Élu d'un territoire en crise économique depuis trente ans, et où le taux de chômage est l'un des plus élevés de France, je veille à aborder les dossiers d'intérêt économique majeur avec l'esprit ouvert, à chercher les bonnes solutions. C'est pourquoi je me suis refusé à polémiquer. Mais si certains m'entraînent sur ce terrain, je serai obligé de répondre. Il se trouve qu'un ministre avait obtenu du Président de la République précédent un engagement, qui n'était pas du goût du Premier ministre de l'époque. En tout état de cause, oui, l'Europe fournira 40 % du financement du projet ; oui, c'est nous qui sommes allés les chercher, le Président de la République en tête. Oui enfin, cela change la donne.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le caractère évolutif du dossier. En effet, c'est bien ce que je propose. Volontairement. En tant que représentant de la Nation, comme vous tous ici, je n'ai pas intérêt à promouvoir un projet qui mettrait nos ports en difficulté dès l'ouverture du tronçon central. S'il pouvait accueillir d'emblée les péniches de 185 mètres de long, hautes de trois ou quatre conteneurs, il est certain que Le Havre et Rouen souffriraient. D'où la tactique que je prône, en accord avec nos ports : on commence par adapter le canal aux péniches de 185 mètres de long pour répondre aux besoins prioritaires des chargeurs, notamment des céréaliers, et on montera progressivement à deux conteneurs, puis à trois et ainsi de suite…
Il s'agit d'un chantier pour un siècle, madame Barbara Pompili, surtout à ce prix. Notez bien que je n'ai pas parlé de phasage, mais de progressivité. Le démarrage des travaux dès 2016 ou 2017 laisse un répit à HAROPA, à Dunkerque, et à la batellerie française. Quoi qu'il en soit, le gabarit Vb est indispensable pour répondre à la demande des chargeurs, et pour obtenir les financements de l'Europe qui a eu son mot à dire sur les extrémités du canal. (Approbations sur divers bancs)
Il est clair que tous les réseaux complémentaires devront progressivement faire l'objet d'aménagements définis dans les contrats de plan État-région et qui pourront aussi être financés à hauteur de 30 % ou 40 % par l'Europe. Je développe donc une stratégie qui répond à vos préoccupations : un investissement maîtrisé inscrit dans la durée.
Dans le rapport, je mets en garde contre des péages trop lourds. En Belgique, ils sont pratiquement pris en charge par les gouvernements wallon et flamand. Pour que la batellerie française s'adapte, il ne faut pas « l'assommer » et les péages devront servir à l'entretien. Pour financer l'investissement, j'ai évoqué l'Eurovignette. Mais, dans le contexte actuel, mieux vaut ne pas parler d'une vignette supplémentaire. Il faut se souvenir que la SANEF avait participé au dialogue compétitif ; elle est intéressée par le report modal car la circulation des camions provoque la saturation de l'autoroute A1 : il y a une piste de ce côté.
Les porte-conteneurs qui accostent dans les ports transportent chacun 18 000 conteneurs, soit 60 kilomètres de conteneurs à la file. Alors, soit on ne fait rien et chaque camion continuera à transporter un conteneur sur 600, 700 kilomètres, voire plus ; soit on joue la complémentarité des modes de transport en misant sur les péniches et le ferroviaire. En agissant, nous donnerons au fret de nouvelles perspectives. Le fret SNCF ne peut pas continuer à accumuler un déficit de 3 milliards d'euros tous les ans. RFF est d'ailleurs beaucoup plus ouvert au projet.
Les plateformes favorisent l'intermodalité. Ainsi, Nike, installé depuis plusieurs années au bord du canal Albert, en Belgique, va doubler sa superficie, avec 1 000 emplois à la clef, parce que les atouts essentiels du transport fluvial sont la sécurité et la régularité. Par rapport à la route, il simplifie la gestion des flux. Notre stratégie n'a pas misé sur des plateformes suffisamment multimodales.
Monsieur Patrice Carvalho, j'ai été impressionné par le travail de l'équipe de Noyon. Le site est compétitif, mais je ne peux pas en dire plus. Vous redoutez les conséquences d'une association avec le privé, mais à Dourges, la structure retenue – les collectivités ont porté le projet et le privé exploite l'équipement par le biais d'une société d'économie mixte autonome – fonctionne parfaitement. Le secteur privé reviendra : il serait logique, et conforme à leurs intérêts, que les céréaliers participent à la réalisation de la plateforme en Picardie.
Si on ne fait pas la connexion avec les ports, on se condamne à écrire des rapports et à laisser le trafic aller ailleurs par manque de compétitivité de nos ports, y compris des ports intérieurs comme Paris ou Lille. En Picardie, on m'a dit que le canal naturel, c'était la Manche ! Le canal s'impose comme alternative à cette autoroute des mers, saturée, où les risques de catastrophe écologique sont considérables. Il reliera nos ports et la massification autour de Marquion et de Paris profitera finalement au Havre.
Quant au tourisme, il n'entre pas dans le projet du canal à grand gabarit, mais il se développera naturellement sur les réseaux secondaires qui accueilleront de la batellerie de plaisance à côté d'autres activités économiques. Ce sera notamment le cas du canal de la Sambre dont certains ponts devront être reconstruits ou aménagés. Il ne faut pas négliger le tourisme surtout vers la capitale quand nous aurons les structures nécessaires, mais, ne nous leurrons pas, il restera une source de financement non négligeable, mais marginale.
Venons-en aux questions d'ordre financier. Les PPP coûtent horriblement cher et, s'ils sont dénoncés régulièrement en Grande-Bretagne, c'est tout simplement parce que ce sont des opérations de portage financier. (Approbations sur divers bancs) Or, on n'en a pas besoin quand on obtient de la BEI des crédits à quarante ou cinquante ans, à des taux très bas. On peut alors se contenter de lever entre 500 et 700 millions d'euros pour boucler le financement. Quant à l'entretien, il ne représentait pas l'essentiel du coût du PPP. Je vous transmettrai les chiffres par écrit.
Le portage pourrait se faire par le biais d'une société de projet créée par une loi et limitée dans le temps. Cela s'est déjà fait. Des appels d'offre seront lancés par tronçon de façon à y associer aussi les entreprises locales et à favoriser ainsi l'emploi.
Enfin, madame Laurence Abeille, les caractéristiques de l'étanchéité seront conservées mais on choisira des matériaux plus économiques et plus écologiques. Il faut créer un observatoire partagé, qui fasse de ce canal un exemple de développement durable. J'ai supprimé du projet une connexion avec Lille, qui pompe déjà de l'eau dans la nappe phréatique de l'Avesnois – ce qui représente tout à la fois une économie de 90 millions d'euros et surtout une moindre consommation d'eau –, ainsi que l'écluse de Moislains qui, avec ses 30 mètres de haut, était la plus gourmande en eau. Mes propositions concernent aussi les économies d'énergie. J'ai été très intéressé par l'hydroélectricité produite par le canal Albert à partir de moteurs hyperperformants. Je suggère également une trame verte et bleue, et l'installation de panneaux solaires, partout où c'est possible, notamment autour des plateformes qui doivent être autosuffisantes sur le plan énergétique.
Ces pistes laissent penser qu'au-delà de son impact sur la qualité de l'air, le projet sera intéressant économiquement et écologiquement. Nous laisserons un bel ouvrage à nos enfants. (Applaudissements sur tous les bancs.)