Intervention de Bruno Genty

Réunion du 10 décembre 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bruno Genty, président de France Nature Environnement :

La commission spéciale du CNTE se réunira pour la première fois cette semaine, mais, comme c'est hélas souvent le cas avec l'administration, nous ignorons encore l'ordre du jour.

Monsieur Jean-Yves Caullet, s'agissant du rôle que nous avons à jouer pour faire accepter les mesures prises, je ne veux pas me défausser mais la pédagogie est un véritable enjeu. J'ai souligné l'importance du dialogue environnemental parce que, quand on réunit les parties prenantes en amont des décisions, celles-ci sont mieux acceptées ensuite. L'écotaxe est à cet égard un bon exemple d'un manque de pédagogie. Elle aurait été dénommée « redevance poids lourds », les choses auraient sans doute été différentes. L'instrumentalisation est un autre écueil qui nous menace, mais, dans l'ensemble, nous jouons notre rôle d'aiguillon au service de l'intérêt général pour contribuer avec d'autres à la pédagogie de la décision.

Vous avez évoqué les avancées et les reculs depuis le Grenelle. J'avoue avoir du mal à accepter, pour des raisons éthiques, de voir des consensus négociés remis en cause par pur opportunisme.

Pour déterminer l'équilibre entre les contraintes économiques, sociales et environnementales, il faut instaurer le dialogue environnemental. Au fil du Grenelle, nous avons vu des commissions, où notre sensibilité était majoritaire, rejointes par de nouveaux partenaires, tels que le patronat ou les syndicats, qui ont fait basculer le rapport de forces. Mais nous jouons le jeu car nous avons conscience de l'enjeu de l'acceptabilité. Le dialogue environnemental permet de mieux gérer les équilibres. On nous reproche de rouspéter beaucoup… Voici un contre-exemple : le débat national sur la transition énergétique, même s'il a connu des ratés au départ, a permis de trouver des accords majoritaires et de mieux intégrer les contraintes économiques et sociales aux objectifs environnementaux.

Le principe de précaution vient d'être fusillé à bout portant par Jacques Attali au Conseil économique, social et environnemental en début d'après-midi. Cela dit, l'innovation n'est pas une fin en soi, et elle doit aider à surmonter des contraintes d'ordre économique, social ou environnemental. Pour dépasser notre modèle économique prédateur des ressources non renouvelables, l'innovation peut apporter des gains de productivité. Ainsi, dans les années quatre-vingt, j'avais milité pour que la ligne du TGV atlantique soit couverte en zone urbaine. La SNCF, qui comptait pourtant sur le soutien des militants écologistes, s'était plainte du surcoût pour la collectivité. Nous avons tenu bon et obtenu que la couverture soit végétalisée et transformée en coulée verte. Désormais, la SNCF a fait de ce savoir-faire un argument commercial ! Un produit attractif, adapté aux besoins et respectueux de l'environnement, peut être aussi source d'innovation et de compétitivité.

La fiscalité n'est pas le seul instrument de la politique écologique.

Selon M. Jean-Yves Caullet, nous n'insistons pas sur les bons résultats. Pourtant, nous avons trouvé intéressant le travail mené par M. Thierry Tuot sur la réforme du code minier, en termes de gouvernance. Les différentes parties ont travaillé ensemble dans le bon sens, mais vous n'ignorez pas que les médias ne s'intéressent pas à nos communiqués de presse qui se félicitent de telle ou telle mesure, comme l'annulation des permis d'exploration de gaz de schiste par M. Philippe Martin, et qu'ils ne sont attirés que par l'odeur du sang... Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de l'expérimenter, ici même à l'Assemblée nationale, dans nos discussions avec le monde agricole.

Le débat public est un maillon important du dialogue environnemental. En revanche, on a raté la réforme des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER). J'avais indiqué au Gouvernement, dès la conférence environnementale, qu'il fallait profiter de leur prochain renouvellement pour créer un véritable collège environnemental qui compte aussi des entreprises dont l'activité soit en lien avec l'environnement. Une circulaire est parue en juin, pleine de bonnes intentions – parité homme-femme, prise en compte de l'économie sociale et solidaire – mais rien d'autre. C'est une occasion manquée alors que nous avons bien vu que le Grenelle n'avait pas pu relayer la dynamique nationale dans les territoires. D'ailleurs, les adhérents en région se plaignent que la gouvernance dans les territoires ne change pas. Maintenant, il va falloir attendre six ans. Il ne s'agit pas d'asseoir l'hégémonie de FNE mais de traduire dans les faits le « E » d'environnemental ajouté aux CESR.

Ma réponse à votre question, monsieur Martial Saddier, dépendra du point de vue où l'on se place. Notre organisation est fortement décentralisée, en vertu du principe de subsidiarité. La fédération nationale est dirigée par un conseil d'administration comptant vingt-quatre membres élus qui s'efforcent de tenir compte de la position des associations adhérentes, qu'elles soient nationales, à vocation thématique, ou sur le terrain. Toutefois, nous ne transigeons pas sur certains points. C'est aux associations bretonnes de discuter le pacte breton – elles ont d'ailleurs lancé une pétition pour que le pacte soit résolument tourné vers l'avenir –, mais nous gardons la main sur l'écotaxe parce que c'est notre cohérence globale qui est en jeu.

