La tâche du législateur est bien de faire en sorte que les personnes les plus diverses puissent se porter candidates aux différents mandats. Cette proposition de loi contient des dispositifs propres à relever ce défi de l’égal accès aux fonctions électives et du renouvellement de la représentation politique. C’est l’une des raisons pour lesquelles je porte ce texte, c’est l’une de mes motivations.
Le deuxième défi que cette proposition relève consiste à donner aux élus locaux les moyens d’accomplir pleinement leur mandat. Pour s’investir dans 1’exercice de fonctions souvent accaparantes, il faut du temps, une juste compensation des contraintes propres à l’accomplissement d’un mandat et des compétences permettant de mieux servir la collectivité.
Or, malgré les garanties assez larges que la loi leur reconnaît dans l’exercice de leur mandat, les élus ne possèdent pas tous la même capacité à concilier vie privée et engagement public. Il convient de citer un chiffre trop peu connu de nos compatriotes, et que le débat au Sénat a donné l’occasion de rappeler : 72 % des élus ne perçoivent pas d’indemnités de fonction. Par ailleurs, l’affirmation d’un droit à une formation adaptée aux fonctions demeure vaine, si les pouvoirs publics ne se préoccupent pas des modalités pratiques de sa mise en oeuvre, c’est-à-dire des ressources et des conditions de l’offre de formation destinée aux élus. Or, depuis le vote des premières lois de décentralisation en 1982, le rôle des élus locaux n’a cessé de se développer et de se complexifier, à mesure que de nouvelles compétences étaient attribuées aux différents niveaux de collectivités.
Le troisième et dernier défi réside dans l’établissement d’un juste équilibre des droits et des devoirs pour l’exercice de responsabilités éminentes. La démocratie en a besoin. Il importe bien entendu de prévenir les conflits d’intérêts et de favoriser la transparence de la vie publique, ce à quoi nous nous sommes employés dans un autre cadre. Mais il s’avère tout aussi essentiel d’asseoir un dispositif pénal adapté aux conditions d’exercice des mandats électifs. Cela suppose, entre autres choses, de donner une définition plus pertinente à la prise illégale d’intérêts. À n’en pas douter, il s’agit là d’une question redoutable. Elle se pose en tout cas de manière récurrente depuis trente ans et n’a pas manqué de susciter bien des initiatives et bien des réflexions.
C’est dans cette longue perspective, jalonnée par le rapport de Marcel Debarge, par les lois du 3 février 1992 et du 27 février 2002, qu’il convient d’inscrire la présente proposition de loi. Ce véhicule législatif représente une opportunité que nous aurions tort de ne pas saisir.
En l’état, que fait la proposition de loi que nous examinons ?
En premier lieu, pour l’établissement d’un juste équilibre des droits et des devoirs, elle précise la définition de la prise illégale d’intérêts, en introduisant la notion d’ « intérêt personnel distinct de l’intérêt général ». La commission a également établi – c’est l’une des dispositions essentielles du texte – une charte de l’élu local, qui rappelle les grands principes déontologiques à respecter dans l’exercice de son mandat. Celle-ci devra être lue lors de la première séance des assemblées délibérantes des collectivités locales. Enfin, la commission a ouvert le cercle des élus habilités à saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique à l’ensemble des maires et des présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Ainsi, ces élus de terrain pourront obtenir des réponses sur les questions d’ordre déontologique qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur mandat ou de leurs fonctions.
En second lieu, pour donner aux élus locaux les moyens d’accomplir pleinement leur mandat, la proposition de loi améliore très sensiblement le régime indemnitaire des maires et des présidents de délégation spéciale. En l’occurrence, elle prévoit que le montant de leur indemnité de fonction est fixé, par principe, au niveau maximal qui résulte de l’application du taux supérieur prévu par la loi pour chaque catégorie de collectivité. Par ailleurs, elle étend aux conseillers des communautés de communes le bénéfice des indemnités de fonction perçues par les conseillers municipaux des communes de moins de 100 000 habitants.
En troisième lieu, pour permettre la conciliation entre un engagement public et la poursuite d’une activité professionnelle, la proposition de loi conforte les garanties consacrées par la loi en étendant leur champ d’application : congé électif, crédit d’heures, droit à suspension du contrat de travail, réintégration professionnelle, à travers des actions de bilan de compétence et de réadaptation, octroi, enfin, du statut de salariés protégés à ceux qui n’auraient pas suspendu leur activité professionnelle.
En dernier lieu, afin de favoriser la réinsertion professionnelle à l’issue des fonctions électives, la proposition de loi comporte deux séries de mesures. D’une part, le texte double la durée de l’allocation différentielle de mandat, en portant la durée de sa perception de six mois à un an. D’autre part, et surtout, la proposition de loi accorde une grande place à l’enjeu décisif, pour la légitimité et l’indépendance des élus, que représente la formation. Est ainsi consacré un droit individuel à la formation, financé par une cotisation prélevée sur les indemnités de fonction des élus locaux, mis en oeuvre à leur initiative et donnant accès à des formations qui peuvent être sans lien avec l’exercice du mandat.
Le texte voté au Sénat institue un mécanisme de dépenses obligatoires des collectivités, au titre de la formation des élus, qui ne peuvent être inférieures à 2 % du montant total des indemnités de fonction allouées aux membres de l’organe délibérant. En outre, l’organisation d’une formation obligatoire pour les élus est instituée au cours de la première année de mandat. L’ensemble de ces mesures marque une nouvelle étape dans l’affirmation de droits à la formation pour les élus. Pour lui donner tout son sens, la commission des lois de notre assemblée a étoffé la proposition de loi, en précisant les finalités du droit individuel à la formation, utilisé prioritairement afin de faciliter la réinsertion professionnelle des élus.
Dans le cadre des travaux de la mission d’information sur le statut de l’élu, conduite avec notre collègue Philippe Gosselin, que je salue, nous nous étions fixés pour objectif de proposer une rénovation du dispositif normatif en vigueur, afin qu’il puisse être compréhensible pour les citoyens et adapté au rôle nouveau des élus. Sur bien des aspects, nous avions pu estimer, à l’époque, que la proposition de loi du Sénat comportait des pistes très intéressantes. Tout le monde aura compris que je n’ai pas changé d’avis.
Je ne prétends pas que ce texte répond à toutes les questions, ni à toutes les attentes, mais le débat que nous entamons aujourd’hui a le mérite de constituer une première étape, qui permettra, je l’espère, de bâtir un cadre juridique à la hauteur du dévouement dont font preuve, dans l’exercice quotidien des fonctions publiques locales, plus d’un demi-million de nos compatriotes.
La démocratie n’a pas de prix, mais elle a un coût. Cette vérité peut être difficilement entendue. Pour ma part, je l’assume et c’est la raison pour laquelle je vous demande d’approuver la présente proposition de loi, moyennant les quelques modifications qu’il pourrait apparaître utile de lui apporter.