Intervention de Brigitte Bourguignon

Réunion du 17 décembre 2013 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Bourguignon, rapporteure :

Les lois adoptées pour établir la parité entre les femmes et les hommes sont déjà nombreuses – j'en ai compté au moins huit – et pourtant, force est de constater que cette parité n'est toujours pas effective. Jusqu'à aujourd'hui, c'est une logique de sensibilisation, ou d'incitation, qui a prévalu, voire, au mieux, de pénalisation financière, mais nous constatons que l'évolution vers la parité demeure trop lente.

L'égalité entre les femmes et les hommes ne pourra pas être atteinte tant que les femmes resteront sous-représentées dans les organes de décision, d'administration, de contrôle ou de surveillance. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité que soit mise en place, lorsque c'est possible, une parité imposée. Dans d'autre cas, il s'agira seulement d'assurer une meilleure représentation des femmes, mais il me semble que cela ne doit être qu'une étape vers une vraie parité.

L'approche que porte le projet de loi présenté par Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, est une approche intégrée qui concerne trois domaines d'intervention : le champ politique, et en particulier les candidatures aux élections législatives ; le sport, avec la composition des instances représentatives nationales ; le monde professionnel, enfin, avec la composition des conseils d'administration et de surveillance et des instances représentatives des intérêts économiques privés, comme les chambres de commerce et d'industrie, les chambres d'agriculture, les chambre de métiers et de l'artisanat, et, à l'initiative du Sénat, les CESER (conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux) et les conseils ordinaux.

Enfin, un quatrième domaine d'intervention a été introduit par le Sénat, celui de la culture, où les femmes sont jusqu'à présent peu représentées dans les instances de direction des opérateurs de l'État et de toutes les structures culturelles.

Pour ce qui concerne le domaine politique, la loi du 6 juin 2000 a créé un système de retenue sur la 1ère fraction de l'aide publique allouée aux partis politiques, en cas de non-respect de la parité lors de la présentation des candidatures aux élections. Cette disposition incitative a été renforcée par la loi du 31 janvier 2007 qui a porté la retenue à 75 % de l'écart exprimé en proportion entre les femmes et les hommes présentés par un parti politique.

Le constat est aujourd'hui le suivant : la proportion de femmes candidates a cessé de progresser entre 2007 et 2012. Par contre, la part de femmes élues est en progression constante. Malgré la loi, l'Assemblée nationale est aujourd'hui composée de 73 % d'hommes, ce qui place notre pays au 37ème rang mondial en ce qui concerne la présence des femmes au Parlement. Seules trois formations politiques parmi les dix premières en nombre de voix respectent pleinement l'objectif de parité et les deux plus grands partis n'y sont pas encore parvenus.

Le projet de loi propose donc de doubler le taux de modulation en passant de 75 % à 150 %, la diminution ne pouvant excéder le montant total de la 1ère fraction de l'aide. Les échanges que j'ai eus au cours des auditions m'ont conduite à douter de l'efficacité de cette mesure pour féminiser davantage l'Assemblée. À l'instar du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, je pense qu'il conviendrait d'aller plus loin dans la sanction.

Aussi, afin de motiver davantage les partis politiques à respecter la parité des candidatures, je recommande de supprimer, au niveau national, la dotation publique au titre de la première fraction, aux partis politiques ne respectant pas la parité des candidatures à partir des prochaines élections législatives de 2017.

Sur la question du rattachement des candidats dissidents (souvent des hommes), que les partis n'ont pas moyen de contrôler et qui peut mettre en échec leurs efforts de parité, je suis favorable à la disposition initiale du projet de loi selon laquelle le rattachement d'un candidat non présenté par un parti ne sera plus pris en compte au regard de la répartition du financement. La limite réside toutefois dans le fait que la sanction s'exercerait cette fois sur des personnes élues par les citoyens.

Concernant le monde du sport, là encore, malgré un objectif de développement des pratiques sportives féminines et de mixité des institutions sportives voulu par les différents gouvernements depuis plus de quinze ans, les chiffres ne sont pas bons pour les femmes : elles sont un tiers des élus dans les fédérations, 20 % des cadres techniques nationaux, 6 % de femmes directeurs techniques nationaux (ce qui représente seulement quatre femmes).

Dans ce domaine, je ferai plusieurs recommandations, qui tiennent compte cependant du fait que les clubs et les fédérations sont des associations dont la liberté d'organisation doit être préservée.