Le budget de la fédération nationale est d'un peu moins de 4 millions d'euros par an. Nos moyens sont maigres, et nous compensons par un engagement fort de nos bénévoles. Mais nous atteignons la limite. Je me bats pour parvenir à la parité dans nos instances dirigeantes et, compte tenu de la réalité des rapports homme-femme aujourd'hui, c'est très difficile. Les retraités aussi sont surreprésentés, comme ceux qui ont plus de facilité à gérer leur emploi du temps. Autrement dit, si vous êtes jeune, femme et salariée, vous aurez du mal à être présidente d'une fédération départementale ou nationale du FNE. D'ailleurs, dans la feuille de route résultant de la conférence environnementale, on trouve l'engagement de travailler à un mandat du responsable associatif bénévole. Nous tenons beaucoup à notre statut de bénévole élu, car nous sommes attachés à un fonctionnement démocratique. Mais il faut avoir à terme des moyens pour faire cesser les injustices. Pour le détail, je vous renvoie au rapport d'activité. Environ 50 % de nos ressources découlent de notre contrat d'objectif, 40 % de partenariats avec des entreprises privées et les 10 % qui restent proviennent de dons et legs. L'origine des financements est un paramètre important car elle conditionne notre politique. À notre échelle, nous essayons d'équilibrer les trois piliers qui nous soutiennent.

La fédération nationale emploie un peu plus de quarante salariés, mais l'ensemble du mouvement en compte plusieurs milliers sachant que certaines associations adhérentes en ont plus que nous. Cela traduit le parti que nous prenons d'impulser des lignes politiques fortes, suivies si possible par tous les adhérents, mais de laisser des initiatives aux territoires.

Quant à la cohérence du mouvement, j'ai commencé à répondre. Sachez que nous avons aussi des réunions régulières : la conférence des présidents d'associations adhérentes, le groupe des directeurs et des groupes de travail thématiques ouverts à tous les militants du mouvement pour faire des propositions. Nous faisons des efforts de cohérence pour les grandes options mais nous ne sommes pas une organisation paramilitaire. Auparavant, les tiraillements provenaient surtout des différents réseaux thématiques. Mais, grâce à notre plan stratégique, nous arrivons à une cohérence d'ensemble.

Pendant les deux premières années du Gouvernement, beaucoup de bonnes choses ont été faites ou annoncées : le débat national et la future loi sur la transition énergétique, la loi-cadre sur la biodiversité et la création d'une agence française de la biodiversité, avec un point d'interrogation sur ses moyens. En revanche, nous avons dénoncé des problèmes dans les méthodes de gouvernance et l'absence de moyens.

Quant à être mis, sous couvert d'intérêt général, au service d'intérêts particuliers, le problème est compliqué. Je m'insurge contre ceux de mes interlocuteurs – je pense à un chef d'entreprise que j'ai rencontré récemment – qui nous traitent de « nimbyistes », qui voient en nous des défenseurs de leur pré carré. Il est normal qu'un citoyen s'intéresse à l'environnement par le biais de ce qui se passe à côté de chez lui. Les élus sont aussi sensibles à ce qui se passe juste avant les élections. Le gros intérêt des fédérations est de permettre aux adhérents de passer du local au général. Tous nos contentieux ne sont pas dépourvus d'arrière-pensées mais une bonne partie d'entre eux permet de faire progresser la cause de l'écologie. Notre service juridique y veille.

Pourquoi pas une prime pour changer de véhicule ? Nous sommes favorables à l'alignement, ou plutôt au rattrapage du diesel, et ce serait un moyen d'aider à changer de voiture ceux qui habitent là où il n'y a pas de transport en commun. Toutefois, le cadre doit rester cohérent.

À quoi bon être compétitif si nous ne pouvons pas exporter nos moteurs diesel ? Ailleurs, le diesel n'est pas forcément moins cher que l'essence et ici, le rattrapage s'est fait au fil des années, et sans susciter de réaction. En 2002, l'écart était beaucoup plus grand que maintenant.

Oui à la rémunération des services écosystémiques, et la modulation de la DGF en est un début de traduction opérationnelle.

Je suis tout à fait d'accord avec M. Yannick Favennec pour miser sur l'enseignement professionnel – et pas seulement en agriculture –, pour apprendre à appliquer la transition écologique aux métiers. Nous pourrions faire ainsi des bonds de géant.

Mais il n'y aura pas de changement de pratique sans le soutien de la population. Donc, tout ce qui vise, par un projet cohérent – j'en parlais à M. Stéphane Le Foll pas plus tard que ce matin –, à soutenir la demande de produits de proximité à haute valeur environnementale, je ne dis pas bio, est important car les consommateurs doivent pouvoir aussi « voter avec leurs sous ».

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