Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 18 décembre 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard, rapporteur :

Tout d'abord, je remercie M. Jean-Pierre Barbier pour ses propos introductifs et je me félicite de sa collaboration aux travaux de la mission qui a permis de mener un travail en bonne intelligence. Je tiens également à remercier les membres de la mission pour leur participation et les personnes auditionnées pour le temps qu'elles nous ont accordé. Enfin, je tiens à souligner le grand dévouement des personnels des établissements que nous avons pu visiter.

La question de la santé mentale est un sujet d'importance, que ce soit en termes de prévalence ou de coût socio-économique.

1 % de la population souffre de troubles schizophréniques et 2 % de troubles de l'humeur, un quart des Français est susceptible de développer au cours de sa vie un trouble en santé mentale. Bien que l'appareil statistique soit récent et fragile et ne permette pas de disposer de données précises relatives aux prises en charge en psychiatrie, il n'en reste pas moins que ces taux de prévalence sont élevés.

Quant au coût médico-économique, il est également important. La Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a estimé à 22 milliards d'euros le montant des dépenses remboursées en 2011 au titre de la santé mentale. La Cour des comptes, de son côté, a évalué le coût économique et social de ces maladies à presque 110 milliards d'euros.

Face au champ très vaste de la mission, je souhaiterai rappeler la définition donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : « La santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de la communauté ». Il s'agit donc d'une acception large qui recouvre une approche globale de la personne dans son milieu de vie. C'est pourquoi, après quelques auditions de cadrage, la mission a décidé rapidement de circonscrire le sujet aux maladies mentales et de se concentrer sur l'organisation des soins et non sur la politique de santé mentale.

Je souhaiterais souligner que la question des restrictions de liberté au sein des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) n'a pas été traitée, ne relevant pas directement du champ de la mission. M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a relevé, à ce propos, que des personnes âgées atteintes d'une maladie neurodégénérative pouvaient faire l'objet de restrictions de liberté, et a demandé que son domaine de compétence soit étendu à ce domaine. Le Défenseur des droits pourrait jouer un rôle dans ce domaine.

Je souhaiterais maintenant vous présenter quelques éléments du bilan que nous avons dressé.

Le premier est le retard apporté au diagnostic de ces maladies. S'agissant des schizophrènes, un délai de six ans peut s'écouler entre le diagnostic de la maladie et sa prise en charge, ce qui conduit au développement et à l'aggravation des troubles.

Le deuxième élément est le suivi insuffisant des maladies somatiques chez les malades mentaux. Ainsi l'espérance de vie d'un schizophrène est écourtée de neuf à douze ans par rapport à la population générale.

Une troisième question est celle de la montée de la pratique de la contention, bien qu'il soit difficile de la mesurer, les statistiques dans ce domaine étant rares et aucun suivi n'existant au niveau national.

Le docteur Jean-Claude Pénochet, président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, a même indiqué : « La contention est un indicateur de la bonne ou de la mauvaise santé de la psychiatrie. » D'ailleurs, une conférence de consensus sur la liberté d'aller et de venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux et les obligations de soins et de sécurité s'est tenue en novembre 2004 sous l'égide de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé et a considéré que cette pratique devait être exceptionnelle et réduite aux situations d'urgence médicale.

Le quatrième point relevé par la mission est la question du remplacement des psychiatres partant à la retraite, en raison d'une pyramide des âges défavorable, 40 % des psychiatres partant à la retraite d'ici sept ans.

Ce point doit néanmoins être nuancé car la densité de psychiatres est de 22 psychiatres pour 100 000 habitants, ce qui place la France au-dessus de la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) par rapport à l'Allemagne et au Royaume-Uni qui comptent 11 psychiatres pour 100 000 habitants. Cette comparaison démontre que d'autres pays articulent différemment les compétences professionnelles des soignants.

Enfin, la question du secteur, organisation territoriale des soins, permettant une prise en charge complète du patient, est un dispositif auquel les praticiens du secteur public sont très attachés. La mission a relevé une grande hétérogénéité des secteurs, que ce soit en taille, en moyens humains ou financiers ou en pratiques qui dépendent du chef de secteur. Il reste, de plus, trop « hospitalo-centré ».

La mission a relevé, en outre, quelques points particuliers.

En premier lieu, la psychiatrie du sujet âgé pose la question de l'accueil difficile des malades à partir de soixante ans dans des établissements médico-sociaux.

En deuxième lieu, la pédopsychiatrie, organisée en intersecteur, souffre particulièrement d'une insuffisance de moyens.

Le troisième point concerne les populations précaires dont un quart souffre de maladies mentales graves. Un dispositif spécifique, les équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP), au nombre de 120 sur le territoire dont 25 en Île-de-France, participe à leur prise en charge. Ces équipes disposent de moyens limités et ne sont pas présentes sur tout le territoire.

