Un Gouvernement qui a souvent souligné que l'essentiel, en matière de droits des femmes, est l'effectivité de la législation existante devait-il élaborer un nouveau texte relatif à l'égalité entre les sexes ? Oui, il le devait. Depuis dix-huit mois, je me suis employée à faire appliquer le droit existant, notamment en matière d'égalité professionnelle, si bien que les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations sont finalement sanctionnées sur le plan financier. Toutefois, des lacunes demeurent, notamment dans notre législation sociale : ainsi, des femmes restent démunies en cas d'impayés de pensions alimentaires, et l'ordonnance de protection, utile dispositif adopté en 2010, doit être renforcée. Un texte devait combler ces failles, tout en apportant un souffle et une ambition à la politique suivie.
Pourquoi, par ailleurs, inclure dans le champ d'un seul texte des dispositions portant sur l'égalité professionnelle, d'autres sur les violences faites aux femmes, d'autres encore sur le respect de la parité ? C'est qu'il y a une continuité dans les inégalités, et que nous devons nous y attaquer de manière cohérente. Voilà pourquoi le projet traite à la fois de la répartition des tâches domestiques ; de la situation des femmes après que les couples se sont séparés ; de la lutte contre les violences faites aux femmes au sein des couples ; de la parité dans l'accès aux responsabilités. Ces questions intimement liées en disent long sur une structuration sociale qui tolère que les femmes soient systématiquement moins bien considérées que les hommes.
Telles sont les préoccupations que traduit le texte. Dans le premier titre, consacré à l'égalité professionnelle, le projet traite – enfin – de la répartition des tâches familiales. En proposant une réforme du congé parental, qui permet aux pères de prendre un tel congé de six mois – c'est une possibilité qui leur est offerte, non une obligation qui leur est faite –, nous agissons sur la sphère domestique car nous savons ses effets sur l'égalité professionnelle : tout en incitant les pères à partager les responsabilités parentales, nous visons à réduire l'éloignement des femmes du marché du travail pendant trois ans, dont toutes les études montrent l'effet préjudiciable pour la suite de leur carrière.
Par ailleurs, nous simplifions et rendons plus efficace la négociation sur l'égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes au sein de l'entreprise. Dans le rapport de situation comparée, des indicateurs plus lisibles permettront de mieux évaluer si l'entreprise se conforme ou non à ses obligations. Le projet prévoit ainsi la création d'un indicateur permettant de suivre la part des femmes dans les taux de promotion et le Sénat a ajouté l'analyse des écarts de rémunération par niveaux de qualification et par âge.
D'autre part, je recevrai sous peu le rapport de la mission sur les techniques de preuves en matière de discriminations collectives confiée à Mme Laurence Pécaut-Rivolier ; je proposerai par amendement d'introduire dans le texte ses recommandations tendant à rendre possible l'action de groupe en de tels cas.
Enfin, comme l'ont fait notamment le Québec et la Belgique, nous jouons sur le levier puissant de la commande publique : les entreprises de plus de cinquante salariés devront démontrer le respect de leurs obligations en matière d'égalité professionnelle pour soumissionner à des marchés publics.
Le deuxième titre du projet prévoit des dispositions relatives à la lutte contre la précarité des femmes. Ces dernières années, les pouvoirs publics ont ignoré les conséquences de la séparation d'un couple. Or, la séparation induit une vulnérabilité différente selon que l'on est une mère, qui se trouve souvent plongée dans la précarité économique, ou un père – dont les liens avec ses enfants se distendent, les hommes s'étant peu investis avant la séparation dans la vie domestique et dans le foyer. Sachant que 40 % des pensions alimentaires sont impayées ou payées irrégulièrement, il importait de faire sortir les mères concernées de la « galère » dans laquelle elles se trouvent alors plongées. Aussi avons-nous décidé d'instaurer une garantie publique contre les impayés de pensions alimentaire, assurée par les caisses d'allocations familiales (CAF). Les caisses joueront le rôle de médiateur entre les membres du couple séparé et se substitueront au parent défaillant dès la première mensualité impayée en versant une allocation de soutien familial qu'elles se chargeront ensuite de recouvrer auprès du débiteur. C'est une belle réforme, que nous expérimenterons pendant dix-huit mois dans une vingtaine de départements pour mettre au point des techniques de médiation adaptées.
