Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 4 décembre 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Monsieur Amirshahi, « ce que la France met sur la table » est une expression qui ne me paraît pas correspondre à la qualité de nos relations avec l'Afrique aujourd'hui, même si j'en comprends l'esprit. Nous avons des attentes vis-à-vis des trois volets du sommet de l'Élysée. S'agissant du volet économie et développement, nous souhaitons le doublement en cinq ans de nos échanges commerciaux. Dans le cadre du volet paix et sécurité, nous entendons donner substance à une proposition de l'Union africaine de capacité africaine de réponse immédiate aux crises, dite Caric. Il s'agit, en attendant l'avènement d'un modèle idéal, de faire financer par les Africains et d'autres contributeurs – Européens, Japon, pays du Golfe, Nations unies – des troupes africaines bien équipées, capables d'intervenir immédiatement en cas de crise. Ces troupes auraient été bien utiles dans l'affaire malienne, et le seraient aussi en RCA. Cette facilité semble à portée de main. Enfin, pour ce qui est du volet climat, l'idée serait d'adopter une position commune entre la future présidence française et les pays africains sur ce que devra être le résultat du grand sommet sur le climat que nous accueillerons en 2015. La substance de ce dernier n'en serait que plus forte si nous avions avec nous l'ensemble des pays africains, qui sont très concernés par les dérèglements climatiques.

Du point de vue économique, avec une croissance moyenne de 5 % et des progrès de productivité, les marchés en fort développement constituent un atout considérable pour les Africains. La France a l'immense avantage de bien connaître le continent et d'y être bien vue, ce qui n'a pas toujours été le cas. Suite à nos interventions au Mali, dans les pays d'Afrique francophones mais aussi anglophones, des responsables crient « Vive la France ! », et ils le feront plus encore si nous menons à bien l'affaire centrafricaine. Dans le cadre de l'aide au développement, il est proposé de créer une fondation France-Afrique. En lien avec Manuel Valls, nous avons déjà changé les dispositions relatives aux visas d'affaires. Nous pouvons également agir sur le plan des investissements puisque nos entreprises sont encore beaucoup trop frileuses. Les marchés africains sont extrêmement porteurs, il suffit de voir ce que font les Chinois, les Indiens et d'autres pour s'en convaincre. Le succès du forum d'entreprises organisé aujourd'hui à Bercy, comme la diplomatie économique que nous avons engagée sont des illustrations positives de ce que nous sommes en mesure d'accomplir pour autant qu'on se défasse de notre mauvaise habitude de battre notre coulpe en nous disant mauvais. Si nous sommes mauvais en Afrique, les autres sont pires, car quand il y a un travail à faire pour les Africains, c'est la France qui s'y colle. Je suis optimiste, à condition que les autorités politiques et les entreprises assurent un bon suivi.

Monsieur Poniatowski, en RCA la présence nécessaire des Africains est effectivement une difficulté. Le rôle des Nations unies et de la France est d'arriver à composer les contingents et à les localiser dans des endroits différents pour donner toute son utilité à la force.

L'Ukraine est une affaire compliquée. L'un des paradoxes les plus saisissants est que les Européens n'ont pas une bonne opinion de l'Europe alors que les peuples qui y sont extérieurs la trouvent extraordinaire. En dépit des problèmes qu'elle connaît, l'Europe est porteuse, en matière de libertés et de développement, d'un projet qui reste fort.

Le dossier ukrainien ne porte pas sur l'adhésion à l'Union européenne mais sur un accord de partenariat avec elle. Un tel accord est une sorte de corbeille garnie de présents, puisqu'il permet de débloquer certains sujets au FMI ou ailleurs. M. Ianoukovitch avait négocié un certain nombre de choses avec Vladimir Poutine puis, au cours du premier dîner de la réunion, a indiqué que si nous faisions droit à ses demandes, il pourrait reconsidérer sa position. Sur quoi, un convive a fait remarquer que l'accord d'association était un engagement global de nature politique, non une affaire de marchand de tapis.

