Intervention de Patrice Carvalho

Réunion du 11 décembre 2013 à 16h30
Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine goodyear d'amiens-nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

La Commission aura permis d'entendre les protagonistes d'un conflit commencé en 2007, d'en saisir les ressorts et de réfléchir aux responsabilités des parties. Reste qu'elle n'aura rien réglé, puisqu'elle n'empêchera pas les 1 173 salariés de Goodyear ne se retrouver sur le carreau.

D'après les cabinets d'experts, Goodyear a augmenté ses profits en 2013 et affiche des perspectives très favorables. Le marché des pneumatiques est structurellement porteur, puisque le volume des ventes et la part des produits à forte valeur ajoutée sont en hausse. Dans ce contexte, la direction a progressivement et délibérément démantelé l'usine d'Amiens-Nord, dont les pertes découlent de la sous-activité, du cantonnement à des produits bas de gamme et de l'absence de modernisation du site, orchestrée par Goodyear.

Compte tenu de ses bons résultats, le groupe a annoncé qu'il verserait 14 millions de dollars de dividendes à ses actionnaires en décembre 2013. S'il a connu une période relativement difficile, celle-ci est derrière lui. Il prévoit de verser 55 millions de dollars de dividendes par an entre 2014 et 2016. La direction, qui a sacrifié l'usine d'Amiens-Nord et délocalisé sa production vers douze autres usines européennes, avait programmé depuis longtemps la fermeture du site.

La part d'Amiens dans la fabrication européenne de pneumatiques de tourisme est passée de 7,5 % en 2006 à 2,3 % en 2012. Le secteur agricole est plus difficile à cerner. Quoi qu'il en soit, tout a été fait pour discréditer l'usine d'Amiens-Nord auprès de Titan, en comparaison des usines à bas coût de Pologne, de Turquie ou d'Afrique du Sud.

Que faire quand les groupes bénéficiaires décident de fermer des sites rentables, après s'être appliqués à montrer qu'ils ne l'étaient pas ? La Picardie est un cas d'école, avec Goodyear et Continental. On ne peut se contenter de bricoler, en partant du principe que rien n'est possible, que les groupes sont tout puissants et qu'on ne pourra au mieux que ramasser les miettes qu'ils consentiront à laisser. Le groupe GDR a défendu une proposition de loi examinée en séance publique mais repoussée par le groupe socialiste comme par la droite visant à interdire les licenciements sans motif économique réel. Ce texte reste à l'ordre du jour.

Je souscris aux conclusions de la rapporteure. Elle a raison de signaler le risque psychosocial lié à la crainte d'une fermeture, mais ne pointe ni la fréquence ni la gravité des accidents du travail, pas plus que la manière dont l'entreprise a bafoué le CHSCT ou s'est dispensée de toute politique d'environnement, d'hygiène et sécurité (EHS). Lors de notre visite, le directeur ne jugeait pas indispensable que nous portions des chaussures de sécurité. J'ai constaté que certains salariés n'en avaient pas. Compte tenu de ce laxisme, l'absence de document unique d'évaluation des risques ou de procédures obligatoires pour accéder aux machines n'a rien d'étonnant. On ne s'y prend pas autrement quand on veut fermer un site.

La dépollution dépend du préfet, qui est le seul à incriminer en cas de manquement. Elle n'est d'ailleurs obligatoire qu'en cas de changement d'affectation du site. Continental n'était pas tenu de dépolluer si le groupe le conservait en l'état, même sans y maintenir d'activité. S'il jetait le gant, le préfet devait évaluer la pollution par carottage, en sollicitant la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), ancienne direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE).

Les substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) ne s'évaluent pas sur les produits finis. Ainsi, le verre a longtemps contenu du cyanure sans être dangereux. De même, il n'y a pas lieu d'interdire l'utilisation à grande échelle de l'eau de javel sur les sites industriels. Des produits classés CMR peuvent être utilisés dans la production des pneus, avec toutes les sécurités nécessaires et sans incidence sur la qualité du produit fini.

Dans le dossier Goodyear, les responsabilités sont partagées, mais une direction a toujours les délégués qu'elle mérite, au niveau des syndicats comme des CHSCT. Si elle crée les conditions de l'affrontement et de la violence, elle suscite certaines réactions. En l'espèce, affrontements et menaces servaient sa cause, puisqu'elle avait choisi de fermer le site. En tant que salarié, j'ai été menacé plusieurs fois. Les conflits sont toujours durs, et chacun, dirigeant ou délégué du personnel, doit assumer ses responsabilités. La direction, qui visait le pourrissement du conflit, l'a obtenu. J'avais les larmes aux yeux en voyant les salariés s'entre-déchirer au cours des assemblées générales.

Quant aux procédures judiciaires, elles restent un moyen de freiner les décisions et de repousser les échéances, en attendant mieux. Il en va de même dans beaucoup d'affaires qui n'ont rien à voir avec les syndicats et dans lesquelles les parties vont jusqu'en cassation.

Pour toutes ces raisons, je voterai le rapport.

Une dernière précision : le rythme le plus approprié à la vie biologique et familiale est non le système des 2x8 ou des 3x8 mais celui des 5x8, qui permet le travail en continu adapté à la production industrielle des groupes comme Goodyear ou Continental.

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