Les océans et les mers de toute la planète sont pollués par des quantités énormes de déchets marins, c'est-à-dire de matériaux solides persistants d'origine humaine, transformés ou manufacturés, perdus, jetés ou abandonnés volontairement dans la nature et se retrouvant dans le milieu aquatique.
La quantité de ces déchets finissant ainsi chaque année dans l'environnement marin est estimée à 10 millions de tonnes, dont 80 % proviennent de la terre ferme – notamment via les vents, les cours d'eau, le drainage des eaux de pluie ou encore les rejets de stations d'épuration – et 20 % d'activités maritimes.
Entre 60 et 80 % des déchets marins sont constitués de produits à usage unique, le plus souvent en plastique, à commencer par les petits sacs. Or les détritus plastiques posent particulièrement problème, dans la mesure où la dégradation des polymères dont ils sont constitués conduit à leur fragmentation en microdéchets, morceaux de moins de 5 millimètres à la durée de vie extrêmement longue, de l'ordre de plusieurs siècles.
Le stock de déchets se répartirait ainsi : 15 % ont été rejetés sur la plage ; 15 % flottent en surface ou dans la colonne d'eau ; 70 % ont coulé dans les fonds marins.
Les conséquences de ce phénomène sont multiples.
Il fait d'abord peser une menace sur la biodiversité. L'ingestion de certains déchets marins par les poissons entraîne des blessures physiques et des empoisonnements parfois mortels. L'emmêlement de poissons dans des cordages cause des étranglements et des noyades. Plus généralement, l'ensemble des écosystèmes marins et océaniques sont altérés par la présence de déchets, non seulement parce que ceux-ci risquent d'asphyxier ou d'empoisonner les fonds marins, mais aussi parce qu'ils peuvent servir de véhicules facilitant la migration d'espèces végétales invasives.
Sur le plan sanitaire, les substances toxiques émanant des microdéchets plastiques pénètrent la chaîne alimentaire et, au final, sont consommées par l'homme.
Enfin, le coût du nettoyage des plages pèse lourdement sur le budget des collectivités locales des littoraux. Le manque à gagner touristique, quoique plus difficilement chiffrable, n'en est pas moins une réalité dans des zones où l'emploi est étroitement corrélé à l'attractivité des paysages et aux activités de loisir nautique.
Quant à l'industrie de la pêche, elle supporte des pertes dues à trois facteurs : les captures avariées ; la « pêche fantôme », c'est-à-dire les captures effectuées au moyen d'équipements de pêche non remontées à la surface ; le coût de réparation ou de remplacement du matériel endommagé par les déchets marins.
La lutte contre les déchets marins peut d'ores et déjà s'appuyer sur de multiples documents stratégiques et textes législatifs européens, notamment ceux visant les sources des déchets. Certains d'entre eux, d'ordre général, notamment la directive-cadre « déchets » de 2008, sont en cours de réexamen, afin de renforcer l'action de l'Union européenne en matière de prévention et de gestion. D'autres sont spécifiquement orientés sur la qualité des eaux.
L'Union européenne identifie en outre, dans la directive-cadre « stratégie pour le milieu marin », « les propriétés et les quantités de déchets marins » comme l'un des onze « descripteurs qualitatifs » devant être pris en compte pour parvenir à un « bon état écologique » des eaux européennes d'ici à 2020.
Enfin, la politique maritime intégrée vise à faciliter la coopération entre États membres ainsi qu'avec la Commission européenne, dans le but de maximiser l'exploitation durable des océans et des mers tout en permettant la croissance de l'économie maritime.
Cela dit, face à la situation alarmante en matière de déchets marins et aux conséquences multiples qui en découlent dans tous les océans et dans toutes les mers de la planète, la réglementation actuelle n'apporte pas une réponse efficace. Dans la foulée du sommet de la terre de Rio+20, qui appelle « à agir pour réduire de façon importante les déchets marins d'ici à 2025, données scientifiques à l'appui, afin de limiter les dommages causés aux milieux littoraux et marins », il apparaît indispensable d'adopter de nouvelles mesures à l'échelle européenne.
Le sujet des déchets marins est traité dans le cadre de quatre enceintes régionales infra-européennes. La France fait partie de deux d'entre elles : l'OSPAR, qui réunit tous les États de l'Atlantique Nord-Est, de l'Islande au Portugal, à l'exception des pays baltes ; la Convention de Barcelone, qui couvre toute la Méditerranée orientale et occidentale. Chacune de ces instances prépare un plan d'action régional consacré à la lutte contre les déchets marins.
À l'échelle de l'Union européenne, l'engagement de Rio+20 est formalisé dans le septième programme d'action pour l'environnement, qui prévoit d'« intensifier de toute urgence les efforts […] pour établir à l'échelle de l'Union un grand objectif de réduction quantitative des déchets marins soutenu par des mesures à la source et qui tienne compte des stratégies pour le milieu marin établies par les États membres ».
Dans ce cadre, la Commission européenne a ouvert une consultation publique sur l'« établissement d'un objectif quantitatif global de réduction des déchets marins », qui court jusqu'à aujourd'hui même. Cette initiative est ouverte aux citoyens ainsi qu'aux autorités publiques et aux organisations privées concernées.
La consultation appelle une première interrogation : est-il préférable de fixer un objectif quantitatif uniforme trop ambitieux de réduction des déchets marins, au risque, par la suite, de ne pas se donner les moyens de le respecter, ou bien de fixer des règles contraignantes efficaces en vue d'atteindre des résultats réalistes ?
