Intervention de Pascale Boistard

Réunion du 11 décembre 2013 à 16h30
Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine goodyear d'amiens-nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Boistard, rapporteure :

Je vous remercie, chers collègues, de votre implication dans la Commission d'enquête, de même que je remercie les fonctionnaires de l'Assemblée nationale, que nous avons beaucoup sollicités. Nous avons auditionné trente-trois personnes, pendant trente-cinq heures en tout, et reçu cinq contributions écrites. Je me suis rendue deux fois à Amiens, une première fois avec les commissionnaires pour visiter les usines d'Amiens-Nord et Sud, une seconde, la semaine dernière, pour consulter à la DIRECCTE un rapport de l'inspection du travail.

J'en viens aux propositions qui vous ont été transmises.

La première s'inscrit dans la partie du rapport intitulée « Un conflit social d'une ampleur exceptionnelle ». Nous avons noté sur place une très forte tension sociale entre salariés, syndicats et direction. Dès 1995, une grève de treize jours était née à Amiens-Nord du projet de passage aux 4x8. En cas de conflit sur le rythme de travail, nous proposons que ne s'expriment désormais que les personnes directement concernées par les mesures en discussion.

La deuxième proposition vise à réaffirmer le rôle primordial du dialogue social en garantissant sa sincérité. À la première rupture des négociations, une médiation doit être mise en place par le préfet représenté par la DIRECCTE. Il est essentiel de désamorcer immédiatement toute tension. En 2011 et 2012, on a pu mesurer l'impasse à laquelle mène l'absence d'un dialogue sincère et ouvert entre les parties.

Nous recommandons en troisième lieu de renforcer les droits des représentants du personnel en prescrivant aux entreprises de les informer sur les orientations stratégiques, sous couvert de confidentialité. La judiciarisation des conflits trouve en grande partie son origine dans les carences d'information du personnel, particulièrement en ce qui concerne l'évolution de la production. Bien que la loi de sécurisation de l'emploi ait déjà constitué une avancée, on peut aller plus loin en permettant aux représentants des salariés d'obtenir en temps et en heure des informations dont les conséquences sont capitales pour la survie de leur emploi.

Un des noeuds du conflit, au-delà des difficultés économiques de l'entreprise, a été la mise en place des 4x8. Ce régime rejeté par Amiens-Nord a été accepté par Amiens-Sud – alors même que la CFTC n'y était pas favorable a priori – moyennant une compensation financière pour les salariés. Cette situation a créé dans chaque usine des conditions de travail différentes. Amiens-Nord, qui n'a plus reçu d'investissement, a vu sa production chuter de manière spectaculaire. Notre quatrième proposition vise à ne recourir aux 4x8 qu'à titre exceptionnel et pour répondre à un réel surcroît de production. Il importe de privilégier les rythmes compatibles avec l'équilibre biologique, personnel et familial des salariés. Le cabinet Secafi avait préconisé, à l'initiative du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qu'on préfère les 5x8 aux 4x8. Nous avons vainement demandé des documents attestant que le second régime garantit une meilleure productivité.

La cinquième proposition vise à prévoir des sanctions pénales en cas de manquement d'une entreprise aux principes généraux de prévention des risques psychosociaux. Mon déplacement à la DIRECCTE concernait un rapport de l'inspection du travail transmis au procureur au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Ce document rédigé par deux inspectrices mentionnait les risques psychosociaux présents dans l'entreprise et la mise en danger d'autrui, qui relève du code pénal. Mme Pernette, directrice adjointe de la DIRECCTE, a signalé de nombreux cas de ce type. Si je n'ai pas pu obtenir le rapport, j'ai du moins dialogué sur place avec les inspectrices du travail qui l'ont rédigé. Elles ont souligné que, pour ces risques, aucune sanction pénale n'était prévue.

La sixième proposition prévoit d'instaurer l'obligation, sous contrôle de l'inspection du travail, de recourir à des formations professionnelles ou à des mesures de chômage partiel, même si un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) est en cours, pour prévenir les risques psychosociaux engendrés par le désoeuvrement des salariés à la suite d'une baisse de la production. À Amiens-Nord, du fait du PSE, l'entreprise laisse des salariés inactifs à 80 %, ce qui cause des dégâts psychologiques.

La septième proposition – relever le montant des pénalités applicables aux infractions au droit du travail – s'inscrit dans le même ordre d'idées. Chez Goodyear, qui a suscité un grand nombre d'actions de la part de l'inspection du travail, notamment à cause de la vétusté des circuits électriques et de la non-conformité de la sécurisation des machines, la DIRECCTE a signalé le cas d'un salarié électrocuté. Nous proposons que le montant des amendes, en cas d'infraction, soit multiplié par dix.

En outre, même quand un PSE est en cours, les entreprises devront donner une occupation positive aux salariés, au lieu de les laisser désoeuvrés, dans des conditions déplorables tant socialement et humainement qu'au regard de l'intérêt de l'entreprise.

La huitième proposition porte sur la bonne application par les parquets des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale pour assurer un suivi des signalements effectués au procureur de la République par l'inspection du travail. Actuellement, celle-ci ignore si les signalements donnent lieu à des poursuites judiciaires et comment, le cas échéant, ils sont sanctionnés. Un meilleur suivi permettra de percevoir les efforts consentis par les entreprises et de repérer celles qui contreviennent systématiquement au droit du travail ou ignorent les préconisations qui leur sont transmises.

