Intervention de Jean-Louis Nadal

Réunion du 11 décembre 2013 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-Louis Nadal :

Merci monsieur le Président de la commission des Lois. Je remercie vivement M. Alain Tourret pour son rapport, je n'ose dire sa plaidoirie.

Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux de m'exprimer devant vous et il m'a semblé évident de vous réserver mes premiers propos publics depuis la proposition que m'a faite le président de la République, le 2 décembre dernier. La promulgation des lois relatives à la transparence de la vie publique marque une étape décisive dans le renforcement du dispositif français de prévention et de répression des atteintes à la probité publique. Et je sais combien l'examen de ces textes, en commission et en séance publique, a permis de les améliorer.

De façon générale, s'agissant du contexte qui entoure l'entrée en vigueur de ces lois, beaucoup d'entre vous, j'allais dire d'entre nous, s'insurgent contre les sondages qui révèlent une défiance grandissante des Français à l'égard de leurs représentants. J'ai la conviction que la faute de quelques-uns ne peut emporter l'opprobre contre tous les autres qui exercent leurs mandats dans le respect des principes qui fondent leurs engagements.

Cette interrogation dans le pays rejoint toutefois l'actualité la plus récente, comme la publication des dernières évaluations internationales, du Conseil de l'Europe, de l'OCDE et de Transparency International. Elles montrent l'urgence de rendre plus effectives les mesures destinées à combattre certaines pratiques qui minent la confiance du citoyen envers les institutions de la République. C'était déjà le sens des recommandations de la Commission pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, confiée en 2010 au vice-président du Conseil d'État, M. Jean-Marc Sauvé. Il en ressortait notamment que seule la définition précise d'une déontologie exigeante, aux contours explicites, pouvait permettre d'apporter des réponses effectives aux menaces que les conflits d'intérêts représentent pour l'ensemble des secteurs public et privé de notre société.

Les conclusions de la Commission Sauvé, comme les dispositions législatives adoptées le 17 septembre dernier, rejoignent les leçons que je tire de mon expérience de quarante années au sein de la magistrature. Les atteintes à la probité publique prospèrent lorsque la transparence des flux financiers est insuffisante, et lorsque les frontières entre le licite et l'illicite sont brouillées ou ignorées par ceux-là mêmes qui sont en charge de veiller à l'État de droit.

Le législateur a voulu, par le vote de cette loi et la création d'une Haute Autorité, rétablir la confiance entre les citoyens et les détenteurs d'un mandat électif, d'une mission ou d'une fonction dans la vie publique, après l'affaire Cahuzac mais il a surtout voulu créer un garant de cette confiance. Car la confiance ne se donne que si elle se mérite. Or aujourd'hui, en plus de leur jugement personnel, les citoyens ont besoin d'obtenir une garantie objective venant d'une institution de la République, établissant que les responsables chargés des affaires publiques, des affaires de la cité, sont dignes de confiance et que les citoyens peuvent avoir foi en eux. J'utilise à dessein ce mot de « foi », qui nous vient de Rome : la « Fides publica ». La Foi Publique constitue la forme la plus haute de la confiance que doit inspirer un magistrat en charge des affaires de la cité et dont il doit témoigner par la noblesse de son comportement fait de loyauté et de dignité.

« L'exemplarité des élus est une exigence de la République depuis son origine ». C'est par ces mots que commençait le rapport de M. Jean-Jacques Urvoas sur les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la transparence de la vie publique. Tout le sens de l'article 1er de la loi ordinaire est là, autour de ce triptyque magnifique : dignité, probité, intégrité. Son texte pourrait être, au-delà d'une obligation légale, celui d'un serment tel que la République le demande déjà à beaucoup de ses serviteurs.

Ces lois visent à donner corps à ces valeurs républicaines en suivant trois voies.

Tout d'abord, de nouvelles déclarations d'intérêts et de patrimoine permettront de favoriser la transparence démocratique. Je serai attentif à ce que l'intrusion dans la vie privée soit aussi limitée que possible et conforme aux objectifs de la loi, dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel qui a fixé des bornes précises à propos des proches ou de la publication. Sur ce sujet, ma vigilance sera sans faille. Cette « balance » des droits et la protection des libertés individuelles sont des impératifs quotidiens pour les magistrats judiciaires.

