Intervention de Bernard Accoyer

Réunion du 18 décembre 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Ce rapport est intéressant et de qualité. Certaines de ses préconisations sont tout à fait positives, d'autres apparaissent moins convaincantes parce qu'elles aboutiraient à compliquer encore le travail administratif des professionnels en établissement, alors qu'ils sont d'ores et déjà soumis à de fortes pressions. J'aurais également aimé que soit fait un bilan des avancées comme des insuffisances de ce qui a déjà été réalisé jusqu'à présent, en particulier depuis la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004, mais également depuis les deux Plans psychiatrie et santé mentale de 2005 puis de 2011. La maladie mentale a toujours posé des problèmes à la société, et ce d'autant plus que la société est profondément normée, ce qui est le cas de la nôtre. Il n'est jamais facile pour une famille d'accepter que l'un de ses membres soit atteint d'une maladie mentale, même si les choses évoluent. Il convient donc de soutenir et d'aider les familles des malades mentaux qui jouent un rôle très important dans la place mieux reconnue qui leur est accordée dans le système de soins, comme dans la société. Nous pouvons aussi nous inscrire dans la lignée de nos grands anciens : n'oublions pas en effet que s'il n'y a plus de camisole de force, qui ont prévalu pendant des siècles dans les établissements psychiatriques, nous le devons à un Français qui a inventé le neuroleptique : le Largactil (chlorpromazine). Il est bon de se souvenir que l'on n'a pas toujours étouffé notre industrie pharmaceutique et qu'on lui laissait la chance d'apporter des progrès décisifs pour l'humanité.

La santé mentale est un problème majeur puisque 4 % de la population est psychotique et un quart est psychopathique. Il me semble que l'on aurait pu évoquer les aspects de prévention. On connaît un certain nombre de facteurs faisant glisser d'un état de fragilité psychologique vers un état psychotique authentique. Le rôle favorisant, déclenchant, sur certaines personnalités, sur certains cerveaux d'une consommation significative de cannabis est établi. Les praticiens vous diront le rôle de l'ivresse cannabique dans les épisodes inauguraux de schizophrénie. Notre rôle est aussi de regarder avec sérénité et objectivité ce qui peut prévenir un certain nombre de déclenchements d'affections psychiatriques. Dans notre pays nous avons toujours deux écoles de psychiatrie qui s'affrontent, parfois avec beaucoup de violence, l'école analytique et l'école cognitivo-comportementaliste, ce qui peut parfois expliquer des prises en charge différentes et des situations différentes dans tel ou tel service psychiatrique.

La psychiatrie de secteur, que vous avez l'air d'hésiter à considérer comme positive, a, quand même, apporté des progrès considérables. Mais il reste certainement beaucoup à faire en particulier en développant les services d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH) qui sont attendus par les malades comme par leurs familles, les appartements thérapeutiques, la réinsertion professionnelle, tout ce qui accompagne dans les soins ambulatoires, y compris, et on a tort de les critiquer par dogmatisme, les soins ambulatoires sous contrainte qui peuvent d'ailleurs suivre un séjour en unité pour malades difficiles (UMD). La stigmatisation des UMD me semble également une erreur. Il faut parler avec les parents des malades psychiatriques et entendre comment leurs enfants ont vu leur état de santé s'améliorer par un séjour dans une UMD. Alors que la mise en place d'un système de soins ambulatoires peut être interrompue par le malade qui se croit guéri et retombant dès lors régulièrement dans les symptômes de sa maladie.

Le problème de la prison est réel où 20 % au moins des détenus sont des psychotiques authentiques, c'est-à-dire des malades psychiatriques graves. C'est en quelque sorte une conséquence de notre société qui essaie de se protéger du mieux qu'elle peut de tout ce qui lui pose problème. La pression qui s'exerce désormais sur les experts comme la responsabilité qui leur incombe ne sont pas de nature à réduire cette proportion. Le système carcéral doit s'adapter en développant davantage les unités, qui existent déjà, à la fois de détention et de soins. Leur nombre est dramatiquement insuffisant en France. Il convient d'évoquer aussi ce tiers de sans domicile fixe (SDF) qui souffre également de maladies psychotiques sévères appelant une prise en charge particulière, mais qui rend peu crédible l'affirmation selon laquelle il ne doit plus y avoir de SDF : c'est un des symptômes de certains malades psychiatrique que de précisément vivre dans une désinsertion totale et dans la rue.

Vous avez évoqué la question des professionnels, les psychiatres, les psychologues cliniciens et les infirmiers psychiatriques. Il est vrai que nous manquons cruellement de psychiatres. Il convient de modifier les règles en matière de formation et de numerus clausus, davantage édictées par des impératifs de gestion de l'assurance maladie et de ses déficits que par des priorités sanitaires. Pour les psychologues cliniciens, le travail du Parlement, engagé à mon initiative et qui a duré onze ans, a permis enfin de clarifier les choses concernant les psychothérapeutes autoproclamés. Les psychologues cliniciens sont des professionnels qualifiés qui ont fait des études longues et particulièrement sérieuses. Mais les psychothérapeutes autoproclamés sont revenus s'établir en dehors des règles. On peut ainsi voir dans les pages jaunes des annuaires la formule « pratique de psychothérapie hors réglementation ». Pourquoi, dès lors, ne pas autoriser l'intitulé « pratique de la chirurgie hors cadre réglementaire » ? Nous pourrions, madame la présidente, monsieur le rapporteur, nous saisir de cette question, afin que les pages jaunes ne continuent pas à exposer des Français ressentant le besoin d'une prise en charge ou d'une aide face à une faiblesse ressentie qu'ils jugent momentanée et ne justifiant pas la consultation d'un psychiatre, qui fait peur, tout en dépassant le médecin généraliste, à des perspectives dangereuses pour eux et pour la société. Vous proposez, monsieur le rapporteur, de spécialiser les infirmiers psychiatriques. Vous contribuez ainsi à rendre plus complexe, à allonger les formations. Ne doit-on pas se souvenir que lorsqu'il y avait des infirmiers psychiatriques avec cette seule, mais déjà considérable formation, il y avait une meilleure réponse dans les hôpitaux psychiatriques ?

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