La neuvième proposition tend à améliorer de façon significative la formation des magistrats en droit du travail, notamment sur les risques psychosociaux, dont le harcèlement moral, toujours difficile à prouver. Les magistrats doivent apprendre à connaître ces risques soit à l'École nationale de la magistrature, soit lors de la formation qu'ils reçoivent tout au long de la vie.

La dixième proposition vise à faire bénéficier toutes les catégories d'employés de la formation professionnelle, à laquelle l'employeur doit consacrer 0,9 % de la masse salariale. Ce point fera l'objet d'un bilan annuel incorporé au bilan social d'ores et déjà prévu par la loi. Les formations vont généralement aux salariés les mieux formés, les autres n'en recevant aucune. M. Mota da Silva, délégué de Sud, nous a expliqué que, depuis son entrée chez Goodyear, en 1988, il n'a jamais suivi la moindre formation et n'a jamais évolué dans l'entreprise. Il arrive même que le niveau de certains salariés recule, au point qu'ils ne soient plus capables de lire des consignes de sécurité.

Par la onzième proposition, nous entendons renforcer l'information des collectivités sur le suivi de toute entreprise implantée sur leur territoire, en prévoyant la possibilité d'organiser chaque année deux conférences régionales. L'une regroupera les partenaires sociaux ; l'autre, les représentants des entreprises. Ceux-ci seront en contact avec les acteurs des corps constitués, notamment des chambres de commerce et d'industrie (CCI), de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), de la formation professionnelle ou de BpiFrance.

La treizième proposition tend à rendre obligatoire, s'agissant des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), la publication annuelle des résultats des analyses de contrôle et de surveillance, ainsi que le provisionnement auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) des montants nécessaires à la dépollution des sites. En anticipant l'éventuelle dépollution, on évitera que les collectivités locales ne se retrouvent seules face au problème si les entreprises se dérobent à leurs obligations – ce qui s'est produit dans l'Oise, avec Continental. La procédure gagnera également en transparence.

En quatorzième lieu, nous proposons de renforcer les contrôles aux frontières, dans tous les États membres de l'Union européenne, en lien avec les organisations professionnelles de chaque filière industrielle. Selon le syndicat professionnel du caoutchouc, 10 % des produits contrôlés de manière aléatoire contreviennent aux normes en vigueur dans l'Union et présentent un danger pour notre santé ou notre sécurité. Il est regrettable que les normes communautaires ne soient pas appliquées, faute de moyens ou de volonté.

Il s'agit, par la quinzième proposition, de défendre, dans les négociations internationales, la réciprocité des concessions tarifaires et des obstacles techniques au commerce pour tous les pays adhérents à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ayant atteint un niveau de développement industriel équivalent. Loin d'être protectionniste, la mesure vise à établir un échange équitable entre les pays venus concurrencer les cinq leaders mondiaux. Ceux-ci auraient le droit d'entrer sur le marché de l'Union européenne, à condition toutefois que la compétition s'exerce à armes égales.

Nous suggérons, en seizième lieu, de négocier, dans les enceintes de l'Union européenne, de l'OCDE et du G20, des dispositions visant à redonner aux États les moyens de soumettre à leur juridiction fiscale les bénéfices nés sur leur territoire de la fabrication ou de la transformation industrielle. Sur ce point, le cas de Goodyear est instructif. Dès lors que la filiale GDTO possède la matière première, elle dépend en grande partie – même si elle fait transformer cette matière première dans une usine de la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique (EMEA) – de l'administration fiscale du pays où se situe son siège, le Luxembourg.

Nous proposons ensuite que la France adopte les dispositions inspirées du rapport n° 1243 présenté le 10 juillet 2013 par M. Muet au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale et visant à lutter contre l'optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international. Ce rapport porte notamment sur les prix de transfert, l'information de l'administration, les entreprises hybrides, les abus de droit et les pénalités.

La dernière proposition, qui vient en dix-huitième position, tend à réduire ou supprimer le versement des fonds structurels européens aux États membres qui, par leur disparité de niveau de fiscalité, favorisent la délocalisation des activités économiques sur leur territoire et entraînent une désindustrialisation dans d'autres États membres. On sait que, pour des raisons fiscales, la production des pneus à haute technologie a été déplacée vers la Pologne. Notre but est non d'interdire tout développement industriel dans certains pays, mais de rappeler que les fonds structurels européens doivent être utilisés pour amener tous les pays européens à un niveau comparable de développement.

Les auditions ont montré que la Commission d'enquête était justifiée. Je remercie le groupe socialiste, qui l'a portée, et tous ceux qui y ont participé. Même si beaucoup de députés picards s'y sont retrouvés, il ne s'agit pas seulement d'une histoire locale. Nous avons saisi une occasion pour faire le point sur les difficultés économiques que rencontre le secteur du pneumatique, sur le droit du travail, sur le respect des consignes de sécurité dans certaines entreprises et sur l'absence d'harmonisation entre les États européens. C'est en adoptant des règles du jeu égalitaires qu'on construira l'Europe des citoyens.

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