Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, l’objectif du texte qui nous est soumis aujourd’hui n’est pas en soi discutable : il s’agit de renforcer l’accès aux soins de nos concitoyens, tout en limitant le montant qui reste à leur charge. Il s’agit de lutter contre l’avancée du désert médical et, avec notre collègue Philippe Vigier, le groupe UDI a, si je puis dire, apporté sa pierre pour construire ce barrage nécessaire. Que l’on se fonde pour cela sur le réseau mutualiste n’est pas non plus une innovation, c’est même l’une des caractéristiques de notre système de remboursement des soins depuis son origine. La question est celle de la place qu’il s’agit de faire aux complémentaires santé, ce qui engage pour nous des conséquences fondamentales quant à l’égalité réelle de nos concitoyens devant l’accès aux soins. Au-delà d’un choix de gestion, c’est un choix de conscience, au nom de l’intérêt de nos compatriotes et plus particulièrement des plus modestes d’entre eux.
Aujourd’hui, les complémentaires santé remboursent près de 14 % des dépenses de santé, ce qui représentait près de 25 milliards d’euros en 2011. C’est considérable. Pourtant, un certain nombre de nos concitoyens renoncent à se soigner, faute d’accéder à cette couverture complémentaire de façon suffisante, et c’est malheureusement le cas pour les soins les plus usuels, et ce pour 15 % au moins de nos compatriotes. Pour les citoyens que nous sommes, pour les enfants que nous avons été, pour les parents que nous sommes devenus parfois, pour les élus de la nation, ce hiatus-là est évidemment inacceptable et intolérable. C’est une inégalité moralement insupportable et c’est une réalité juridique qui lézarde notre socle républicain.
À l’origine, la proposition de loi comportait un article unique, qui ouvrait aux mutuelles le droit de constituer des réseaux de soins, en modifiant le code de la mutualité. Puis deux articles sont apparus, dès la première lecture dans cette assemblée. La lecture au Sénat a enrichi ce travail jusqu’à préciser la titulature de ce texte. Soit ! Il faut dire que la première mouture du texte était plus que rigide, créant des réseaux si fermés qu’ils allaient d’évidence porter atteinte aux principes d’égalité et de proximité dans l’accès aux soins, comme cela a été dit avant moi. Notre groupe l’avait d’ailleurs signalé. Nous nous en étions inquiétés et cela avait motivé notre vote. Mais nous avions aussi proposé des amendements dans le sens de l’assouplissement de ce qui finissait par ressembler à des clubs territoriaux de happy few, au risque d’une dégradation, sans contrôle possible, de l’offre proposée aux patients.
L’article 3, qui évoque le dépôt d’un rapport annuel, a vu sa date de remise reportée de juin à septembre, soit rien de très fondamental, admettez-le.
Mes chers collègues, nous considérons que le cadre proposé ne respecte pas suffisamment le libre choix du professionnel et de l’établissement par le patient. Il ne se fonde pas assez précisément sur des critères objectifs, indiscutables, transparents et non discriminatoires pour l’adhésion des professionnels et des établissements. Il ne favorise pas spontanément l’intégration de tous les hommes et de toutes les femmes de l’art dans ces réseaux. Il ne garantit pas l’absence de tout numerus clausus de connivence. Mais il permet en réalité de créer des systèmes d’exclusivité superposés. Il prend en otage géographique nos concitoyens. Il les met dans une nasse de filets derrière lesquels c’est l’incertitude.
Nous n’avons évidemment rien contre les mutuelles. Ce sont des opérateurs nécessaires, issus de ce que l’on appelle l’économie sociale et solidaire, qui offrent des services de prévoyance et de solidarité payants. Nous sommes même particulièrement attachés à ces partenaires de la santé et du bien-vivre. Mais ce sont aussi des structures privées, qui vivent sur le principe de la cotisation de leurs membres et de l’offre de prestations rémunérées à leur bénéfice. Autrement dit, et ce n’est évidemment en rien illégitime, leur mission est de garantir un équilibre entre le service des mutualistes et des objectifs de développement interne. Elles revendiquent d’ailleurs la rentabilité et la pérennité de leur modèle économique, qui se traduit, pour les plus grandes d’entre elles, par des cotations ou des projets de cotation en Bourse.