Enfin, la question des détenus souffrant de troubles psychiatriques est particulièrement importante. 20 % des détenus seraient atteints de troubles psychotiques selon l'Observatoire international des prisons (OIP). Le professeur Frédéric Rouillon, chef de service à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, a mené une étude épidémiologique en 2003 qui a fait ressortir un taux de maladies mentales chez les détenus supérieur à la moyenne de la population.

J'en viens maintenant aux éléments de réponse apportés par la mission.

S'agissant des prisons, il convient d'évaluer l'application de l'article 122-1 du code pénal qui opère une différence entre l'abolition du discernement et son altération dans les causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité de personnes ayant commis un crime. Selon MM. Antoine Lazarus, président de l'OIP, et Alain Blanc, ancien président de cour d'assises à Paris, lorsqu'une personne voit sa responsabilité pénale atténuée, le principe de précaution conduit au prononcé de peines plus lourdes, les troubles psychiatriques jouant souvent comme une circonstance aggravante et non atténuante. Cette pratique explique le nombre important de malades mentaux en prison.

La prise en charge de ces détenus repose essentiellement sur deux structures, les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) et les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) où les vacations de psychiatres sont insuffisantes. La mission recommande donc de renforcer le temps d'intervention et le nombre de professionnels de santé mentale intervenant auprès des détenus.

Par ailleurs, la sortie de ces détenus n'est pas préparée de façon satisfaisante entre les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation et les psychiatres. C'est pourquoi, la mission recommande de prévoir un dispositif coordonné de sortie entre l'administration pénitentiaire et l'équipe médicale afin d'assurer un suivi de soins pour ces personnes.

Enfin, la mission suggère également de sensibiliser le personnel pénitentiaire aux pathologies psychiatriques dans le cadre de leur formation initiale et continue à l'École nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP).

Sur la prise en charge des malades, la mission recommande de faciliter le diagnostic et le premier accès aux soins. Les retards sont liés à l'insuffisance de formation des médecins généralistes auxquels s'adressent les malades en premier recours et à la collaboration difficile entre les médecins généralistes et les psychiatres, bien que la Haute Autorité de santé ait publié des recommandations dans ce domaine. Par ailleurs, les délais d'attente pour obtenir un premier rendez-vous avec un médecin dans les centres médico-psychologique peuvent atteindre six mois. C'est pourquoi, la mission recommande, d'une part, de former les médecins en incluant un stage obligatoire en psychiatrie, en secteur hospitalier et en ambulatoire, dans la formation initiale et en renforçant la formation continue et, d'autre part, de favoriser les échanges entre le médecin généraliste et le psychiatre.

Par ailleurs, afin de réduire le délai de diagnostic, une meilleure articulation entre spécialistes et généralistes permettra de repérer les personnes paraissant présenter des troubles mentaux.

Les compétences professionnelles doivent être réarticulées et une place particulière doit être reconnue aux infirmiers et aux psychologues cliniciens. Pour ces derniers, la mission préconise d'examiner la possibilité et les modalités d'une prise en charge de leur exercice par l'assurance maladie. S'agissant de la formation des infirmiers, qui a pâti de la disparition du diplôme d'infirmier psychiatrique, la mission recommande de proposer une orientation spécifique aux étudiants infirmiers souhaitant travailler dans des établissements de santé mentale en reconnaissant une spécialisation en psychiatrie et pour ceux en poste en recourant à la valorisation des acquis de l'expérience.

Sur la question du secteur, qui conserve toute sa légitimité pour soigner des maladies au long cours et assurer une prise en charge dans la continuité et la proximité, nous suggérons de fixer précisément par la loi ses missions.

Enfin, la mission fait plusieurs recommandations afin d'encourager la démocratie sanitaire et de remettre le patient au centre des préoccupations, à la fois sur un plan individuel et sur un plan collectif.

Sur un plan individuel, le malade est avant tout un citoyen. Je m'interroge sur certaines pratiques restrictives de liberté (défense de fumer ou de téléphoner) qui sont pratiquées dans certains établissements tandis que dans d'autres elles n'ont pas cours. Il en est de même pour le recours à la contention. C'est pourquoi, la mission préconise de rendre exceptionnelles les pratiques restrictives de liberté et qu'elles soient justifiées par l'état de santé du malade. De même, s'agissant de la contention, elle doit rester une pratique de dernier recours et un suivi au moyen d'un registre administratif doit être assuré afin de permettre sa traçabilité.

Sur un plan collectif, il convient d'améliorer le fonctionnement des commissions départementales des soins psychiatriques, de développer la « pairaidance » par l'intermédiaire des groupements d'entraide mutuelle (GEM) où d'anciens malades aident d'autres malades. Quant aux conseils locaux de santé mentale (CLSM), regroupant des élus, des usagers, des soignants, ils permettent de déstigmatiser les malades dans la société et de les insérer dans des dispositifs de droit commun.

Je conclurai en espérant que les recommandations seront mises en oeuvre notamment dans la future loi de santé publique.

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