Ensuite, de nouveaux contrôles sont mis en place autour d'une autorité administrative dotée de véritables pouvoirs. J'ai la conviction que nous pourrons mobiliser les services, notamment des ministères de la Justice, de l'Intérieur et du Budget, pour épauler la Haute Autorité. Ce sera l'un des défis des premiers mois.

Enfin, des dispositifs répressifs ou contraignants sont modernisés. Je pense à la peine d'inéligibilité renforcée ou aux incompatibilités nouvelles pour les membres du Parlement. Toutefois, dans la mesure où ces dispositions relèvent de la justice ou des Bureaux des Assemblées, je souhaite consacrer l'essentiel de mon propos au développement de l'autorité administrative indépendante que vous avez créée.

L'idée fondatrice de la loi nouvelle, qui forme le socle des missions confiées à la Haute Autorité, est bien de responsabiliser les acteurs publics en leur demandant de procéder à des déclarations patrimoniales et d'intérêts dont le suivi doit assurer le niveau de transparence nécessaire pour permettre une prévention efficace.

Toute mon expérience de magistrat m'amène au constat qu'il n'est de bonne décision qu'acceptée. Pour cela, il faut qu'elle soit lisible, ce qui implique de la part de ceux qui la rendent un effort d'écoute et d'explication. Tirant les leçons de l'expérience de l'ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique, le législateur a donné à la Haute Autorité des pouvoirs de vérification, d'injonction et de transmission aux autorités fiscales ou judiciaires. Elle contribuera à mieux garantir la probité publique, en s'assurant que la confiance que les citoyens doivent à leurs institutions politiques est confortée ou restaurée par des actions précises, menées contradictoirement, impartialement et effectivement.

Assumer la présidence de la Haute Autorité serait pour moi l'occasion d'agir dans la continuité de mon engagement fidèle et constant au service de l'État, de l'État de droit, de la loi, et de la démocratie.

Cela passe évidemment d'abord par le respect le plus absolu de l'État de droit, dans sa conception la plus élevée, qui impose de veiller à ce que les lois de la République soient exactement appliquées, dans une recherche constante du meilleur équilibre entre le principe d'égalité de tous devant la loi et le principe d'adaptation de celle-ci aux spécificités des situations et des personnes.

La lutte contre les atteintes à la probité publique, qui est la vocation de la Haute Autorité, fut également l'une des exigences les plus constantes de ma vie de magistrat. Mais si la répression est quelquefois nécessaire, la pédagogie ne l'est pas moins. Il me paraît essentiel de mener, à des fins de prévention, une pédagogie constante de l'application de la loi, qu'elle soit pénale, administrative ou financière. C'est d'ailleurs un objectif qui fait écho aux recommandations de votre mission relative au statut de l'élu. Le rôle de conseil est essentiel. Il faut en permanence communiquer, conseiller, informer. Si vous me faites confiance, j'observerai inlassablement cette ligne de conduite intransigeante.

Je veux insister ensuite sur la complémentarité du rôle de la Haute Autorité et de celui d'institutions proches, et sur le dialogue qui doit en résulter – conformément aux textes qui définissent le rôle de la Haute Autorité. Cette recherche d'un contact confiant avec d'autres institutions publiques, dans le respect des pouvoirs de chacune d'elles, a toujours été ma ligne de conduite, à la tête des parquets généraux de Bastia, Lyon, Aix-en-Provence et au parquet général de Paris. Et comme procureur général de la Cour de cassation, j'ai pu mesurer, notamment dans mes fonctions de ministère public auprès de la Cour de justice de la République, toute l'efficacité d'échanges nourris avec la Cour des comptes comme avec les membres du Parlement.

Je crois bien évidemment aux mérites du fonctionnement collégial : l'organisation de la Haute Autorité, qu'il s'agisse des relations entre ses membres ou du dialogue avec les rapporteurs et le secrétariat général, sera nécessairement un travail d'équipe dans lequel chacun a vocation à exercer pleinement les responsabilités qui lui sont propres, mais dans un but commun.

