Il s'agit en effet d'un sujet important, sur lequel la ministre des Droits des femmes et moi-même avons ressenti l'obligation morale d'agir rapidement, à la suite d'une rencontre avec des victimes de mariages forcés organisée par l'association « Voix de femmes ». Cette rencontre nous a alertées sur le sort de ces femmes et sur les violences qu'elles ont subies.
On ne parle pas du fléau que représentent les mariages forcés, bien qu'il s'agisse d'une réalité. Seule une dizaine de cas par an est habituellement signalée au ministère des Affaires étrangères. À la suite de l'envoi d'un télégramme diplomatique à l'ensemble du réseau consulaire il y a quelques mois, seize cas ont été signalés. En fait, il existe très probablement des centaines voire des milliers de cas. L'UNICEF estime à 400 millions le nombre de femmes mariées alors qu'elles étaient enfants. Or, nous considérons qu'une mineure est toujours mariée de force car, même si elle accepte de se marier pour obéir à ses parents, elle n'a pas pris la mesure de ce que le mariage représente.
Mon action s'inscrit en complémentarité de celles de mes collègues du ministère des Affaires étrangères qui mènent des actions multilatérales. Il s'agit d'apporter, en s'appuyant sur notre réseau diplomatique et consulaire, une réponse aux mariages forcés de jeunes filles et de jeunes garçons – qui sont aussi concernés, le mariage pouvant par exemple être utilisé par la famille afin de cacher leur homosexualité.
Les postes diplomatiques et consulaires ont été sollicités pour signaler les cas de mariages forcés, identifier les personnes et permettre leur retour en France. Je leur ai adressé à cette fin un télégramme diplomatique leur demandant de dresser un état des lieux des mariages forcés et de leur traitement. Une typologie des pays à risque a ainsi pu être élaborée, elle est utilisée pour renforcer la vigilance de certains postes. Une brochure rassemblant des informations pratiques et juridiques a été mise au point. J'ai également sollicité les consulats pour identifier localement des associations qui pourraient être des relais dans la prise en charge des victimes.
Il n'existe pas de profil-type des victimes de mariages forcés. Chaque histoire est différente mais toutes sont tragiques et incluent des violences très graves, d'ordre psychologique et parfois physique, pouvant aller jusqu'au viol conjugal menant à des naissances non désirées, ou à la séquestration.
Nous souhaitons donc agir en amont en mettant en oeuvre des actions de prévention. Dans cette perspective, nous menons un travail d'information auprès de l'Éducation nationale, car, comme vous l'avez indiqué, Madame la présidente, des lycéennes et des collégiennes sont envoyées en vacances dans leur pays d'origine puis mariées de force ; il serait parfois possible de détecter des cas avant le départ.
Toujours dans cet objectif de prévention, un module de formation a été introduit dans la formation obligatoire préalable au départ des agents du ministère des Affaires étrangères affectés dans les services consulaires à l'étranger. Une page dédiée sur le site France Diplomatie, dans la rubrique « Assistance aux Français », va être créée. Enfin, un dépliant sur ces questions sera disponible dans toutes les salles d'attente des consulats.
Je rappelle que la loi n°2013-711 du 5 août 2013, qui a transposé plusieurs directives européennes et conventions internationales, prévoit que le fait de contraindre une personne à se marier est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Le mariage forcé peut être attaqué par le ministère public. Le procureur de la République de Nantes peut être saisi par le service de l'état civil du ministère des Affaires étrangères lorsqu'un mariage forcé a été détecté par un service consulaire français à l'étranger. La détection des cas peut se faire au moment de l'accomplissement des formalités administratives liées au mariage ou lors de la célébration. Dans cet objectif, les agents consulaires ont la possibilité d'avoir des entretiens séparés avec les deux époux. Dans 80 % des saisines, le procureur s'oppose à la célébration du mariage.
Comme je vous l'ai dit, nous souhaitons favoriser une approche pragmatique. Nous nous considérons comme un maillon dans une grande chaîne. En même temps, nous parvenons maintenant à fédérer tous ceux qui ont une expérience en ce domaine.
Nous sommes en train d'élaborer une « fiche-réflexe » destinée aux agents consulaires, c'est-à-dire à ceux qui, en tout premier lieu, sont en contact avec les victimes. La fiche doit les aider à accompagner les victimes si elles restent sur place. Car les victimes peuvent rester dans les pays où elles ont été mariées sans leur consentement. Elles peuvent aussi revenir en France. Pour leur suivi en France, nous sommes en contact avec les associations. Nous étudions aussi la possibilité de faire intervenir un Fonds de solidarité.
Je voudrais également m'inspirer des bonnes pratiques en usage au Royaume-Uni. Ce pays a mis en place un organisme d'État pour lutter contre le mariage forcé : le Forced Marriage Unit. Nous pourrions reprendre certains dispositifs qui ont fait leurs preuves, encore que la psychologie des victimes puisse être distincte. Ainsi, en Grande-Bretagne, les victimes sont plutôt originaires des Indes ou du Pakistan. En France, en revanche, nous avons affaire à des victimes originaires des pays du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne.
Madame la présidente, vous m'avez posé tout à l'heure une question sur le nombre des victimes. Pour l'année en cours, nous avons traité dix-neuf signalements. Sept d'entre eux correspondent à des personnes qui ont été rapatriées. Deux indiquent que les victimes sont revenues en France avec le père. Deux signalements sont intrafamiliaux. Enfin, trois victimes se sont rétractées. Quand les victimes sont très jeunes, ce qui arrive fréquemment, elles tendent à se rétracter, même en faisant l'objet d'un signalement. Elles restent fidèles à la famille.