Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 10 décembre 2013 à 22h00
Commission des affaires économiques

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt :

Vous vous interrogez, monsieur Herth, sur l'existence de véritables changements depuis la loi de 1999 et vous avez notamment comparé les contrats territoriaux d'exploitation (CTE) et les GIEE. Les CTE étaient des contrats passés entre l'État et les agriculteurs sur des objectifs précis à atteindre en matière économique et environnementale. Ils étaient liés à l'octroi d'une aide, d'ailleurs supprimée par la majorité suivante avec la mise en place des contrats d'agriculture durable, lesquels n'ont eux-mêmes duré qu'un temps. Nous avons donc perdu tout le bénéfice des CTE. Certes, il y a une continuité logique, que nous assumons : nous pensons possible de combiner les enjeux de production et de compétitivité – qui sont d'ailleurs rappelés dans le préambule et l'article 1er – et les enjeux environnementaux. Mais nous changeons d'échelle et d'approche avec les GIEE : c'est un instrument beaucoup plus souple et ouvert, qui n'est pas directement lié à l'octroi d'une aide pour atteindre des objectifs précis sur une exploitation donnée. Les GIEE reposent sur l'idée que la dynamique collective est le meilleur moyen d'améliorer les performances économiques et environnementales. J'en ai été le témoin lorsque j'ai visité, en Ardèche, le groupement d'intérêt économique (GIE) « Développement de l'agriculture durable »: les cinquante-deux chefs d'exploitation qui le composent définissent leurs priorités en commun et portent un même projet, et c'est cette dynamique collective qui leur permet de rompre l'isolement dont certains d'entre eux peuvent souffrir sur le plateau ardéchois.

La compétitivité revêt plusieurs dimensions : le coût ; l'innovation et la recherche ; l'innovation commerciale, en particulier la segmentation. S'agissant de cette dernière dimension, l'image de la France, la qualité de nos produits, les signes de qualité – appellation d'origine contrôlée (AOC), appellation d'origine protégée (AOP), indication géographique protégée (IGP) – jouent un rôle essentiel. À l'échelle mondiale, nous défendons l'idée d'un lien fort entre le produit agricole et le produit alimentaire, alors que d'autres pays ont davantage une logique de marques commerciales.

L'innovation et la recherche constituent un enjeu majeur. Elles sont au coeur du titre IV du projet de loi. À cet égard, je rejoins M. Benoit : l'enseignement agricole doit devenir un véritable laboratoire. Longtemps, il a seulement montré l'existant, que les exploitants copiaient – ce qui était positif –, mais il doit désormais anticiper sur l'avenir. Les lycées agricoles commencent d'ailleurs à le faire. C'est là aussi un vrai changement.

La compétitivité coût demeure, bien sûr, une dimension importante. S'agissant du coût de la main-d'oeuvre, la question de l'instauration d'un SMIC à l'échelle européenne est posée. Pour ce qui est de l'Allemagne, l'accord de coalition entre la CDU et le SPD prévoit explicitement la création d'un SMIC horaire à 8,50 euros, alors que, dans les abattoirs allemands, certains salariés sont payés actuellement entre 3,20 et 3,50 euros de l'heure. C'est une avancée majeure.

D'autre part, les ministres européens du travail et de l'emploi viennent de trouver un accord – je m'en félicite – sur l'exécution de la directive relative au détachement des travailleurs. Les règles auparavant en vigueur permettaient aux abattoirs allemands d'embaucher jusqu'à 90 % de travailleurs détachés. En France, certains secteurs agricoles et industriels, notamment le BTP, avaient également recours à la directive. Désormais, les donneurs d'ordre seront solidairement responsables des conditions dans lesquelles leurs sous-traitants emploient des travailleurs détachés. En outre, chaque État membre sera libre de fixer la liste des documents que doivent fournir les entreprises ayant recours aux travailleurs détachés. C'est là aussi un pas important.

Quant au coût du capital, à la fiscalité et aux exonérations de charges sociales – notamment celles qui sont accordées en cas d'embauche de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TO-DE) –, nous en avons déjà débattu. Je rappelle néanmoins que le CICE s'applique à l'agriculture et à l'agroalimentaire, ce qui représente un allègement de 1,3 milliard d'euros pour l'ensemble du secteur. S'agissant des coopératives, la Commission européenne considère qu'elles ne peuvent pas bénéficier du CICE dans la mesure où elles n'acquittent pas d'impôt sur les sociétés : cela constituerait une aide prohibée. Nous devons donc continuer à travailler sur ce point.

Le présent projet de loi ne pouvait pas traiter tous les sujets que je viens d'aborder. Il se concentre sur l'agriculture à proprement parler, l'alimentation, l'enseignement agricole, la forêt et sur chacun de ces domaines dans les outre-mer. En revanche, les questions relatives à la production, à la fiscalité et à la consommation relèvent d'autres textes de loi.

Le paiement redistributif, c'est-à-dire la surprime accordée pour les cinquante-deux premiers hectares, vise non pas à encourager la spéculation foncière évoquée par M. Herth, mais à concentrer l'aide sur les exploitations qui emploient le plus de salariés. En France, le coût d'accès au foncier demeure largement inférieur à ce qu'il est dans d'autres pays européens, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Danemark – je connais ainsi un agriculteur néerlandais qui a pu acquérir une exploitation de 80 hectares dans le Sud-Ouest et des quotas laitiers à hauteur de 360 000 litres pour le prix qu'il aurait dû payer, dans son pays, pour obtenir les seuls quotas laitiers. Nous devons donc préserver cet élément de compétitivité. D'où les mesures que nous avons prévues dans le projet de loi pour lutter contre l'artificialisation des terres.

Beaucoup d'entre vous, notamment le rapporteur et Mme Allain, ont rappelé les objectifs et les enjeux du projet de loi. Pour la première fois, un texte consacre la double performance, économique et environnementale. Le groupe écologiste souhaiterait certainement aller plus loin mais nous avons cherché à ménager un équilibre. Nous veillerons d'ailleurs à cet équilibre s'agissant de la simplification des procédures d'enregistrement pour les installations classées, sur lesquelles nous avons trouvé un accord avec la profession agricole, en lien avec le ministère de l'écologie.

D'une manière générale, je suis convaincu que le développement de l'agro-écologie constituera un élément de compétitivité très important pour l'agriculture française. J'ai récemment visité l'entreprise Goëmar à Saint-Malo, spécialisée dans le domaine du biocontrôle. Les grandes industries chimiques – BASF, DuPont, Syngenta – sont de plus en plus présentes dans ce domaine. Nous devons créer une grande industrie française du biocontrôle, en ouvrant une perspective aux quelque soixante-dix PME du secteur grâce à l'agro-écologie. Ces PME enregistrent une croissance de 5 à 6 % par an et emploient de jeunes chercheurs qui préparent l'avenir.

De même, les fabricants français de machines agricoles anticipent le développement de l'agro-écologie et mettent au point de nouveaux engins : enjambeur électrique pour la viticulture ; tracteur à hydrogène ou au méthane ; sous-soleuse munie de semoirs permettant de semer simultanément plusieurs variétés sans labourage préalable. Ce sont là des progrès considérables. L'agro-écologie constitue donc aussi un enjeu pour le développement de nouvelles industries. Nous allons gagner ce pari : concilier l'économie et l'écologie. Ce projet de loi porte en germe les belles récoltes de demain !

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