Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 18 décembre 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard, rapporteur :

Que doit devenir ce travail ? Je souhaite qu'une partie au moins en soit reprise dans la loi de santé publique qui nous est annoncée pour 2014. À la fin de mon introduction, j'ai noté combien mes recommandations visant à mettre l'usager au coeur du système ou portant sur la question de la démocratie sanitaire convergent avec la stratégie nationale de santé de la ministre de la santé. Je compte poursuivre cette collaboration avec le ministère, la mission l'ayant déjà régulièrement informé de ses travaux. M. Gérard Sebaoun et Mme Jacqueline Fraysse se sont interrogés sur la nécessité d'une loi spécifiquement consacrée à la santé mentale. Il ne me semble pas que ce soit un point déterminant. Certains psychiatres y sont très attachés, afin que la santé mentale ne soit pas absorbée par la politique de santé de façon générale et manifestent à cette occasion que les maladies mentales ne sont pas des maladies comme les autres. On peut cependant estimer, à l'inverse, qu'une loi spécifique pourrait traduire une certaine stigmatisation. Les arguments sont réversibles. Plutôt que de s'intéresser au véhicule des mesures qu'il convient de prendre, il me semble préférable de s'intéresser au contenu et aux politiques menées.

Par ailleurs, et sur ce point, M. Bernard Accoyer m'aura sans doute lu de façon un peu rapide, je défends le « secteur » qui, s'il n'est pas parfait, si son articulation intersectorielle est à préciser, si certains domaines pourraient être désectorisés, me paraît fondamentalement être une bonne organisation de la psychiatrie, la seule à même de répondre à l'ensemble des besoins de façon territorialisée. À cet égard, l'ensemble de vos interventions me semble traduire un large consensus sur la pérennisation du secteur, sa rénovation évidemment, et une adhésion à l'utilité de cette politique. De ce point de vue, les professionnels ont besoin, par la loi, d'une réaffirmation de leur légitimité et peut-être d'un cadre plus précis, même s'il doit rester souple.

Sur les professionnels, nous nous sommes posé la question d'un retour aux infirmiers psychiatriques, le dispositif ayant montré son efficacité. Nous n'avons pas retenu cette option. Si tout le monde souligne que les infirmiers diplômés d'État ont besoin d'une spécialisation par l'expérience pour rendre le même service aux patients que celui des diplômés infirmiers psychiatriques jusqu'en 1992, leurs organisations représentatives comme l'ensemble du corps médical ne souhaitaient pas le rétablissement du statut d'infirmier psychiatrique. Il convient donc plutôt aujourd'hui de raisonner en termes de spécialisation des infirmiers, soit par une année d'études supplémentaire, soit par une spécialisation dans le cadre du cursus actuel pour compléter la formation actuellement dispensée à tous les infirmiers, sanctionnée par un diplôme d'État unique.

J'adhère aux propos tenus par le président Accoyer sur les psychologues cliniciens. Ce sont de véritables professionnels qui accomplissent aujourd'hui un travail dans les institutions pour lequel ils ne sont pas nécessairement reconnus, puisqu'ils le font parfois par délégation. Nous avons donc posé la question, peut-être une des plus polémiques, de la prise en charge par l'assurance maladie des psychothérapies qu'ils dispensent. Si nous voulons un développement du secteur ambulatoire et sortir du « tout hôpital », la question devra être posée. Il conviendra d'évaluer les coûts supplémentaires mais aussi les économies rendues possibles. Il m'a donc semblé que, sur la ré-articulation des professionnels, un assez large consensus pouvait aussi s'établir.

Madame Véronique Besse, sur les soins sans consentement, je me permets de vous renvoyer à mon rapport d'étape qui répondait assez complètement à vos questions, comme devrait contribuer à le faire également, au moins partiellement, la proposition de loi que j'ai présentée, devenue la loi relative aux soins sans consentement promulguée le 27 septembre 2013. S'agissant des programmes de soins évoqués par M. Bernard Accoyer, les questions restent pendantes depuis le rapport d'étape sur les soins sans consentement : celle de l'auteur de la décision, le préfet, le juge. J'ai alors indiqué, de mon point de vue, les termes du débat, en m'appuyant non sur des principes abstraits mais sur l'intérêt du patient. L'ordre public doit-il être un critère ? Comme il s'ajoute aux critères médicaux, il est paradoxalement plus protecteur des libertés individuelles que régressif. Les programmes de soins sont contestés dans leurs principes par certains psychiatres et usagers, les collectifs « des 39 » ou « Mais c'est un homme », or ils ont été établis pour assurer une continuité des soins, ils répondent à une analyse de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) datant de 2004 et répondent à une demande de l'UNAFAM, qui représente les familles des patients. La réponse apportée par la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge me paraît par conséquent mériter un temps d'épreuve et il faut que son évaluation n'intervienne qu'après lui avoir laissé le temps suffisant. Il convient de ne légiférer que lorsque c'est nécessaire.

