Intervention de Rémi Pauvros

Réunion du 18 décembre 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRémi Pauvros :

J'ai abordé cette mission, mes chers collègues, avec le souci de ne pas reprendre les polémiques qui ont suivi l'état des lieux dressé l'année dernière par l'Inspection générale des finances (IGF). J'ai pris le dossier tel qu'il était en avril 2013, pour le rendre le plus faisable et le plus acceptable possible. La remise en cause de la déclaration d'utilité publique (DUP) qu'avait obtenue l'équipe de Voies Navigables de France (VNF) aurait risqué de repousser encore le projet de dix ou vingt ans. Je propose néanmoins plusieurs aménagements de la DUP, qui ne demandent que des consultations rapides, sans revenir sur le tracé.

Il m'a paru aussi évident qu'il fallait assurer une cohésion entre les acteurs, afin que le projet soit porté. Pour ce faire, il était nécessaire de prendre en considération l'ensemble du réseau et l'impact économique global de l'infrastructure. Les deux ports du Havre et de Rouen étaient très inquiets de la concurrence directe d'Anvers et de Rotterdam, de même que Dunkerque. Je leur ai donc consacré les premières réunions de travail et, sur ce point, les positions d'HAROPA, structure qui réunit les ports du Havre, de Rouen et de Paris, ont évolué et incitent à un optimisme raisonnable.

De même, la prise en compte de l'ensemble du réseau a modifié l'approche de l'Union européenne. Dans le cadre du plan de relance négocié par le Président de la République, a été décidée une intervention majeure du Mécanisme pour l'Interconnexion en Europe (MIE) à hauteur de 40 %, qui s'est traduite par un engagement pris en octobre au conseil des ministres des transports à Tallinn. Ce pourcentage vaut non seulement pour le canal mais aussi, et cela a contribué à faire bouger les lignes, pour les infrastructures complémentaires. Ainsi, les équipements assurant la connexion du maritime et du fluvial au Havre pourront bénéficier d'un financement de l'ordre de 30 à 40 % pour les investissements, et de 50 % pour les études. Sous cet angle, le projet se présente de façon complètement différente.

Quant aux autres éléments constitutifs du projet que sont les plateformes, et qui ont nourri d'innombrables débats, j'ai considéré qu'elles relevaient de la compétence des régions, au titre de leur responsabilité en matière de développement économique, d'une part, et qu'elles devaient s'adapter à l'évolution des marchés, d'autre part. L'idée d'une progressivité de l'utilisation du canal sous-tend tout le rapport. Le canal Albert, qui relie Liège, sur la Meuse, à l'estuaire de l'Escaut, a été inauguré en 1939, et il n'a cessé d'évoluer depuis – les ponts ont changé, certains ont été relevés – pour améliorer l'accessibilité du port d'Anvers. Le canal Seine-Nord Europe n'est pas un produit fini, il se transformera au gré de la demande.

Laisser l'initiative aux conseils régionaux ne veut pas dire que l'État se désintéressera du projet – il est, avec VNF, propriétaire d'une grande partie du foncier nécessaire aux plateformes – mais, en matière d'aménagement, la région aura la main, notamment pour nouer des partenariats avec le privé, comme cela s'est pour Delta 3 à Dourges, et qui donne de très bons résultats. Les plateformes se feront en fonction des préoccupations des secteurs économiques. Deux d'entre elles s'imposent : dans le Nord à Marquion où s'effectue l'interconnexion du canal de Dunkerque, de l'Escaut et du canal à grand gabarit, à proximité de la base aérienne désaffectée de Cambrai qui permet la massification des flux ; en Picardie, mais ce sera aux Picards de décider où. Le travail est bien engagé, notamment avec les céréaliers.