Je préconise d'abord que soit mise en place une stratégie globale pour la féminisation des sports, tant en ce qui concerne la pratique sportive que dans la représentation des sportifs et sportives au sein des fédérations, afin de briser les plafonds de verre. Aujourd'hui par exemple, les exigences physiques et techniques posées pour passer d'entraîneur à directeur technique sont les mêmes pour les femmes que pour les hommes : aussi, peu d'entre elles arrivent à obtenir une notation suffisante.

Certaines fédérations ont adopté des plans de féminisation (ils sont au nombre de douze et de valeur inégale), mais le ministère des Sports doit procéder à leur évaluation de manière qualitative plus que quantitative, afin de voir comment les fédérations les appliquent, et apprécier leur efficacité par rapport aux objectifs qui y sont définis.

La féminisation des instances représentatives des fédérations doit progresser : l'article 19 du projet de loi pourrait être accompagné d'une obligation de résultat avec une date limite pour l'atteindre : le deuxième renouvellement des instances suite à l'entrée en vigueur de la loi, soit deux olympiades.

Il faut également inciter les radios et télévisions à programmer des retransmissions plus nombreuses de compétitions mettant en présence des équipes féminines : des quotas pourraient être définis pour progresser vers cet objectif.

D'autres leviers devraient être mis en oeuvre par les fédérations pour féminiser les cadres sportifs : par exemple, l'instauration du non-cumul des mandats, ou la limitation à deux mandats successifs pour les postes de responsabilité régionaux et nationaux.

J'en arrive au secteur des responsabilités professionnelles.

La loi du 27 janvier 2011 a représenté une grande avancée pour donner aux femmes une place au sein des conseils d'administration et de surveillance : les études montrent que la participation des femmes, outre qu'il s'agit d'équité, a des répercussions très bénéfiques pour la qualité des processus de décision des entreprises.

Néanmoins, il m'a paru important d'aller plus loin dans cet effort de féminisation des conseils d'administration et de surveillance, en l'imposant aussi aux comités spécialisés, lieux stratégiques de gouvernance de l'entreprise. Le seuil minimum de 40 % devrait être appliqué à la composition de ces comités spécialisés, en considérant que ce seuil est une étape et que l'objectif à atteindre à terme est bien la parité de 50 %.

En ce qui concerne les chambres consulaires, le projet de loi propose des mesures techniques pour que s'instaure progressivement la féminisation des délégations. Tant pour les chambres de commerce et d'industrie, que pour les chambres d'agriculture, il faudra aller plus loin pour instaurer une véritable parité.

Les chambres de métiers et de l'artisanat connaissent un principe de parité, inscrit depuis 2010 dans leurs règles électorales. Au 1er janvier 2013, 23 % des demandes d'immatriculation au répertoire des métiers émanent de femmes, ce qui permet d'apprécier la sociologie de l'artisanat ; par ailleurs 25 % des élus du réseau sont des femmes. Il convient de souligner que la participation des artisans et commerçants aux assemblées se heurte souvent, pour les femmes peut-être plus encore que pour les hommes, à des problèmes de disponibilité, les artisans travaillant généralement seuls. Cette difficulté appelle certainement une réflexion sur la diminution du nombre total des élus ou la diminution du quorum nécessaire aux décisions, cela dans l'objectif d'une prise de décision facilitée.

Le Sénat a introduit dans le projet de loi une disposition visant à donner une plus grande place aux femmes dans le domaine des arts et de la culture, mentionnant en particulier les grandes institutions culturelles publiques ou subventionnées par l'État, qui doivent promouvoir la participation des femmes tant au niveau de la direction et de la programmation que de la mise en scène. Le domaine de la culture ne doit pas rester à l'écart du mouvement vers la parité et la féminisation, et un certain nombre de mesures peuvent être prises rapidement, comme la ministre des Droits des femmes a d'ailleurs commencé à le faire. Beaucoup reste à faire, avec la mise en place d'une politique de formation et de sensibilisation, la parité au sein des instances de décision et de sélection de la culture, la féminisation des noms de métier dans les appels à candidature et les nominations, mais aussi, par exemple, une inscription plus importante des oeuvres de femmes dans les programmes de l'Éducation nationale et dans les répertoires des formations artistiques.

Enfin, je souligne que beaucoup de domaines restent encore en dehors du champ d'application de la loi, et mon rapport les mentionne afin que l'objectif de parité s'applique à eux également dans les années qui viennent.

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