recevoir, vérifier et contrôler les déclarations de patrimoine. Il ne s'agit pas d'établir un tableau d'excellence des moins fortunés d'entre nous ou une liste de délinquants présumés, mais de vérifier si des augmentations de patrimoine ou des variations de fortune sont dues à des relations malsaines, à des actes de concussion ou de corruption. L'activité de la Haute Autorité ne sera pas simple. Elle devra établir sa propre jurisprudence, renseigner ceux qui s'adresseront à elle, et d'abord faire preuve de pédagogie. Le but n'est pas la sanction mais la plus grande transparence de la situation des huit mille personnes concernées – car si l'État doit être irréprochable, les élus, les fonctionnaires et les dirigeants doivent l'être également. Depuis longtemps, le peuple n'a plus confiance dans ses élites. Il réclame des comptes. Il préfère Cicéron et Cincinnatus à Verrès et Catilina et Saint-Just à Fabre d'Églantine – le merveilleux auteur d'Il pleut bergère, qui était une canaille sympathique, mais une canaille tout de même ! La virtus romaine et la vertu républicaine doivent retrouver leur place au centre de notre République. La création de la Haute Autorité constitue une chance pour la République, alors que la France figure cette année en vingt-deuxième position du classement mondial de Transparency International, et en dixième position pour l'Europe. Selon cette organisation non gouvernementale, qui a présenté son dernier rapport le 3 décembre, la loi du 11 octobre 2013 constitue une avancée indiscutable en matière de prévention des conflits d'intérêts. Elle arrive à point quand les Français déclarent à 57 % avoir confiance en leurs maires mais considèrent, à 90 %, que la corruption pose un problème dans le secteur public. Les partis politiques sont perçus comme étant les premiers touchés par ce fléau devant les entreprises, les médias, le Parlement, l'administration et la police. Manifestement, il reste du chemin à parcourir !

Monsieur Nadal, vous avez été proposé par M. le président de la République pour présider la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Magistrat, vous avez consacré votre vie au parquet en dirigeant certains de ceux qui sont les plus exposés : Aix-en-Provence, Bastia ou Lyon. Vous avez terminé votre carrière comme procureur général près la Cour de cassation. Chacun connaît votre tempérament passionné, votre culte de la loi, votre volonté de défendre les libertés publiques. Un parquetier peut obtenir beaucoup plus de résultats par la pédagogie que par la répression. Certes, les textes sont les textes, mais la présomption d'innocence constitue un principe cardinal de notre République, et la bonne foi doit toujours être présumée. Rappelons-le avec force !

Vous avez répondu avec clarté aux douze questions qui ont été posées par mes soins. Cela nous permettra, après votre exposé, de mener un débat, suivi d'un vote tant à l'Assemblée qu'au Sénat. Cette procédure est essentielle et le président de la commission des Lois a raison de vouloir lui donner le lustre nécessaire. Elle souligne en effet les droits du Parlement vis-à-vis de l'exécutif, et, tout particulièrement, ceux de la commission des Lois au sein de cette Assemblée. Je ne doute pas, Monsieur, que vous saurez nous persuader que vos immenses talents viendront renforcer la République.

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