Quoi qu'il en soit, la lutte contre les déchets marins appelle un faisceau de nouvelles mesures et de changements comportementaux qui n'auront d'effet que s'ils convergent. Il m'a donc semblé extrêmement utile que la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale participe à cette consultation.
Toutefois, les questions fermées soumises aux parties prenantes m'ont semblé lacunaires, eu égard à la difficulté à embrasser le problème dans toute sa complexité. C'est pourquoi j'ai jugé utile de formuler des remarques complémentaires dans ce rapport d'information.
La première des questions posées porte sur les critères selon lesquels il convient d'évaluer la pertinence des actions de lutte contre les déchets marins. Leur faisabilité, leur coût, leur efficacité, leur contribution à l'amélioration de la résilience des écosystèmes marins et leur impact pour les parties prenantes me semblent être les critères à prendre en compte en priorité.
Ensuite, les effets potentiels négatifs des déchets marins peuvent être classés en deux catégories, selon qu'il s'agit de dommages économiques et écologiques ponctuels ou de bouleversements structurels des écosystèmes marins.
Notons, à cet égard, que l'impact chimique des déchets marins n'est pas même cité dans le questionnaire de la Commission européenne. Deux phénomènes doivent pourtant être soulignés : de nombreux déchets marins, en se décomposant, relâchent des substances chimiques, notamment des phtalates ; certains déchets plastiques absorbent et conservent des contaminants présents dans le milieu, notamment les polluants organiques persistants.
Par ailleurs, il est regrettable que le questionnaire ne s'appuie pas sur la hiérarchie du traitement des déchets fixée dans la directive-cadre de 2008. La notion de prévention est très peu présente dans le questionnaire ; la clé du problème réside pourtant dans la maîtrise des déchets à la source.
Dans la mesure où la plupart des déchets marins proviennent originellement d'activités sur la terre ferme, outre les politiques visant directement la préservation des milieux marins, il convient d'intégrer un volet littoral dans tous les outils de planification et de gestion des déchets solides.
Il faudrait aussi mieux quantifier l'impact économique négatif des déchets marins et le mettre en regard des bénéfices qu'entraînerait une amélioration de la situation. Cela permettrait de relativiser les coûts engagés pour donner corps à une politique offensive de réduction des déchets marins.
La sensibilisation doit viser toutes les parties prenantes, à commencer par les citoyens, pour qu'ils modifient leurs comportements au quotidien.
Le système éducatif doit être mieux mobilisé pour éduquer la jeunesse aux bons comportements, qu'il s'agisse de trier les déchets ou de renoncer à jeter des détritus dans l'environnement, particulièrement sur les plages.
Les filières industrielles, pour leur part, doivent s'engager dans les efforts de réduction de production de déchets en général. Les fabricants, les importateurs et les distributeurs de tabac, de biens de consommation en plastique ou encore de substances chimiques doivent particulièrement s'impliquer, à trois niveaux : en internalisant les coûts liés à la collecte sélective puis au recyclage ou au traitement des déchets marins issus de leurs produits, conformément au principe de responsabilité élargie des entreprises ; en investissant dans la recherche en vue de développer des matériaux de substitution qui se dégradent mieux dans l'environnement marin ; en modifiant leurs process de production pour éviter le rejet de déchets dans l'environnement marin.
Quant aux pêcheurs, leur sensibilisation passe par des opérations du type « éboueurs de la mer » ou « fishing for litter », qui doivent être pensées comme des possibilités d'activités de complément permettant aux professionnels de percevoir un revenu supplémentaire.
Il convient par ailleurs d'adopter des dispositions législatives draconiennes et harmonisées pour parvenir, dans le marché intérieur, à assécher la principale source de déchets marins, à savoir les sacs plastiques à usage unique. La proposition de directive relative aux sacs plastiques qui vient d'être déposée par la Commission européenne manque malheureusement de détermination puisqu'elle ne fixe pas de règles communes mais laisse aux États membres le choix entre trois types de stratégies : tarification, interdiction ou objectifs de réduction.
Alors que plusieurs secteurs d'activité y font l'objet de parties spécifiques, le questionnaire de la Commission européenne en néglige trois, qui sont à l'origine de pollutions marines préoccupantes et corrigibles : l'industrie cosmétique, les structures d'assainissement et la conchyliculture.
La fixation d'objectifs sérieux de réduction des déchets marins passe aussi par une meilleure connaissance des flux de déchets marins, notamment des zones d'accumulation sur les bassins versants et dans les zones inondables ainsi que des courants tourbillonnaires, qui conduisent à la concentration de déchets marins dans certaines zones, tendant à devenir des « continents de plastiques ». En outre, des recherches en sciences sociales peuvent aussi être orientées vers l'identification de possibilités de changements comportementaux.
J'ai enfin souhaité évoquer quatre actions particulières nécessaires, dans des domaines traités dans le questionnaire mais de façon incomplète. Elles viseraient : le statut des containers, les granulés plastiques industriels, les équipements de pêche et d'aquaculture en fin de vie et les décharges illégales.
Je conclurai en soulignant un problème général concernant les consultations publiques de la Commission européenne, qui s'appuient généralement sur des documents rédigés dans une seule langue, l'anglais. Les directions générales interpellées à ce propos répondent qu'il est toujours possible de répondre en français aux questionnaires des consultations publiques, ce qui n'est évidemment pas suffisant. En négligeant de rendre disponible en français les dossiers qui sous-tendent les consultations et les questionnaires eux-mêmes, elles empêchent malheureusement un nombre significatif de citoyens et d'institutions publiques et privées de participer au processus consultatif. La présidente de la Commission des affaires européennes a officiellement saisi de ce problème les commissaires compétents.