Toujours pour aider les familles monoparentales modestes après la séparation, nous instituons la prise en charge des frais de garde par des assistants maternels en tiers payant.
Le troisième titre du texte s'articule avec le 4e plan de lutte contre les violences faites aux femmes que j'ai annoncé il y a quelques jours : nous transcrivons dans la loi les mesures d'ordre législatif qu'il contient. L'efficacité de l'ordonnance de protection est renforcée, sa durée étant portée à six mois et sa délivrance accélérée ; le téléphone portable d'alerte « grand danger » est généralisé dans le cas de violences conjugales, mais aussi de viols – c'est un enrichissement du texte lors de sa lecture au Sénat ; mesure très attendue, la médiation pénale est supprimée dans les cas de violences conjugales ; l'éviction du conjoint violent du domicile est rendue systématique ; enfin, les femmes étrangères victimes de violences conjugales ou de traite sont exonérées de taxes et de timbres pour leur demande de titres de séjour.
Le projet crée aussi une mesure à laquelle je tiens particulièrement : le suivi des auteurs de violences et la prévention de la récidive par le biais de stages spécifiquement conçus pour les auteurs de violences faites aux femmes. Cette disposition pédagogique innovante est d'autant plus utile que, très souvent, le couple reste formé après que des violences ont été commises. Enfin, nous proposons de confier au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) une nouvelle prérogative, qui le conduira à veiller avec vigilance à ce que les médias ne diffusent rien qui porte atteinte à la dignité des femmes : images dégradantes, violences qui leur sont faites ou stéréotypes sexistes.
Le quatrième titre du projet contient des dispositions visant à mettre en oeuvre la parité. Les obligations instituées en cette matière pour les élections législatives n'ont manifestement pas suffi ; nous proposons donc de doubler les sanctions financières encourues par les partis politiques qui ne respectent pas le principe de la parité. Le texte fait passer de 75 % à 150 % de l'écart entre le nombre de candidats et le nombre de candidates le taux de modulation prévu sur la première fraction de financement public des partis politiques. Cette mesure aura un effet dissuasif certain.
Enfin, le texte généralise le principe de la parité, qui s'imposera à tous les secteurs, toutes les responsabilités et toutes les fonctions, dans les fédérations sportives comme dans les organismes consulaires, ordres professionnels, autorités administratives indépendantes et commissions consultatives placées auprès de l'État. La composition de quelque six cents organismes devra ainsi être reconsidérée.
Je conclurai par un mot sur la manière dont le texte a été complété au Sénat. Je suis très attachée à ce que la colonne vertébrale du projet soit préservée. Il ne s'agit pas d'adopter un projet traitant de « diverses dispositions relatives aux femmes », et nous devons donc éviter de nous disperser. Ce disant, je pense notamment aux dispositions privilégiant le recours à la résidence alternée introduites par le Sénat contre l'avis du Gouvernement. Outre que l'amendement est critiquable sur le fond car il n'évoque pas l'intérêt supérieur de l'enfant comme pivot de la décision du juge, il n'a pas sa place dans ce texte. Je demanderai donc la suppression de cette disposition.
À l'initiative de Mme Chantal Jouanno, préoccupé par la question de l'hyper-sexualisation des petites filles, le Sénat a d'autre part introduit dans le projet l'interdiction des concours de beauté pour enfants, dit concours de « mini-miss ». Dans l'absolu le sujet mérite notre attention, et nous devons nous doter des outils nécessaires pour contrôler ce phénomène, mais j'estime que la mesure adoptée – de caractère général et assortie de peines très fortes en cas d'infraction – est excessive et je souhaite que votre Assemblée se saisisse de ce sujet. Je préconiserais de limiter l'interdiction aux concours de beauté pour les mineurs de 13 ans et de prévoir, pour les enfants âgés de 13 à 18 ans, un dispositif d'autorisation individuelle.