Intervention de Jean-Philippe Mallé

Réunion du 11 décembre 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Mallé, rapporteur :

Le Traité sur le commerce des armes dont l'Assemblée nationale est saisie a été adopté par l'assemblée générale de l'Organisation des Nations unies le 2 avril 2013, et signé par la France le 3 juin dernier. Je vous rappelle que notre commission avait organisé une table ronde sur ce sujet, le 13 mars dernier. Le Sénat vient d'autoriser sa ratification et il est demandé la même chose à notre assemblée. L'objet de ce traité est double : il s'agit d'abord de réglementer ou d'améliorer la réglementation du commerce international des armes classiques entre États et d'autre part de prévenir et de réduire le commerce illicite des armes classiques dans le monde.

Je veux souligner le fait qu'il s'agit du premier traité négocié au sein des Nations unies en matière de maîtrise des armements. Aucun instrument juridique global et complet sur les armes conventionnelles n'a été conclu avant ce traité : il n'existe que des textes visant une certaine catégorie d'armes déterminées comme les armes asphyxiantes, bactériologiques, chimiques ou nucléaires ou alors des traités d'ensemble mais contingents, comme les embargos sur les armes ou enfin des textes régionaux mais qui instaurent des normes différentes entre régions du monde.

La France, comme l'ensemble des États de l'Union Européenne applique déjà les normes les plus contraignantes en la matière. C'est important. Des critères communs pour l'exportation d'armes conventionnelles ont, en effet, été définis par l'Union Européenne dès le début des années 90, qui ont fait l'objet d'un code de conduite adopté par le Conseil européen en 1998 et devenu juridiquement contraignant en 2008 par l'adoption de la position commune européenne du 8 décembre 2008.

Cependant, il faut noter, au niveau international, une absence de normes communes pour les transferts d'armements qui a été reconnue par les Nations Unies comme étant "un facteur contribuant aux conflits, aux déplacements de population, à la criminalisation et au terrorisme et porte ainsi atteinte à la paix, à la réconciliation, à la sûreté, à la sécurité, à la stabilité et au développement durable. » En 2006 une action a donc été engagée aux Nations unies à l'initiative du gouvernement britannique, soutenue rapidement par la France. Des réunions d'experts s'en sont suivies puis deux conférences diplomatiques, la première en juillet 2012, la seconde en mars 2013, conclues donc par un vote de l'Assemblée générale des Nations unies le 2 avril : 154 votes favorables, 23 abstentions, 3 oppositions. Le traité est ouvert à la signature des États membres des Nations unies depuis le 3 juin 2013. À ce jour quelques 115 États l'ont signé et 9 l'ont ratifié. Le traité entrera en vigueur 90 jours après le début du 50e instrument de ratification.

Je le disais au début de mon propos : le traité sur le commerce des armes, soumis à votre approbation, vise deux objectifs : réguler et réglementer le commerce légal des armes entre États et prévenir, d'autre part, le commerce illicite.

Ce traité s'applique à l'ensemble des armes classiques définies par le registre des Nations Unies, y compris aux armes légères et de petits calibres responsables de centaines de milliers de victimes chaque année. L'exportation des munitions et des pièces et composants est également soumise à contrôle. Ce traité forme ainsi une avancée majeure sur le plan du droit international humanitaire, et du droit international des droits de l'Homme qui sont au coeur des critères que les États s'engagent à respecter à travers leur dispositifs nationaux de contrôle des exportations d'armements.

L'article 6 consacré aux interdictions de transfert et l'article 7 consacré à l'évaluation des demandes d'exportations constituent la base du traité. Ainsi, les États doivent strictement refuser tout transfert d'armes classiques, munitions, pièces et composants s'ils ont connaissance que ceux-ci pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l'humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des populations civiles ou des biens de caractère civils et protégés comme tel. Les États doivent également refuser un transfert qui violerait leurs engagements internationaux et les mesures prises par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies. L'article 7 stipule que les États, lorsqu'ils envisagent d'autoriser une exportation d'armes classiques, de munitions, de pièces et composants, doivent effectuer un examen préalable des risques de violation du droit international des droits de l'Homme et du droit international humanitaire qui pourra les conduire à refuser l'autorisation d'exportation. L'évaluation doit également déterminer si l'exportation de ces matériels est susceptible de contribuer ou de porter atteinte à la paix et à la sécurité. Elle doit aussi prendre en compte le risque que ces matériels puissent être utilisés pour la commission d'actes de terrorisme ou de crimes relavant de la criminalité transnationale organisée. Enfin, parmi les critères d'évaluation figure le risque que ces matériels puissent servir à commettre des actes de violences sexuelles ou des actes de violences graves contre les femmes et les enfants. Il faut rappeler ici que c'est l'ensemble de la chaîne des transferts d'armement (exportation, importation, transit, transbordement et courtage) qui fait l'objet d'un contrôle stipulé par le traité.

