Intervention de Bruno Genty

Réunion du 10 décembre 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bruno Genty, président de France Nature Environnement :

France Nature Environnement est une fédération d'associations créée en 1968 et reconnue d'utilité publique depuis 1976. L'une des signatures de notre communication est la suivante : « partout où la nature a besoin de nous ». Notre fédération – qui, en vertu du décret du 12 juillet 2011 sur la représentativité, dénombre chaque année ses membres –, compte 800 000 adhérents, issus d'un peu plus de 3 000 associations présentes sur tous les territoires.

Les principaux adhérents de France Nature Environnement sont une dizaine d'associations nationales, comme la Ligue de protection des oiseaux (LPO), et des fédérations et unions appartenant à toutes les régions métropolitaines et ultramarines – la Bourgogne seule présentant, pour des raisons historiques, des fédérations départementales. Nous disposons donc de relais d'opinion dans tous les territoires et nos actions de terrain sont aussi importantes que nos actions institutionnelles.

Notre philosophie politique consiste tout d'abord à connaître et à comprendre la complexité de la nature et de l'environnement, afin de bien les protéger. Nous réalisons à cet égard un travail de fond qui alimente nos positions.

Il s'agit ensuite de convaincre : nous dialoguons en permanence avec l'ensemble des parties prenantes et la société civile – de manière parfois un peu rude, il est vrai – et plaidons la cause de l'environnement auprès des décideurs. Nous sommes impliqués dans le débat public et, comme l'a montré le Grenelle de l'environnement, proposons des solutions concrètes pour avancer dans la voie de la transition écologique, sans prétendre pour autant détenir toutes les solutions.

Il s'agit également de mobiliser : les citoyens doivent être au coeur des enjeux environnementaux, car ce serait un comble que la nature, condition de la vie humaine sur la planète, soit réservée à des spécialistes. Nous menons donc des actions ciblées de sensibilisation en ce sens.

Nous menons aussi un travail de défense, alertons l'opinion publique et estons en justice lorsque le droit de l'environnement n'est pas respecté.

Nous adoptons en outre une approche systémique et nous attachons à veiller à la cohérence du discours, en matière par exemple de défense de la biodiversité et de transition énergétique. Nous sommes ainsi favorables au développement des énergies renouvelables, mais sommes également soucieux d'excellence environnementale – laquelle peut du reste se traduire par des gains de compétitivité pour nos entreprises.

Par ailleurs, notre indépendance constante vis-à-vis des partis politiques est le gage de notre engagement associatif et de notre crédibilité dans la durée. L'objectif de notre plaidoyer est que le plus grand nombre possible de responsables, notamment parlementaires, prenne en compte la nécessité de la transition écologique.

Notre culture du dialogue et notre capacité de proposition se sont notamment exprimées lors de l'élection présidentielle avec la diffusion d'un document cadre présentant un projet global. Nous avons alors invité tous les candidats républicains à participer au congrès que nous avons organisé à Montreuil et à nous faire part de leurs réactions et des éléments de nos propositions qu'ils comptaient reprendre s'ils étaient élus. Nous participons également aux conférences environnementales.

En matière de dialogue environnemental, nous privilégions le dialogue multilatéral, permettant à l'ensemble des parties prenantes de s'exprimer ensemble, alors que les lobbies défendant des intérêts commerciaux préfèrent le dialogue bilatéral, dans le cadre duquel ils ont les moyens d'être plus convaincants. J'observe du reste au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE) que certaines parties prenantes ne tiennent pas le même discours dans le dialogue bilatéral que dans le dialogue multilatéral. Pour une organisation citoyenne comme la nôtre, qui ne dispose pas des mêmes moyens que les lobbies industriels ou commerciaux, le dialogue environnemental revêt donc une très grande importance.

J'en viens au contexte, qui est aujourd'hui franchement défavorable à la transition écologique. Celle-ci est actuellement immobile, et recule même dans certains secteurs.

