Intervention de Jean-Claude Lenoir

Réunion du 26 novembre 2013 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Claude Lenoir, sénateur, rapporteur :

– Je commencerai par évoquer les caractéristiques des gisements non conventionnels d'hydrocarbures avant de vous présenter les différents types de procédés de stimulation de la roche que nous avons étudiés.

Les techniques d'extraction des hydrocarbures non conventionnels répondent toutes à la nécessité de libérer une ressource piégée dans une roche imperméable. Il n'existe pas de technique miraculeuse, en raison de la nature même de ces ressources qui sont de deux types :

- Les hydrocarbures de roche-mère, qui présentent la particularité de ne pas avoir pu migrer pour s'accumuler dans un réservoir. Ils sont restés dispersés au sein d'une roche peu perméable, de type argileux.

- Les hydrocarbures de réservoirs compacts, dont les réservoirs sont de mauvaise qualité, car la pression y est très forte.

En raison de ces caractéristiques, des technologies d'extraction spécifiques sont employées :

- Le forage horizontal qui permet d'augmenter la section productive de chaque puits et, ainsi, de limiter le nombre de puits nécessaires. En pratique, lorsque le forage vertical atteint la roche-mère, il amorce une courbe puis devient horizontal dans la couche à exploiter, sur une longueur de plusieurs centaines de mètres à quelques kilomètres, le record étant de onze km.

- La stimulation qui permet d'améliorer la perméabilité de la roche. L'acidification, utilisée dans les réservoirs conventionnels, n'est pas suffisante. La fracturation a pour objet de créer des microfissures et de réactiver le réseau naturel de failles existant dans la roche, afin de faciliter l'écoulement des hydrocarbures.

La fracturation hydraulique est la méthode très majoritairement employée, mais elle n'est pas la seule technique possible. Les propriétés du gisement et les caractéristiques de l'environnement en surface peuvent conduire au choix d'autres technologies. Plusieurs paramètres interviennent dans ce choix.

Un premier paramètre est celui de la disponibilité de l'eau. En effet, la fracturation hydraulique est la méthode la plus employée en raison de l'abondance et du faible coût de la ressource en eau, mais cette force peut devenir une faiblesse, par exemple en milieu désertique (chaud ou froid), lorsque l'eau est difficilement accessible, par exemple lorsqu'elle gèle, ou lorsqu'elle fait l'objet de conflits d'usage importants.

Un deuxième paramètre est celui du maintien de l'intégrité et de la performance des puits. Dans certains types de roche, l'eau peut abîmer le puits (par exemple, elle gonfle l'argile) et réduire l'efficacité du prélèvement d'hydrocarbures. Par ailleurs, l'eau n'est pas naturellement compatible avec les hydrocarbures, contrairement à certains autres fluides. Les méthodes alternatives permettent souvent de rendre les puits plus productifs. Elles augmentent le volume de ressource récupérable. Elles peuvent servir, en fin d'exploitation, à réactiver un puits dont la production décline.

Enfin, l'emploi de technologies différentes de la fracturation hydraulique peut avoir un effet positif sur l'environnement en préservant la ressource en eau et en réduisant le nombre d'additifs nécessaires, grâce à l'utilisation de fluides chimiquement compatibles avec la ressource extraite.

Quelles sont, alors, les techniques susceptibles d'être employées ou faisant l'objet de recherches ? Je les évoquerai en allant des moins opérationnelles aux plus abouties.

Il s'agit d'abord de procédés de stimulation permettant d'éviter l'emploi de quantités importantes de fluides :

- La fracturation par arc électrique : cette technique a été étudiée, en France, à l'Université de Pau. Je ne vais pas entrer ici dans le détail des procédés, mais vous pourrez trouver des précisions dans notre rapport.

- La fracturation par procédé thermique : il s'agit de chauffer la roche, ce qui a deux effets. D'une part, cela conduit à déshydrater la roche et donc à la fissurer. D'autre part, cela favorise la transformation d'hydrocarbures lourds en hydrocarbures légers.

- La fracturation pneumatique consiste à injecter de l'air comprimé pour désintégrer la roche-mère grâce à des ondes de choc. Des pistolets à air comprimé peuvent être utilisés. Une variante de ce procédé fait usage d'hélium, la fracturation étant provoquée par la forte expansion de ce gaz lors de son réchauffement dans le sous-sol.

