La loi du 4 janvier 2010 a apporté des progrès notables en matière de protection des sources des journalistes. On lui doit le principe de la protection du secret des sources sauf « impératif prépondérant d'intérêt public », la définition de la notion d'atteinte au secret des sources, et, en cas d'atteinte, la nécessité d'une action « strictement nécessaire et proportionnée », qui est reprise dans le projet de loi que nous examinons.
Si, à l'épreuve des faits, la loi de 2010 s'est révélée parfois difficile à appliquer, nous saluons volontiers les avancées contenues dans ce nouveau texte, qui étend notamment le périmètre des dépositaires de la protection du secret des sources, et remplit certains vides juridiques.
Nous voulons néanmoins exprimer certaines réserves.
La définition du journaliste ne nous satisfait pas : le projet de loi élargit en effet le nombre de titulaires du droit au secret des sources, ce qui est pertinent dans certains cas ; mais la référence aux personnes qui travaillent pour une « entreprise de communication au public en ligne » est très ambiguë et laisse dans l'incertitude le cas des blogueurs. Dès lors qu'ils ne sont pas employés par une entreprise de presse, ceux-ci ne devraient pas pouvoir bénéficier de la protection du secret des sources.
Nous sommes résolument opposés à un rapprochement avec la loi belge, qui fait purement et simplement disparaître toute référence aux « journalistes » et considère comme titulaire du droit à la protection des sources « toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d'informations par le biais d'un média au profit d'un public ». Blogueurs et lanceurs d'alerte ne sont pas des journalistes ! Nous désapprouverions fermement toute tentative de brouillage en la matière.
S'agissant des motifs justifiant une atteinte au secret des sources des journalistes, la rédaction retenue par la commission des Affaires culturelles nous semblerait tout à fait inacceptable – je pense en outre à un amendement de M. Pouzol encore plus restrictif. En effet, elle supprime le motif de l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, considérée comme trop vague, voire comme une régression par rapport à la loi de 2010, mais elle fait surtout disparaître la possibilité d'atteinte en cas de répression d'une infraction, au profit de la seule prévention : aucune atteinte au secret des sources des journalistes ne serait possible dès lors qu'il s'agirait de punir un crime ! Ne cibler que les actions de prévention nous laisse dubitatifs.
S'agissant de l'interdiction de la condamnation d'un journaliste pour délit de recel, nos réserves sont également fortes : les journalistes ne pourront plus être condamnés pour recel en cas de publication de documents provenant du secret de l'instruction, du secret professionnel ou d'une atteinte à la vie privée. Le texte justifie cette interdiction en brandissant un unique garde-fou mentionné dans la jurisprudence de la CEDH : la condamnation serait interdite tant que la publication visée serait légitimée par « l'intérêt général ». La volonté de respecter la jurisprudence de la CEDH est bien compréhensible ; pour autant, cet « intérêt général » est une notion définitivement floue, peu protectrice du secret de l'instruction ou du secret professionnel : le secret de l'instruction, le secret professionnel ou le respect de la vie privée ne deviennent-ils pas des coquilles vides ?
Avec l'instauration par ce projet de loi d'un régime d'exception contre les dirigeants politiques, mes précédentes réserves se transforment en réelle indignation. Comble de l'aberration, l'exposé des motifs énonce : « Si des documents obtenus à la suite de la violation d'un secret portent sur des éléments qu'il est légitime de porter à la connaissance des citoyens, par exemple parce qu'ils concernent un dirigeant politique ou un éventuel scandale sanitaire, le journaliste ne pourra être poursuivi ou condamné pour recel. En revanche, si ces documents concernent, par exemple, la vie privée d'une personne célèbre mais qui n'exerce aucune responsabilité publique, le délit demeurera constitué. » Autrement dit, votre projet, c'est d'instaurer un régime d'exception, où les « personnes célèbres » demeurent protégées, quand vous considérez les dirigeants politiques comme des sous-citoyens, qui n'auraient pas comme les citoyens ordinaires droit au respect de leur vie privée ! En tant que commissaire à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), je suis profondément choqué que vous puissiez établir une telle distinction. Une telle posture relève soit de l'inconscience, soit de la démagogie !
Concernant l'entrée du JLD dans le dispositif en cas de procédure pénale, l'étude d'impact évoque une « protection maximale » sans rien dire de l'apport réel du JLD au dispositif. Quelles seront les conséquences sur l'avancée des enquêtes – enquêtes qui, rappelons-le, porteront sur des affaires graves ? Pourquoi estime-t-on que le procureur ou le juge d'instruction ne pourraient pas, d'eux-mêmes, respecter la loi ? Ne sont-ils pas dignes de confiance ?
Enfin, s'agissant de la visite des établissements pénitentiaires par les journalistes, cet article 5 me paraît globalement hors-sujet, et, de fait, me semble affaiblir la portée du texte. C'est un véritable cavalier législatif, qui pourrait à ce titre être censuré par le Conseil constitutionnel.
Sur le fond, imaginons le cas d'un parlementaire qui souhaiterait faire un coup politique en se faisant accompagner, lors d'une visite en prison, non pas par un journaliste, mais par cinquante ! Pour d'évidentes questions de sécurité, soulignées par des surveillants que j'ai rencontrés, il ne devrait pas être possible de faire entrer dans les établissements de caméras ou d'appareils photographiques. Il faut également limiter le nombre de journalistes qui accompagneraient un parlementaire. Ces établissements doivent être très protégés : faire voir à tous les dispositifs de sécurité pourrait faciliter des évasions.