D'autres dispositions, qui sont développées, plus en détail dans le rapport, prévoient l'amélioration de la transparence entre les États parties par l'établissement de rapports initiaux et annuels, le renforcement de la coopération internationale par des échanges d'informations et l'institutionnalisation de l'assistance entre les États par la mise en place d'un « fonds d'affectation volontaire ».

Je veux dire ici que d'ores et déjà, la France et l'Union européenne sont en conformité avec les différentes dispositions du traité. Rappelons qu'en France, les demandes d'autorisation d'exportation font l'objet d'un examen par la Commission interministérielle pour l'étude des exportations des matériels de guerre (CIEEMG) sur la base, en particulier, des critères définis par la position commune du 8 décembre 2008 de l'Union européenne.

Parmi les 30 pays exportateurs d'armes, 7 représentent à eux seuls près de 90% du commerce d'armes dans le monde : États-Unis, Russie, Royaume Uni, France, Allemagne, Italie et Israël. Notre pays est un acteur très présent sur le marché de l'armement : le montant des prises de commande par les entreprises françaises s'est élevé à près de 5 milliards d'euros en 2012, ce qui place la France, depuis de nombreuses années, parmi les 5 premiers exportateurs d'armes dans le monde. La France dispose d'une industrie de défense dense, diversifiée, compétitive et de haut niveau technologique. Les exportations d'armements sont portées par les logiques économiques de grands groupes industriels parmi lesquels l'européen EADS et les français Thalès et Safran. Les industriels de la défense français et européens se sont exprimés en faveur du traité.

Pour conclure, il me semble que, après le succès que constitue l'adoption de ce traité sur le commerce des armes par une très grande majorité d'États de l'Organisation des Nations unies, deux enjeux se font jour pour que ce texte vive vraiment.

Le premier défi est celui de l'effectivité du traité, lequel engage les États qui l'ont ratifié à adopter un dispositif de contrôle national des transferts d'armes conventionnels. Il appartient donc à chaque Etat d'aménager sa législation pour mettre en oeuvre le traité, lequel n'apporte pas de dispositif « clé en main » qui aurait vocation à s'appliquer tel quel dans tous les États l'ayant signé et ratifié. De même, doit-on constater que le traité ne prévoit aucun régime de sanction. Cela aurait peut-être été souhaitable mais très peu de traités le font et le réalisme conduit à constater qu'il aurait été impossible que la négociation aboutisse sur ce point.

Le deuxième enjeu est celui de l'universalité du traité. Si la France et le Royaume Uni l'ont signé dès le 3 juin 2013 et que les Etats-Unis viennent de faire de même, la Chine, la Russie et Israël mais aussi l'Inde, le Pakistan et le Canada n'ont toujours pas signé le traité et risque de ne pas le faire dans un futur proche. Au-delà de la signature, de nombreux efforts doivent être réalisés par certains États pour atteindre, par une ratification massive, l'universalité souhaitée. Les États Unis, par exemple : une ratification semble improbable à court terme. Or, la ratification du plus important exportateur mondial d'armement serait un signe extrêmement fort et positif envers l'ensemble de la communauté internationale.

En tout état de cause, je tiens à souligner la dimension éthique et juridique que constitue la signature du traité sur le commerce des armes car ce dernier est amené à devenir un véritable standard normatif au sein de la communauté internationale quand bien même ses effets concrets ne seront peut-être pas visibles avant plusieurs années.

La France, en tant qu'un des principaux exportateurs d'armes mais aussi en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies détient une responsabilité particulière.

La ratification rapide du traité par notre pays en constituera un signal important.

C'est donc au bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

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