J'en viens aux techniques de stimulation à partir de gaz liquéfiés ou gélifiés. Il s'agit de gaz liquides qui peuvent être utilisés seuls ou avec des additifs, afin de constituer des mousses. Ces fluides alternatifs ont déjà été utilisés depuis une quarantaine d'années aux États-Unis et au Canada. Ils continuent à faire l'objet de recherches.

Depuis une quarantaine d'années, trois types de fluides ont été utilisés en Amérique du nord : le propane, les mousses à base d'azote ou de CO2, ainsi que l'azote ou le CO2 liquides. L'utilisation de gaz liquides permet de se passer complètement d'eau et d'additifs. Pour les mousses, la réduction est de 80 % du volume d'eau nécessaire. Elles sont gélifiées à l'aide de dérivés de la gomme de guar qui est un produit alimentaire. L'emploi de ces techniques par le passé n'est pas anecdotique. À titre d'exemple, de 1981 à 1998, le CO2 liquide a été utilisé environ 1 400 fois dont environ 200 en combinaison avec l'azote. Aux États-Unis, 2 % à 3 % des forages utilisent ces fluides dits énergisés.

Les recherches sur ces fluides se poursuivent. Le département de l'énergie américain finance, par exemple, des recherches sur une technique cryogénique de fracturation à base d'azote etou de CO2, dans le but d'éliminer le besoin en eau, afin d'approfondir les connaissances déjà acquises.

Nous avons également été témoins de ces recherches en Pologne, à la suite des premiers travaux d'exploration menés, qui ont révélé des difficultés liées à la géologie. Les roches-mères polonaises sont très profondes et très denses, entraînant de faibles taux de récupération des hydrocarbures. La ressource ne manque pourtant pas. Dans ce contexte, des chercheurs ont entrepris des travaux sur des techniques susceptibles d'accroître la productivité des puits. Il s'agit d'une méthode de séquestration souterraine du CO2, associée à la récupération de gaz de roche-mère.

Je terminerai cette présentation des méthodes différentes de la fracturation hydraulique en évoquant la stimulation au propane. L'usage de propane liquide est ancien mais connaît des évolutions.

La stimulation au propane est utilisée depuis cinquante ans par l'industrie. Le propane a notamment été employé par le passé pour restimuler des puits conventionnels sous-pressurisés. S'agissant de l'extraction non conventionnelle, la stimulation au propane gélifié a été développée par la société canadienne GasFrac. Entre 2008 et 2013, près de 1 900 opérations de stimulation ont été réalisées par cette entreprise en Amérique du Nord (principalement au Canada). Le gel employé nécessite moins d'additifs, notamment pas de biocides.

Par ailleurs, la société ecorpStim développe une technologie de stimulation au propane pur, sans additifs, qui a été testée avec succès en 2012. Le seul et unique fluide utilisé est du propane pur liquide, avec un proppant, c'est-à-dire du sable nécessaire ou maintien des fissures ouvertes. Ce fluide est réutilisable jusqu'à 95 %. Les besoins en transport sont donc réduits. En revanche, cette technique nécessite la manipulation de quantités importantes de propane inflammable en surface. Un accident s'est d'ailleurs produit chez GasFrac, en 2011, provoquant plusieurs blessés. Elle n'est pas adaptée aux contextes très denses en population et nécessite la mise en place de procédures de prévention des risques industriels.

La stimulation au propane fait l'objet d'améliorations, avec l'usage de propane non inflammable, actuellement développé par ecorpStim. Il s'agit d'une forme fluorée de propane, utilisée sans eau ni additifs, qui permet de supprimer la totalité des risques industriels liés à l'utilisation de propane traditionnel. Le propane non inflammable est utilisé dans le domaine médical et pour l'extinction des feux. Il a été développé pour les aérosols, car il n'a pas d'effet sur la couche d'ozone. Il pourrait être produit en France (Solvay). C'est une perspective intéressante.

Vous trouverez dans le rapport un tableau synthétique des avantages et inconvénients des principales techniques alternatives à la fracturation hydraulique.

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