Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Réunion du 11 décembre 2013 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine, rapporteure :

La protection du secret des sources des journalistes est de ces sujets que l'on pense couverts par le droit et la sagesse collective, jusqu'au jour où la réalité des faits et la puissance des intérêts démontrent les failles de notre législation. Or, sans secret des sources, pas de liberté de l'information ; sans liberté de l'information, pas de véritable démocratie. La protection du secret des sources n'est pas un privilège accordé aux journalistes ; c'est une condition de la liberté de la presse.

La loi du 4 janvier 2010 a marqué un progrès : elle a consacré le principe de la protection du secret des sources des journalistes dans l'exercice de leur mission d'information du public ; elle a renforcé l'encadrement des perquisitions lorsqu'elles sont susceptibles de porter atteinte au secret des sources ; elle a étendu le droit accordé au journaliste entendu comme témoin de ne pas révéler ses sources. Mais cette loi est aussi apparue imprécise, notamment dans la définition des motifs permettant de porter atteinte au secret des sources et parce qu'elle ne prévoyait pas d'encadrement procédural des atteintes au secret des sources ; elle ne contenait ni disposition concernant le délit de recel de violation du secret de l'instruction ni sanction pénale en cas d'atteinte au droit des journalistes au secret des sources. Que nul ne voie dans mes propos une charge contre cette loi, véritable avancée juridique, mais qui fut rapidement mise à l'épreuve des faits.

Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à renforcer encore la protection du secret des sources : il affirme de façon plus solennelle l'objet de la protection ; il augmente le nombre des personnes titulaires du droit à la protection du secret des sources ; il définit la notion d'atteinte au secret des sources et durcit les conditions dans lesquelles il est possible de lever ce secret ; les actes d'enquête et d'instruction ayant pour objet de porter atteinte au secret des sources nécessiteront une décision préalable et spécialement motivée du juge des libertés et de la détention (JLD). Une immunité pénale des journalistes est instaurée pour les délits de recel de violation du secret professionnel, du secret de l'instruction, du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée, ainsi qu'une sanction pénale pour les atteintes illégales au secret des sources.

Si ce projet a été salué comme une grande amélioration par rapport au texte de 2010, les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé ont fait surgir des doutes sur un point précis : la définition des motifs permettant de porter atteinte au secret des sources. Le projet de loi cherche en effet à définir ces motifs de façon plus précise, en visant trois catégories d'infractions : les crimes, les délits constituant une atteinte grave aux intérêts fondamentaux de la nation et les délits constituant une atteinte grave à la personne. Mais cette définition n'est pas satisfaisante, car la notion d'atteinte « grave » laisse une marge d'interprétation importante ; le renvoi aux « intérêts fondamentaux de la nation » n'est pas assez précis. Il aurait fallu renvoyer par exemple aux délits prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal. Je vous proposerai donc un amendement visant à définir de façon précise et équilibrée les motifs permettant de porter atteinte au secret des sources, notamment en fixant des seuils de peine et en prévoyant des conditions plus strictes, quand l'atteinte a pour objet de réprimer une infraction, que lorsqu'elle vise à la prévenir. Les autres amendements visent, de même, à conforter les avancées du projet de loi : extension de la protection aux journalistes publiant des livres pour le compte d'une entreprise d'édition – certains journalistes étant maintenant payés en droits d'auteur – et aux personnes exerçant les fonctions de directeur de la publication ou de la rédaction, de même qu'aux collaborateurs de la rédaction non salariés. Je vous proposerai aussi d'ajouter le délit d'intrusion dans un fichier informatique à ceux pour lesquels la peine sera aggravée en cas d'intention de porter atteinte au secret des sources. Je vous proposerai enfin d'étendre le champ d'application de l'article 5 afin que les journalistes puissent accompagner des parlementaires non seulement lors de visites d'établissements pénitentiaires, mais aussi de centres de rétention et de zones d'attente.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) considère que la protection du secret des sources des journalistes est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse, c'est-à-dire une des conditions sine qua non de la liberté d'expression. C'est une condition nécessaire pour que la presse joue son rôle de chienne de garde de la démocratie.

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