Pour ce qui est de l'affrontement des positions Commission versus État, je l'ai moins ressenti au cours de ces réunions qu'en d'autres circonstances. Sur le fond, nous sommes d'accord pour dire qu'accord d'association ne signifie pas adhésion.

S'agissant du cas de Mme Timochenko, nous nous sommes associés aux sanctions prononcées par l'Union européenne. J'observe que, dans la dernière phase de la discussion, les pays d'Europe et Mme Timochenko elle-même avaient abandonné l'exigence de sa sortie de prison pour signer l'accord d'association.

Pour résumer, la position de la France est la suivante : d'accord pour l'association qui n'est pas une adhésion à l'Europe ni une rupture avec les Russes ; c'est un choix politique; une poussée démocratique est en cours dont il faut tenir compte.

Monsieur Loncle, nous ne soutenons aucun mouvement, et donc pas le MNLA. C'est à M. le Président IBK, qui va bientôt avoir une assemblée nationale, de traiter ces sujets. Il le sait beaucoup mieux que moi, pour éviter de nouveaux conflits, il va falloir trouver des accords avec le Nord, même s'il ne faut pas confondre Nord et MNLA. La France n'a rien à faire là-dedans, je le dirai à notre ami IBK demain.

Monsieur Myard, vous avez sous-entendu que nous avions refusé l'accord uniquement pour que le voyage en Israël du Président de la République se passe bien, pour nous « aplatir » après. Pas du tout ! Nous avons pris une position qui avait été acceptée par les 5 + 1 et qui aurait très bien pu l'être d'emblée par les Iraniens. C'est cette même position que nous avons défendue devant les Israéliens et qui a été acceptée par les Iraniens dix jours après. Votre reproche aurait pu être justifié si nous avions pris une position avant et que nous l'avions abandonnée après. Mais ce n'est pas le cas. Ce sont les Iraniens qui ont commencé par dire non pour finir par dire oui.

La présence de nos intellectuels en Iran ne fait pas partie des sanctions. Elle ne relève que de la délivrance ou non de visas.

Madame Saugues, notre position sur la présence de l'Iran à la conférence de Genève II n'a pas changé : comme d'autre pays, il a vocation à y participer dès lors qu'il accepte l'objet de la conférence. Cet objet, défini par Genève I, redit par les Américains, par l'ONU, les Russes et nous-mêmes, c'est un gouvernement de transition par consentement mutuel, doté de tous les pouvoirs exécutifs. Je dois dire qu'au fil des déclarations des uns et des autres, j'ai de plus en plus de doutes à son sujet. M. Bachar el-Assad fait dire que les Syriens iront mais qu'ils refuseront de discuter du transfert des pouvoirs, qui est précisément l'objectif. Le texte sur lequel nous nous sommes mis d'accord pour la lettre d'invitation qui sera envoyée par le secrétaire général des Nations unies indique l'objet de la conférence et précise bien que ceux qui s'y rendront signifieront par leur présence leur accord avec celui-ci. C'est un mécanisme classique en diplomatie. L'Iran dira s'il est d'accord ou pas d'accord.

On ne parle plus du Pakistan, monsieur Gaymard, mais de la Corée du Nord. Beaucoup affirment que les deux pays ont des liens en matière de combustible.

La position américaine au Moyen-Orient, monsieur Destans, est définie en théorie par plusieurs discours du Président Obama dans son deuxième mandat. Il a marqué son intérêt pour les États-Unis, le pivot asiatique et le conflit israélo-palestinien et ne veut pas être impliqué dans de nouveaux conflits comme l'Irak et l'Afghanistan. Or quoi que fasse le leader d'un pays aussi décisif que les États-Unis, qu'il intervienne ou qu'il n'intervienne pas, il sera toujours critiqué. Quand les États-Unis ne sont pas là, qu'on s'en félicite ou qu'on le regrette, cela crée un vide. La position française de soutenir les opposants modérés était juste et elle aurait pu être appliquée sans difficulté en juillet 2012, quand il n'y avait ni Hezbollah ni terroriste en Syrie, en tout cas pas dans les proportions actuelles. Pour plusieurs raisons, ce choix n'avait pu être soutenu à l'époque par les Américains. En février, une fois John Kerry installé, la situation n'était plus la même. Pour autant, notre position continue à être juste mais elle est devenue beaucoup plus difficile à appliquer. La France a beau être une puissance avec une diplomatie reconnue, nous n'avons pas la capacité de faire seuls toutes sortes de choses. Nous sommes obligés de composer, ce qui explique parfois que certaines bonnes idées ne puissent pas être mises en oeuvre.