Il va de soi que le fonctionnement de la Haute Autorité devra être exemplaire au regard des valeurs démocratiques. La déontologie est un principe essentiel dont j'ai pu mesurer l'importance dans l'exercice de mes responsabilités à l'École nationale de la magistrature (ENM), au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ou à l'Inspection générale des services judiciaires.

Je voudrais enfin réfléchir avec vous aux actions à mener pour magnifier l'influence de la Haute Autorité sur la vie publique de notre pays.

Je suis sensible d'abord à cette observation faite au cours des débats parlementaires comme dans l'avis rendu, en juin dernier, par l'Assemblée plénière de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), sur la nécessité de faire en temps utile – c'est-à-dire sans précipitation mais aussi rapidement que possible – un bilan de l'action des dispositifs publics préexistants en la matière.

Comme le rapport d'information de MM. René Dosière et Christian Vanneste sur les autorités administratives indépendantes le rappelait en 2010, l'empilement des textes et des structures a souvent pour effet de rendre moins efficaces et lisibles les missions dont ces dernières ont été chargées au fil du temps. La Haute Autorité se tiendra au service des membres du Parlement qui voudront se saisir de ces questions, qui engagent des moyens budgétaires qu'il faut savoir gérer avec prudence et qui mettent en jeu l'efficacité de l'ensemble du dispositif administratif et préventif.

Dans cette perspective, trois axes d'action pourraient mobiliser plus particulièrement son attention.

En matière de prévention d'abord, la Haute Autorité pourrait assumer un rôle d'information et de formation auprès des institutions qui contribuent à la formation des cadres de l'État. Dans ce contexte, des partenariats pédagogiques pourraient être envisagés avec les grandes écoles de service public – l'ENA, l'ENM ou le Centre national de la fonction publique territoriale, etc..

En matière de rayonnement international ensuite, la Haute Autorité devra entretenir un dialogue constant avec les institutions européennes et internationales compétentes en matière de probité publique. À cet égard, je tirerai parti de mon expérience d'initiateur du réseau européen des procureurs généraux des cours suprêmes que j'ai présidé, comme de mes activités de membres du comité exécutif de l'association internationale des autorités anti-corruption.

Les lois que vous avez votées Mesdames, Messieurs les députés, placent la France à la pointe des grandes démocraties.

L'institution d'un comité d'éthique a été copiée de par le monde. Il peut en être de même avec la Haute Autorité !

Enfin, il conviendrait de préciser et donner corps aux nouveaux outils et nouvelles normes que vous avez adoptés afin d'établir une véritable doctrine publique et contradictoire.

Ce serait l'occasion d'affiner les contours de la notion de conflit d'intérêts et de construire un corpus déontologique, véritable cadre de référence pour l'ensemble des statuts et des domaines d'activité concernés. Dans une société démocratique avancée, c'est cette marge grise de non-droit, dans laquelle s'insinue le conflit d'intérêts, qu'il faut faire régresser. Au lieu d'être ignorées, certaines situations doivent être organisées par le droit.

Ce serait aussi l'occasion de préciser ce système de déport qui impose par exemple aux membres des autorités administratives indépendantes se trouvant dans une situation de conflit d'intérêts, de s'abstenir de prendre part à l'affaire ou à la décision en cause. Le principe est simple, il avait été posé déjà par le droit latin : on ne peut être juge et partie. Mais sa mise en oeuvre recèle de redoutables difficultés juridiques. Mesdames et messieurs les députés, soyons clairs : la transparence est un moyen et non une fin en soi ! Le système de la prison panoptique de Bentham dans laquelle la surveillance de tous est assurée par un contrôle permanent de chacun, ne servira pas de modèle pour la Haute Autorité.

L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme affirme que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». La Haute Autorité et son président auront à coeur de rendre des comptes, cela est pour moi essentiel, car c'est un impératif démocratique et républicain. C'est ainsi que j'envisage l'exercice de cette responsabilité.

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