Intervention de Jean-Louis Nadal

Réunion du 11 décembre 2013 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-Louis Nadal :

Je ne vous cacherai pas, Mesdames, Messieurs les députés, que la manière dont vous m'avez « accroché » m'a plu : elle convient à l'homme que j'ai toujours été, un homme frais et sans détour.

Pour lever d'emblée toute ambiguïté, je choisirai d'abord, parmi toutes ces interpellations fécondes pour l'avenir de la Haute Autorité, de répondre à une interrogation à laquelle je m'attendais. Je le dis en toute simplicité et en toute humilité, j'ai effectivement soutenu la candidature de Mme Martine Aubry à la primaire du parti socialiste. Je ne crois pas avoir à m'excuser d'avoir apporté mon soutien à un ancien ministre d'État, maire d'une des plus grandes villes de France, cela à une date où la cessation de mes fonctions m'avait libéré du devoir de réserve. Je ne renie pas cet engagement. Je suis un enfant du peuple, un enfant de la République, fier de la culture démocrate et républicaine que mes parents instituteurs m'ont transmise et qui a fait de moi un serviteur de la République. Mes parents sont décédés et, aujourd'hui, j'ai une pensée pour eux.

Je suis heureux de vivre dans un pays où règne le pluralisme, comme en témoigne la composition de votre Commission, un pays où l'on peut exercer des responsabilités dans la fonction publique sans appartenir à une famille, un clan, à la seule condition de respecter l'obligation de neutralité et de réserve qui s'impose à tous les agents de l'État, et d'abord aux magistrats de l'ordre judiciaire dans l'exercice de leurs fonctions. Ce fut le sentiment de MM. Jacques Toubon et Dominique Perben quand ils proposèrent à M. Jacques Chirac de me nommer procureur général. L'impartialité est une notion qui ne m'a jamais laissé indifférent dans ma vie professionnelle, et elle ne me posera pas davantage de problème dans les fonctions qui me sont proposées. Ma compétence se limitera aux comportements, quelles que soient les opinions de leurs auteurs.

Je ne serai d'ailleurs pas un cas isolé, si l'on songe aux hommes et aux femmes qui furent ministres avant de présider à de grandes autorités indépendantes, et que je respecte. Je pense au Défenseur des droits, au Défenseur des enfants, au médiateur de la République, la HALDE ou la CNIL. Afin de ne pas me trouver dans une situation de conflit d'intérêts, je m'abstiendrai naturellement d'exercer mes compétences à l'égard de Mme Martine Aubry si son cas devait être examiné par la Haute Autorité. La pratique du déport en raison d'une trop grande proximité, même en apparence, est un réflexe bien connu dans le milieu professionnel dont je viens et je peux vous assurer de ma vigilance à cet égard. D'ailleurs, le règlement intérieur de la Haute Autorité précisera ce point. Si votre question sur ce sujet avait pour objet d'obtenir de moi une assurance de neutralité et d'impartialité, c'est sans réserve que je vous la donne.

Vous m'avez posé de nombreuses questions à propos du management. Je ne cherche pas à exercer le sixième poste de procureur général de la République. Je suis un magistrat, pas un procureur. Toutes les fonctions que j'ai assumées l'ont été dans le culte de la loi et selon une déontologie sans faille : le dossier, tout le dossier, rien que le dossier ; la loi, toute la loi, rien que la loi. Telle a toujours été ma ligne de conduite.

Je m'attacherai, comme je l'ai toujours fait, à rassembler les énergies. Je n'ai jamais, dans mes fonctions, certains peuvent en témoigner ici qui ont été magistrats, exclu qui que ce soit en raison d'une appartenance syndicale ou politique. Au contraire, j'ai toujours eu le souci que la justice soit respectée dans sa diversité et ses différentes cultures. Je ne suis pas un partisan de l'inquisition, de l'accusation. Si je ne devais retenir qu'un principe de mon passé de magistrat, c'est celui du contradictoire et de la présomption d'innocence, voire de la bonne foi. En effet, mon expérience tant personnelle que professionnelle m'a appris qu'il peut y avoir des fautes sans qu'il y ait des fautifs.

La suspicion qui pèse sur vous me paraît d'autant plus injuste que mon parcours professionnel m'a permis de connaître le milieu parlementaire, avec lequel j'ai été amené à travailler parfois dans des circonstances tendues, parfois dans des circonstances plus agréables. Pour avoir initié, quand j'étais procureur général près la cour d'appel de Paris, les Rencontres sénatoriales de la justice, afin que les parlementaires puissent se familiariser avec le fonctionnement des institutions judiciaires, pour avoir planché maintes et maintes fois devant votre Commission et celle du Sénat, je connais et partage votre culture de respect, d'écoute, de tolérance.