Les médias montrent que certains acteurs tentent de présenter l'environnement comme le bouc émissaire de la crise et de tous les problèmes de la France – c'est ce qu'illustre notamment le débat sur l'écotaxe, taxe qui n'a jamais été payée, mais qui est accusée de pénaliser la compétitivité. Il y a là beaucoup d'hypocrisie, car chacun sait que le vrai problème de l'écotaxe tient à la différence de coût du travail, qui explique par exemple que l'on envoie des bêtes à l'abattage en Allemagne et en salaison en Belgique.

Ce procès fait à l'environnement nous inquiète d'autant plus que la transition écologique est une réelle opportunité pour sortir de la crise économique, sociale et environnementale, provoquée par un fonctionnement à crédit qui commence par les banques, puis se transfère sur le budget de l'État et sur l'environnement. L'empreinte écologique en offre un indicateur simple : au niveau planétaire, le quota de ressources naturelles compatible à un fonctionnement soutenable est consommé de plus en plus tôt dans l'année – actuellement à la mi-août – alors que, par comparaison, le budget de la sécurité sociale n'entre en déficit que vers la mi-novembre. Si nous continuons ainsi, nous allons au-devant de nouvelles crises. Au niveau mondial, l'accès aux ressources naturelles mêle en effet les questions économiques et environnementales. Ainsi, lorsque la Chine a décidé, voilà deux ans, de ne plus exporter de terres rares, mais seulement des produits manufacturés apportant une plus-value, les réactions du président Obama ont montré qu'il était nécessaire de sortir de manière durable de la crise économique en intégrant les contraintes physiques, donc environnementales.

Ce contexte pose aussi des problèmes de gouvernance. Ainsi, il serait sans doute préférable, pour apaiser le conflit lié à l'écotaxe, d'améliorer le dispositif voté à la quasi-unanimité en 2009 plutôt que d'en repousser la mise en oeuvre aux calendes grecques.

Notre base, soit environ 850 000 citoyens, après avoir exprimé depuis 2007 de nombreuses attentes quant à la transition écologique, a aujourd'hui le sentiment qu'au début de leur mandat, les gouvernements qui se succèdent présentent cette transition comme une solution, puis font marche arrière ou ralentissent le mouvement dès qu'il s'agit de traduire l'intention en actions objectives. Ce n'est pas ainsi qu'on pourra en évaluer le succès.

J'aborderai deux grands dossiers d'actualité : la remise à plat de la fiscalité, qui est une opportunité pour mettre en place une fiscalité écologique juste – sujet où les passions l'emportent parfois sur la raison –, et la modernisation du droit de l'environnement.

Une réforme en profondeur du système fiscal français est nécessaire et nous espérons que l'annonce de cette réforme est une démarche sincère, et pas seulement une manière de sortir de la crise provoquée par l'écotaxe. Il est pertinent de renouer avec les grands principes de la contribution commune, qui fondent le pacte républicain : progressivité, équité, redistribution et justice sociale. Cependant, France Nature Environnement, qui a demandé, à l'instar d'autres organisations environnementales, de pouvoir participer à ce chantier, s'est heurtée jusqu'à présent à une fin de non-recevoir. Ignorer, à l'aube du XXIe siècle, les enjeux environnementaux, ne nous paraît ni raisonnable, ni même soutenable, car la fiscalité écologique doit être un fil conducteur de la future réforme. Ce que nous entendons de notre base – certes partisane, car elle voit le monde à travers le prisme environnemental – se fait également entendre dans d'autres secteurs de la société : nous devons savoir où nous allons et avons besoin d'une vision, d'un horizon. Les difficultés sont certes réelles dans un contexte difficile pour tous, et la remise à plat de la fiscalité peut susciter des égoïsmes et la défense d'intérêts particuliers additionnés et contradictoires qui pourraient nous empêcher de construire dans l'intérêt de notre pays.

À tous ceux qui refusent une fiscalité écologique au motif qu'elle serait dommageable à la compétitivité des entreprises face à leurs concurrents européens, je rappellerai quelques chiffres publiés par le Gouvernement. La France était en 2010 à l'avant-dernière place de l'Union européenne, juste devant l'Espagne, en termes de fiscalité écologique – cette dernière représentait 1,86 % du PIB, contre une moyenne de 2,27 % pour les 27 États de l'Union européenne et de 2,21 % en Allemagne. S'il est impossible de balayer d'un revers de main les problèmes de compétitivité, il est cependant très dangereux d'incriminer la réglementation environnementale.