Sur les SDF, je pense qu'il y aura toujours des « routards » mais la réduction de la précarité est de l'ordre du possible. Je préconise de soutenir le programme « Un chez-soi d'abord », traduction française du « housing first » américain. Il s'agit de simple bon sens, le logement implique la réinsertion et diminue le besoin d'équipes mobiles. Mais je me félicite que Mme Annie Le Houérou ait adhéré aux équipes mobiles. Dans certains secteurs, le soin à domicile est nécessaire. En effet, le nombre de lits dans un secteur n'est plus aujourd'hui, me semble-t-il, un critère pertinent de l'efficacité et de la qualité de la prise en charge. L'exemple de l'EPSM Lille Métropole, passé de 100 à 12 lits est, à cet égard, frappant. L'impact en termes de coût est par ailleurs réel. La question des moyens n'est donc pas la seule à prendre en compte. J'entends, monsieur Jean-Pierre Barbier, les injonctions contradictoires de réduire les dépenses publiques en consacrant davantage de moyens aux politiques publiques. Cependant une politique de secteur moins « hospitalo-centrée », avec une plus grande mobilisation des structures médico-sociales entraînerait d'autres coûts et d'autres prix de journée et donc des économies. Cela suppose des expertises assez lourdes des financements, point sur lequel nous n'avons pas été assez loin, critique que j'accepte, comme celle de ne pas avoir été chercher des éléments de comparaison internationaux. La durée de la mission était déjà anormalement longue, le nombre d'auditions important, plusieurs déplacements ont été organisés. Il eût sans doute été intéressant d'aller étudier les expériences ayant eu lieu au Canada ou encore de se rendre à Trieste. Mais les chiffres que j'ai donnés de taux de psychiatres pour 100 000 habitants me semblent suffisamment pertinents dans l'analyse. Ils permettent de montrer que, même avec moins de psychiatres mais une ré-articulation des compétences, on peut continuer de soigner à qualité identique, ce qui ne veut pas dire qu'il faut se résigner à cette diminution.

Il est à noter qu'alors que nous disposons de toutes les informations sur la démographie médicale, les mesures nécessaires ne sont pas prises en temps utile. L'augmentation décidée en 2011 du nombre de postes ouverts à l'examen national classant en matière psychiatrique ne produira d'effet qu'à moyen et long terme, dans plus de dix ans. Or la baisse des effectifs atteindra son maximum dans cinq ans. Dès lors, il est nécessaire de ré-articuler l'organisation des soins, en s'appuyant sur les exemples étrangers.

Les seuls points sur lesquels nous avons clairement un désaccord sont le problème des prisons et celui de la contention. On peut se poser la question de l'impact de la prison dans la décompensation de la maladie mentale. Mais on peut également se demander si des malades mentaux, qui l'étaient avant leur incarcération, ont leur place en prison. On ne peut se contenter de multiplier les UHSA, ni de prendre acte de la progression continue du nombre de prisonniers, de 30 000 à 60 000, dont 20 %, comme le relevait à juste titre M. Bernard Accoyer, sont psychotiques. Des décisions judiciaires envoient donc en prison des personnes qui ne devraient pas l'être. Certaines y sont en attente d'expertise psychiatrique et se pose alors la question des experts, je cite à cet égard la docteure Catherine Paulet qui souligne une moins grande tolérance à des situations qui autrefois auraient conduit au système sanitaire. Mais il y a aussi la façon dont la justice tient compte d'une affection psychiatrique établie. Des décisions sont nécessaires qui concernent d'abord la justice et ensuite, seulement, la prison. Un certain nombre de personnes seraient plus efficacement prises en charge, pour la société, en étant soignées que mises en prison, ce qui ne fait que différer et aggraver les problèmes qu'elles posent. Mais au-delà de ma position sur cette question et des mesures que je préconise, il convient dans l'immédiat de soigner ces personnes dans le cadre carcéral qui est actuellement le leur.

Sur la contention, je ne prétends pas que l'on peut s'en passer, mais je constate, comme M. Jean-Marie Delarue, que certains établissements ne pratiquent pas la contention, tandis que certains des établissements pratiquant l'hospitalisation sous contrainte sont fermés et d'autres ouverts. Certains pavillons au sein d'un même établissement peuvent avoir des pratiques différentes en la matière. Je ne suis pas psychiatre, je veux qu'on m'explique pourquoi, pour des pathologies identiques, ce qui est nécessaire dans un cas ne l'est pas dans l'autre. Affirmer le besoin de contention ne le démontre pas. La contention ne doit être qu'une solution de dernier recours. Elle doit être organisée, tracée dans un registre. Se compliquer un peu la vie est nécessaire sur des questions de cet ordre.

J'assume notre désaccord sur ces sujets. Sur la question pénale et la prison comme sur celle de la contention et de l'isolement, il me semble nécessaire de nous fonder non pas sur des principes mais sur ce qui nous a été dit et sur une argumentation rationnelle sur le besoin ou non de ces mesures.

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