Je crois pouvoir dire que dans mes fonctions à l'École nationale de la magistrature, j'ai été un pédagogue. À la tête de la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature avec des gens venus de la société civile, j'ai scrupuleusement veillé à dépasser les apparences pour aller au fond et approcher de la vérité. La vérité est une quête perpétuelle. C'est cette dynamique que je veux promouvoir à la tête de la Haute Autorité : aller au fond des problèmes, mais toujours avec mesure ; trouver le cadran dans lequel l'aiguille fonctionnera. C'est bien sûr l'intérêt général, l'intérêt de la République, la probité. Je serai là pour faciliter la résolution d'éventuels conflits d'intérêts. Mon rôle sera de vous aider à les éviter, vous et tous ceux qui devront rendre des comptes à la Haute Autorité. Je tiens à préciser ce point pour prévenir toute rumeur qui affirmerait de façon indécente que vous seriez particulièrement visés par la loi. Il y a huit mille assujettis ! Soyez assurés que je serai au-dessus de la mêlée, impartial, vigilant, constant, déontologue, à l'écoute des uns et des autres. Je n'utiliserai pas les moyens à ma disposition pour porter atteinte à la vie privée. Tout au long de ma carrière, je me suis attaché à être un garant des libertés individuelles et des libertés publiques.

Cette autorité devra être le temple du conseil, de la discussion, de l'échange individuel avec ceux qui relèveront du contrôle de la Haute Autorité, avec les Bureaux des Assemblées, avec toutes les institutions concernées. Je mesure le défi mais j'ai la volonté de le relever. Je suis un homme de rassemblement. J'ai toujours proclamé que l'État de droit était l'affaire de tous. Un magistrat seul n'est rien. C'est en partenariat avec le ministère de la Justice, celui de l'Intérieur, du Budget, avec les Bureaux des Assemblées, avec les déontologues, c'est en puisant dans l'oeuvre de tous ceux qui, dans ce pays, ont contribué à forger des principes de déontologie que je mettrai en place une doctrine claire le moment venu.

Le caractère collégial de cette autorité me convient parce qu'il permet le rassemblement des cultures fortes de l'État : la culture administrative, la culture financière, la culture judiciaire. J'exigerai un surcroît de déontologie permanent, un éveil total, constant : je n'ai jamais vieilli dans mes fonctions passées parce que je suis resté en état d'éveil jusqu'à la dernière seconde. Je ne me suis jamais appuyé sur des précédents ; j'ai toujours voulu aller au fond des problématiques, avec le coeur et la raison, le dynamisme et la mesure, dans le souci, et de la justesse, et de la justice.

Voilà pour une description in globo de ce que la Haute Autorité devra être selon moi. S'agissant des points particuliers sur lesquels vous m'avez interpellé, beaucoup concernaient la question des moyens. Familier de cette question qui est une véritable litanie dans le monde judiciaire, je dirai que le premier des moyens, c'est la détermination, une volonté sans faille d'aller au fond des problèmes et de s'entourer des gens compétents pour ce faire. Je suis convaincu que j'arriverai à constituer une équipe de qualité, soudée, diversifiée. Je ne tiens pas à ce qu'elle soit monolithique, au contraire : la contradiction me semble nécessaire au débat républicain. C'est l'honneur des assujettis qui pourrait être mis en cause. Je ne suis pas homme à cultiver la suspicion, l'inquisition mais homme à discuter, à conseiller. Je consacrerai mon énergie au « relationnel », à la confiance. Si je percevais quelque chose qui s'apparente à une « zone grise », je ferais d'abord tout ce qui serait en mon pouvoir pour la réduire, avant d'en venir à la répression, qui doit toujours rester l'ultima ratio. De mes anciennes fonctions, je conserverai le sens de l'opportunité des poursuites, dont le procureur est le premier juge.

Je suis déterminé à obtenir des moyens à la mesure de l'ampleur de la tâche, éventuellement avec votre aide. J'ai d'ores et déjà reçu quelques assurances. La nouvelle autorité devrait s'installer dans les locaux de l'ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique, le temps, semble-t-il, de trouver des locaux à la hauteur de l'enjeu. Elle devrait démarrer avec une vingtaine de collaborateurs et je mettrai à profit mon expérience d'inspecteur général des services judiciaires pour organiser au mieux cette équipe.

Je compte faire de la pédagogie et communiquer, notamment sur ce qui va bien : on ne souligne pas assez dans ce pays ce qui va bien, préférant pointer les dérives ponctuelles, comme autant de taches d'huile sur l'« océan de la démocratie » !