Nous ne voyons pas bien ce qui, dans les éléments fondamentaux de cette mission, justifie une sorte de charge d’Ancien Régime qui ferait en quelque sorte des mutuelles de nouveaux intendants en matière de santé. Pourquoi de telles structures, aussi bienveillantes soient-elles, viseraient-elles des objectifs universels, altruistes et caritatifs ? Madame la ministre, peut-on sérieusement affirmer que, du jour au lendemain, les réseaux qui se développent n’auront pas une tendance naturelle à réduire les coûts pour moins rembourser ? Peut-on affirmer sérieusement que cette démarche contribuera à solidifier et à aider notre filière française de fabrication de lunettes ? Et pourquoi pas, finalement, un partage des eaux et des territoires entre des médecins salariés mal payés pour une population paupérisée – de mauvais médecins pour les pauvres – et une médecine payante et de qualité pour les nantis ? Ce qui est inéluctable va finir par se produire : ne voit-on pas poindre une médecine à deux vitesses ? Et ne voit-on pas que l’on porte un coup fatal à la médecine libérale en France – libérale, non pas comme capital, mais comme liberté –, celle des patients et celles des médecins ? Veut-on faire des praticiens des mutualistes ou des salariés ? En France, seuls 7,4 % des médecins sont titulaires d’un diplôme obtenu à l’étranger, contre 30 % au Royaume-Uni.
Ce nombre tend pourtant à augmenter, notamment dans les localités peu attractives et dans certaines disciplines. En 2011, 27 % des nouveaux inscrits au Conseil national de l’ordre des médecins n’avaient pas obtenu leur diplôme en France. Il faudra, madame la ministre, se poser la question du transfert des médecins au sein de l’Union européenne. Cette question n’est pas anodine car de la réponse qui lui sera apportée dépend fortement la motivation des internes et des futurs internes – déjà fortement affectée, semble-t-il ; de cette réponse dépend aussi la qualité du service de santé rendu.
Alors, oui, nous sommes particulièrement inquiets de voir se mettre en place un réseau parallèle qui n’offre aucune garantie d’amélioration réelle des soins et qui n’assure pas aux Français de bénéficier durablement de plus importantes remises, par exemple sur les produits d’optique.
Regardons les choses clairement. Pour les républicains sociaux que nous sommes, il n’y a qu’un acteur qui puisse réguler l’offre de soins dans les territoires, qui puisse arbitrer de façon efficace et parfaitement impartiale, et garantir l’égalité d’accès aux soins : c’est l’État. Si celui-ci renonce à remplir son devoir, que les organisations des professionnels de santé, au-delà des seuls médecins, soient au moins invitées à devenir les acteurs de cette régulation. C’est le sens de l’un des amendements présentés par l’UDI.
La préemption des soins courants que vous allez organiser au bénéfice des mutuelles aboutira inéluctablement à ce que la Sécurité sociale ne garde à sa charge que les pathologies lourdes, le reste passant aux mains d’organismes de droit privé. Est-ce bien là ce que souhaite la représentation nationale ?
Même si le système actuel est imparfait, nous ne comprenons pas que vous conceviez un modèle sans véritable garantie de neutralité économique et de qualité de l’offre médicale. Nous comprenons d’autant moins ce choix qu’il nous arrive par la voie d’une proposition de loi de l’un de nos collègues. Ce n’est donc pas, je le dis avec tout le respect que je dois à son auteur, un projet clairement assumé par le Gouvernement.
Cette proposition de loi pose plus de questions de fond qu’elle n’apporte de solutions positives, équitables et durables pour les Français. Elle consacre un désengagement sans précédent de l’État concernant la régulation de l’offre de santé.
L’enfer est pavé de bonnes intentions, madame la rapporteure, madame la ministre. Je veux bien vous faire crédit de vos bonnes intentions, prudemment néanmoins… Vous l’avez compris : l’essentiel du texte initial n’ayant pas été modifié, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le groupe UDI sera conduit à voter contre cette proposition de loi.