J'ai été très choqué de voir, sur une photographie d'agence de presse représentant la manifestation des « bonnets rouges », une pancarte portant la phrase : « Bravo les écolos : grâce à vous, on n'a plus de boulot ». Pour des militants qui, comme moi, défendent depuis des dizaines d'années la nécessité d'un nouveau modèle, notamment agricole, c'est dur. Cette attitude est à mettre en rapport avec la montée des populismes. La recherche de boucs émissaires accompagne la montée du mécontentement dans notre pays.

Je le répète, les normes protégeant l'environnement ne sont pas à l'origine des difficultés que rencontrent les entreprises françaises. Ainsi, l'écotaxe poids lourds ne pénaliserait pas les entreprises françaises. En effet, des redevances de cette nature sont déjà en vigueur dans de nombreux pays européens – par exemple en Allemagne depuis 2005, en Suisse depuis 2001 ou en Autriche depuis 2004. Le secteur des transports routiers souffre en effet d'une concurrence déloyale de certains pays en raison d'un véritable dumping social. En taxant le réseau des grandes routes nationales qui subissent un report des camions désireux d'éviter le réseau autoroutier payant, l'écotaxe ferait payer 800 000 camions, dont 200 000 de compagnies étrangères qui couvriront de toute façon des distances bien plus longues.

En outre, les citoyens de vos circonscriptions sont également soucieux de leur santé et de leur sécurité. La France, au carrefour d'importants noeuds routiers, ne doit pas attirer le transport routier sous prétexte qu'il s'y ferait aux frais du contribuable français, et non pas à ceux des utilisateurs professionnels du réseau routier.

À ceux qui invoquent le fameux « ras-le-bol fiscal » pour refuser une fiscalité écologique – ou, du moins, une fiscalité plus écologique –, je répondrai que les citoyens demandent de la clarté et de la lisibilité et que la fiscalité écologique est précisément fondée sur le principe assez simple et compréhensible du « pollueur payeur ». Elle est donc porteuse de sens et n'est pas faite pour pressurer quiconque, mais pour amorcer la transition écologique en induisant des changements de comportement.

En outre, elle peut permettre de financer notamment ceux qui adoptent volontairement des comportements plus vertueux sur le plan environnemental. Plutôt que de subir éternellement l'augmentation régulière du prix de l'énergie – qui joue un rôle important dans les problèmes économiques nationaux et mondiaux –, encourager dès maintenant des changements de pratiques permettrait aux entreprises et aux ménages de s'adapter en amont, par exemple par la rénovation des bâtiments. Des dispositifs d'aide aux plus démunis doivent être mis en place pour assurer cette transition.

La fiscalité écologique se traduit également par des économies pour l'État. On comptabilise chaque année en France, comme l'a montré le rapport de Guillaume Sainteny, 50 milliards de subventions ou d'aides publiques nuisibles à l'environnement, à comparer avec les 2 milliards d'euros consacrés aux emplois verts, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables. Les chiffres démentent donc le discours selon lequel on consacrerait trop de subventions à la transition écologique. La remise à plat de la fiscalité doit donc s'accompagner d'une remise à plat des aides nuisibles à l'environnement. La suppression de ces subventions ne saurait du reste être brutale, ce qui donne tout son sens à la notion de « transition ». La mise en oeuvre doit être progressive pour être économiquement et socialement supportable pour les entreprises et les secteurs d'activité concernés.

Lors de la conférence environnementale de 2012, le Premier ministre s'était engagé à mettre en place cette fiscalité écologique, et notamment à rattraper le retard de notre pays par rapport à la moyenne européenne.

Dans ce cadre, la contribution climat-énergie, esquissée dans le projet de loi de finances pour 2014, marque le début de l'indispensable articulation entre les questions économiques, sociales et environnementales. Il faut aller beaucoup plus loin et, si le Gouvernement ne s'y emploie pas assez, nous espérons que les parlementaires l'aideront à être ferme dans ce domaine. La fiscalité écologique est, au-delà des incantations de début de quinquennat, le carburant de la transition écologique. Pour atteindre ses objectifs, il faut se doter des moyens nécessaires.