Sur les évaluations de biens, je mettrai en place un comité d'experts – comptables, commissaires aux comptes… – afin qu'aucune suspicion ne pèse sur les évaluations de la Haute Autorité. Ces experts seront choisis en fonction du sérieux de leur travail.

Le sérieux doit caractériser tous les actes de la Haute Autorité. Il sera exigé aussi des associations susceptibles de saisir la Haute Autorité, qui devront avoir fait leurs preuves. Les critères qui présideront à leur agrément feront l'objet d'une expertise juridique que je vous transmettrai.

Je tiens à souligner que cette Haute Autorité n'est pas un contre-pouvoir. Elle n'empiétera en rien sur le pouvoir législatif. Je ferai tout pour privilégier la voie du dialogue et de la pédagogie. Je serai là pour vous aider et être à vos côtés.

Monsieur Popelin, j'utiliserai les moyens légaux avec mesure, en m'efforçant de respecter l'équilibre entre la préservation de l'intérêt général et le respect de la vie privée. J'y veillerai car c'est essentiel : nous ne sommes pas là pour salir les gens.

Vous vous êtes inquiétés des lanceurs d'alerte, ce qui est légitime. Si leurs révélations touchent à l'intérêt du pays ou au bien commun, il faudra les suivre mais en faisant preuve de vigilance et en se gardant des délateurs – en cas de dérives, je saurai m'en expliquer et prendre mes responsabilités. Je rappelle que, depuis 2007, le code du travail protège les salariés souhaitant révéler un dysfonctionnement grave, portant par exemple sur des faits de corruption.

Sur ce sujet, comme sur d'autres, je nouerai des relations avec les autres pays – la Grande-Bretagne – et établirai des contacts avec les différentes instances internationales, comme le Conseil de l'Europe ou l'OCDE.

La question de M. Poisson sur les conflits d'intérêts pose en vérité le problème de la théorie de l'apparence, théorie juridique consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme dans un célèbre arrêt de 1970, Delcourt c. Belgique, dans lequel la Cour affirme l'importance attachée aux apparences et la sensibilité accrue du public aux garanties d'une bonne justice. Cette théorie était dictée par ce qui doit être au coeur du travail de la Haute Autorité : la confiance indispensable de l'opinion dans ses institutions pour garantir la démocratie. Il faudra, pour assurer cette confiance, que les membres de la Haute Autorité élaborent une doctrine, la moins subjective possible. Elle se façonnera au fil du temps, et je m'engage à venir régulièrement en rendre compte devant le Bureau de votre Assemblée.

Je ne suis pas inquiet sur les relations de la Haute Autorité avec l'administration fiscale. Nous travaillerons dans un partenariat étroit, mais toujours dans le clair respect de la vie privée. Ceux qui me connaissent savent qu'en ma qualité de magistrat, j'ai toujours été garant des libertés individuelles, soucieux d'autrui et attentif aux droits de la défense. L'ultime pierre que j'ai apportée à l'édifice de la justice a été de proposer, à l'issue de la dernière commission que j'ai présidée pour le ministère public, que les avocats aient accès à la procédure au cours de l'enquête préliminaire et que les droits de la défense puissent s'exercer au moment du défèrement, pour que les choses ne se ficellent pas de manière abrupte. Cette reconnaissance d'autrui, c'est l'honneur de la démocratie. Ce sera, je l'espère, l'honneur de la nouvelle Autorité.

Pour ce qui concerne le contrôle des instruments financiers, il n'est pas question qu'il affecte la gestion comptable quotidienne des personnalités concernées. Ne possédant moi-même pas de portefeuille financier, il m'est difficile d'appréhender la situation in concreto. Mais pour ceux dont les intérêts financiers sont trop importants pour qu'ils puissent continuer à les gérer en propre, le déport devra se faire sans rupture.

Un vent de transparence a soufflé ces dernières années sur les îlots de déontologie parsemant la mer de la démocratie. Cela procède d'un bon sentiment, celui qu'une vigie est indispensable sur chaque territoire. L'ambition de la Haute Autorité est de fédérer tous ces veilleurs et leurs problématiques. J'ai d'ailleurs, à ce titre, parcouru le rapport du déontologue de votre assemblée, dans lequel j'ai trouvé de bonnes idées sur la déontologie des fonctionnaires ou le rapprochement avec les autorités européennes. De tout ceci, je m'entretiendrai avec vous : je viendrai, si vous en êtes d'accord, vous présenter de vive voix le rapport que je vous remettrai chaque année.

Mme Le Dain m'a enfin interrogé sur ma conception de l'indépendance. Elle est à mes yeux synonyme d'exigence à l'égard de soi-même et des autres, par-delà les étiquettes politiques. À la tête de la Haute Autorité et au sein du collège qui m'entourera, je m'efforcerai d'en être le garant.

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