Ces jalons posés, et acceptés par les trois présidents de conseils régionaux concernés, les collectivités pouvaient être sollicitées pour financer la structure, ce qui n'était pas le cas avant, si bien que nous pouvons compter sur un engagement de 1 milliard d'euros, pour moitié des conseils régionaux et pour moitié des conseils généraux. Au total, avec 40 % de financements de l'Union européenne et 1 milliard des collectivités locales, la facture de l'État baisse. Pour qu'il soit compétitif, il faudrait que le canal reste au gabarit Vb, c'est-à-dire qu'il puisse accueillir des péniches de 185 mètres de long et de 4 400 tonnes. C'est un minimum.

Pour réduire encore le coût de revient, nous faisons des propositions techniques : la suppression d'une écluse et d'autres ouvrages d'art ; la réutilisation du canal du Nord sur une dizaine de kilomètres – c'est sur ce point qu'il faudra modifier la DUP – ; et l'étanchéité qui avait été conçue pour être la meilleure possible et dont le prix de revient peut être abaissé. Faute de crédits, nous n'avons pas mené les études et fait les sondages nécessaires, si bien que l'économie possible n'a pas été chiffrée. On arrive ainsi à un total de 4,5 milliards.

Je propose de confier la maîtrise d'ouvrage à une société de projet. Le financement apporté par les collectivités locales leur donne la légitimité nécessaire pour participer à la maîtrise d'ouvrage, aux côtés de VNF. La société de projet, créée par voie législative, permettrait, ce que VNF ne peut pas faire, un endettement à hauteur de 500 ou 700 millions d'euros, sans impact sur le ratio d'endettement public, dans la mesure où il s'agit d'un projet européen financé à 40 % par l'Europe et accompagné par la Banque Européenne d'Investissement (BEI). Le reste à charge pour l'État se monterait à 1 milliard.

Si les décisions sont prises, si l'année 2014 est consacrée à régler les problèmes techniques et juridiques, si nous faisons en sorte, dans le cadre des contrats État-région, que les travaux connexes commencent dès 2015, les chantiers sur le corps central pourraient démarrer en 2016 ou 2017 et se terminer en 2022 ou 2023. Le calendrier est contraignant, mais faisable.

Je propose enfin de nommer un garant sur l'ensemble du projet, à l'instar de ce que fait l'Europe. Elle désigne, pour accompagner les grands projets d'infrastructure, des responsables « politiques » au sens large, qui ne sont en général pas en activité politique directe, des autorités morales en quelque sorte. Le but est d'assurer la cohérence globale du projet et de maintenir l'adhésion du monde économique qui est, il faut le souligner, mobilisé autour de ce projet.

Le Nord de la France se sent directement concerné par l'impact économique du chantier. Les études complémentaires que j'ai fait faire sur le chantier pour vérifier les chiffres, font état de 10 000 à 13 000 emplois pendant le chantier, et de 50 000 dans la durée.

M'être plongé dans le dossier m'a confirmé que le fluvial avait été délaissé depuis une trentaine d'années, au profit du tout routier ou du tout ferroviaire. Nos prédécesseurs ont écrit un nombre impressionnant de rapports sur l'hinterland des ports, le fret fluvial, mais ils ne s'inscrivaient manifestement pas dans la stratégie générale qui a prévalu. Le fret en France n'utilise la voie d'eau qu'à 2 % à 5 % ; en Belgique, c'est 20 %, et jusqu'à 30 % dans les pays d'Europe du Nord. Nous avons donc de la marge.

Le fluvial présente en outre un intérêt environnemental. Sachant qu'une péniche de 4 400 tonnes équivaut à 100 camions de 44 tonnes, ce mode de transport est essentiel pour le report modal. Tous les acteurs que j'ai rencontrés, les déplacements que j'ai effectués m'ont convaincu de l'attente très forte que suscite le projet chez les céréaliers, bien sûr, dans le bâtiment, la grande distribution, mais aussi dans la récupération, un secteur qui se développe et serait intéressé par des terrains en bord à canal.

Il appartient désormais au Gouvernement de s'emparer de ce projet passionnant qui a été mené au seuil de réalisation.

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