Il est donc impératif d'intégrer l'écologie aux réflexions qui seront menées dans le cadre de la réforme de la fiscalité et, à ce titre, de travailler notamment à la suppression des niches fiscales défavorables à l'environnement et au fléchage des recettes de la fiscalité écologique vers le financement des actions en faveur de la transition écologique.

Quant à la modernisation du droit de l'environnement, les besoins exprimés en termes d'efficience – terme préférable à celui de « simplification », qui se traduit souvent, dans les faits, par une certaine dérégulation – nous font souhaiter un droit de l'environnement plus lisible, plus cohérent et plus stable. Le code de l'environnement doit traduire une politique volontariste et porteuse de sens.

Le droit de l'environnement est un droit jeune et moderne, structuré par des principes nationaux et des engagements communautaires, notamment les principes internationaux de participation du public et de prévention des atteintes à l'environnement. Le terme de « modernisation » peut d'ailleurs paraître quelque peu incongru pour un code qui n'a que treize ans d'âge. Sa complexité, qui tient en partie à des redondances, s'explique aussi par une mauvaise articulation avec différents codes, comme celui de l'urbanisme. C'est la raison pour laquelle France Nature Environnement a d'emblée participé de bonne foi aux états généraux de la modernisation du droit de l'environnement et formulé des propositions constructives, comme 800 autres praticiens du droit de l'environnement. Nous avons été très déçus de constater que, bien qu'un processus de concertation ait été engagé par le Gouvernement, le Premier ministre a fait des annonces unilatérales qui en remettaient en cause le principe même. Certains reculs ont été observés, notamment avec le changement de régime des installations classées pour les élevages porcins, au moment même où la France est en mauvaise posture devant la Cour de justice de l'Union européenne du fait du non-respect de la directive nitrates.

La réforme du droit de l'environnement doit se fonder sur des évaluations solides et s'inscrire dans un principe de non-régression, comme l'ont affirmé les deux ministres de l'écologie qui ont eu la responsabilité des états généraux de modernisation du droit de l'environnement. L'efficacité de cette réforme suppose la déconstruction de clichés. Ainsi, le droit de l'environnement n'est pas un handicap, mais un atout pour la préservation de notre capital productif. En agriculture, en effet, un sol épuisé ne produit plus, sinon à grand renfort d'intrants coûteux.

Les normes de protection de l'environnement ne réduisent pas la compétitivité des entreprises, au moins au niveau européen, car ces normes sont européennes. En outre, la France ne surtranspose pas le droit communautaire ; elle est plutôt un mauvais élève en ce domaine – je rappelle que 14 procédures d'infraction au droit communautaire de l'environnement sont actuellement ouvertes par la Commission européenne contre notre pays. Pour le non-respect de la seule directive air, la France s'expose ainsi à une amende estimée par le ministère de l'écologie à 11 millions d'euros, auxquels s'ajoute une astreinte journalière de 240 000 euros jusqu'à ce que les valeurs limites de qualité de l'air soient respectées, ce qui représente au moins 100 millions d'euros pour la première année et 85 millions d'euros par la suite. Pouvons-nous nous le permettre en ces temps de difficultés budgétaires ? Quant aux coûts pour les Français en termes de santé et de qualité de vie, ils sont plus difficilement quantifiables, mais d'une importance vitale.

Pour conclure, je vous souhaite bon courage pour l'important calendrier législatif qui vous attend, marqué par de forts enjeux tels que la transition énergétique ou la loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt ou la loi-cadre sur la biodiversité. France Nature Environnement participe depuis plusieurs mois à la préparation de ces lois au sein de nombreux groupes de travail et nous sommes à votre disposition pour échanger sur ces sujets.

De nombreux citoyens qui ne détruisent pas de biens publics pour se faire entendre sont aujourd'hui inquiets et certains mécontents car ils ont l'impression que, dans ces temps difficiles, nous n'avons plus de boussole. Or, l'absence d'horizon est dangereuse à moyen terme. Nous comptons donc sur vous pour nous aider à redessiner pour notre pays un horizon durable.

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