Monsieur Rochebloine, nous nous occupons activement, avec le président du Cameroun, de trouver une issue positive pour le père Georges. J'ai parlé à la famille mais, dans ces affaires d'otages, on ne peut pas dire grand-chose tant qu'elles ne sont pas terminées.

Nous avons rendu publique notre position sur l'ouverture des négociations sur le chapitre 22 depuis longtemps déjà, ce qui ne veut pas dire que les autres chapitres vont être ouverts. La visite du Président de la République en Turquie au mois de janvier contribuera à entretenir des relations déjà bonnes avec ce pays.

Monsieur Vauzelle, votre description de la situation est parfaitement juste mais la question si vaste. Chaque élément dont on tire le fil amène une difficulté supplémentaire. En souriant, nous pourrions dire : quel dommage que la France ne soit pas seule responsable de la totalité du Conseil de sécurité des Nations unies et de l'Europe !

Monsieur Lequiller, les Israéliens s'inquiètent, bien sûr, de l'ambiguïté de l'accord avec l'Iran, qui ne règle pas la question de la perspective de la bombe. Ils y seraient favorables s'il débouchait sur la renonciation réelle de l'Iran, mais ils ne s'en accommoderaient pas s'il laissait ce pays au niveau du seuil.

Monsieur Bacquet, votre description de la situation en Jordanie est malheureusement tout à fait juste. Elle pourrait tout aussi bien s'appliquer au Liban, dont le premier ministre Mikati m'a indiqué qu'il s'y trouvait près d'un million de réfugiés. Nous finançons avec l'AFD des programmes pour l'eau, bien utiles pour faire face à cet énorme problème.

Monsieur Lellouche, pour le moment, la levée des sanctions est minime.

Le droit à l'enrichissement a fait l'objet d'heures de discussion à l'issue desquelles deux points de vue se sont exprimés. Les Iraniens se félicitent d'avoir obtenu le droit à l'enrichissement, ce que réfutent les Américains et nous-mêmes. D'abord, le droit à l'enrichissement n'existe nulle part, nous avons donc évité son affirmation et nous nous sommes battus pour un programme mutuellement agréé.

Nous ne sommes pas seuls dans l'affaire de la RCA. Vous reprochez aux Allemands de ne pas vouloir envoyer de troupes. Nombre des pays qui sont dans le même état d'esprit sont dirigés par des gouvernements plutôt proches du Parti populaire européen. Je ne verrais que des avantages à ce que vous usiez de votre énergie pour alerter vos amis et les inciter à s'engager aux côtés du gouvernement de la France, que vous soutenez dans ce domaine ! C'est là, je le reconnais, une tâche bien difficile. Par ailleurs, à l'instar de Mme la présidente, je ne suis pas sûr qu'il soit très pertinent de mêler cette question aux critères de Maastricht. Indépendamment de la question de l'engagement, nous avons un budget de défense important dont il faut tenir compte. Par contre, je ne retiens pas l'expression de « mercenaire ».

Monsieur Baumel, le texte de la résolution des Nations unies prévoit des suites judiciaires.

Nous avons fait porter une partie de la levée des sanctions sur le secteur automobile, ce qui profitera à Peugeot et Renault. Pour le reste, tant qu'il n'y aura pas d'accord définitif, les réalités économiques ne vont pas vraiment changer, même s'il faut se préparer.

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