Intervention de Jean-Luc Hees

Réunion du 18 décembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Luc Hees, président-directeur général de Radio France :

Je tiens à vous remercier pour vos questions, qui reflètent une très bonne connaissance de nos antennes et dont certaines sont d'ailleurs régulièrement soulevées en comité éditorial.

Je rappellerai tout d'abord que Radio France vit sous une contrainte budgétaire très forte. Les efforts importants que la maison doit consentir peuvent expliquer les frustrations des personnels, qui ont le désir de bien faire – ce qui est normal quand on travaille au sein d'un service public. La représentation nationale vote le budget : or, Radio France, depuis deux ou trois ans que des questions financières se posent, n'a pas renâclé devant les sacrifices à réaliser. La maison a ainsi réduit ses frais de fonctionnement, en supprimant par exemple les voyages des personnels en première classe – dont les prises électriques étaient pourtant bien utiles pour les ordinateurs des techniciens et des reporters. Elle s'est également dotée d'une direction des achats et a renégocié ses contrats avec ses fournisseurs. Ces efforts ont été à l'origine de notre projet d'entreprise. Radio France a une grande faculté d'adaptation : encore a-t-il fallu expliquer avec force pédagogie les mesures à prendre. Je suis comptable de l'argent des contribuables mais étant avant tout journaliste, j'ai appris sur le tas à tenir les cordons de la bourse d'une grande maison comme Radio France. Et j'ai dû faire passer le message des économies à réaliser auprès de mes 5 000 collaborateurs afin de recueillir leur adhésion.

France Bleu Creuse, madame Dessus, est une des antennes historiques de France Bleu. Il n'est pas question de limiter notre activité dans un département relativement peu peuplé. Il convient en revanche de rééquilibrer les équipes en fonction de la population à servir. Ce choix n'a rien de commercial : il répond au souci de bien faire avec les ressources dont nous disposons, ce qui n'est pas toujours facile.

Le traitement de l'actualité est la première mission de Radio France : or, cette mission n'a souffert en rien des efforts légitimes qu'on nous a demandé de consentir. En matière de reportages, Radio France est la radio la plus ouverte sur le monde – une des pistes de développement de France Info est du reste d'apparaître comme la radio de l'ouverture sur le monde. Je suis fier du travail effectué en matière de couverture de l'information par Radio France. Nécessité fait loi, assurément, mais peut également donner des idées : telle est la raison d'être du projet d'entreprise qui doit contribuer au développement de la maison. La discussion y est la règle en vue d'assurer toutes les missions qui nous sont confiées.

Il est vrai que le pilotage peut se révéler difficile. Ainsi à peine avions-nous réussi – difficilement – à équilibrer le budget pour 2014 que nous étions soumis à un nouveau petit coup de rabot. Une telle méthode ne nous aide pas.

Des progrès, madame Attard, sont encore à réaliser en matière de parité entre les hommes et les femmes, à Radio France comme dans un grand nombre d'entreprises. Nous regardons ce problème en face et faisons preuve de volontarisme. Un média peut jouer en matière d'égalité un rôle considérable. De plus, Radio France est un service public : elle se doit donc d'être exemplaire. Pour mieux connaître la situation réelle, nous avons procédé à deux enquêtes sur le sujet au sein de la maison. La première portait sur le ressenti des hommes et des femmes en matière de parité : les hommes s'y révèlent plus satisfaits que les femmes. Quant à la seconde, elle portait sur le sexisme : celui-ci existe à Radio France. Il faut y porter remède.

Radio France est fière d'être le premier média de service public à avoir reçu cette année le label « Diversité ». Ce label correspond à des indicateurs très précis et peut évidemment être remis en question. J'imagine mal ce qui se passerait si nous le perdions. Nous allons donc poursuivre nos efforts en la matière.

Je suis heureux de privilégier la collégialité dans le travail – il est vrai que c'est une habitude de journaliste. Un comité éditorial se tient chaque semaine à Radio France : il réunit tous les patrons de chaînes. Tous les sujets sont abordés, ce qui permet d'accélérer les prises de conscience sans avoir à recourir au gourdin !

La radio doit être à l'écoute des Français pour être en résonance avec l'état de la société. Toutefois, en tant que service public, Radio France n'est pas tant dans la demande que dans l'offre. Je n'ai rien contre les horoscopes mais les délivrer chaque matin n'est pas la mission d'un média de service public. En revanche, seul un service public pouvait faire le pari de proposer, le samedi matin, l'émission « Sur les épaules de Darwin » de Jean Claude Ameisen : ce pari m'a troublé moi-même. C'était une offre : personne n'avait demandé une telle émission. Le directeur de France Inter a su faire confiance à Jean Claude Ameisen et nul ne saurait le regretter. Cette maison ne choisit jamais la facilité.

Les radios privées font très bien leur travail mais je n'ai pas 2 millions d'euros à mettre sur les arrières de bus pour communiquer sur les hausses d'audience de Radio France : telle n'est pas la mission qui m'a été confiée. Chacun son métier.

Il est vrai que les journalistes de France Inter, chaîne que je connais très bien pour l'avoir dirigée, sont quelquefois « entre eux ». Je le leur ai fait remarquer tout en évitant de prêter le flanc à l'accusation de faire pression. Du reste, sauf en cas de diffamation ou d'insulte, j'ai toujours déclaré que je n'exercerai jamais aucune pression sur qui que ce soit et je me suis toujours tenu à cette règle de conduite. Les différentes antennes de Radio France sont de gros bateaux : il est inutile de jouer les gros bras pour obtenir des changements. L'évolution de France Inter est le fruit de plusieurs mois de dialogue car chacun doit y prendre sa part. Nous partons de très loin. J'attends désormais des résultats assez rapides. Il en est de même de France Musique, qui consacre de très nombreuses heures à la musicologie, aux dépens de la musique elle-même. Ma mission consiste à le leur signaler.

France Info pose des problèmes de mécanique industrielle : quand l'ensemble du média se modifie, il faut trouver des pistes qui se révèlent toujours momentanées en raison de l'évolution de l'actualité, laquelle n'aide pas toujours. La matinale a été modifiée il y a à peine trois mois, après la tenue d'une assemblée générale de France Info au printemps dernier. Les discussions n'ont pas été faciles. Il faut laisser le temps aux présentatrices de cette tranche horaire de faire leurs preuves. J'ai confiance. Il est vrai que la chaîne doit favoriser l'analyse et accentuer son regard sur l'international – Radio France dispose, pour une part non négligeable de son budget, d'un réseau de dix correspondants dans le monde. Les changements exigent un vrai travail d'équipe.

S'agissant du Mouv', nous ne sommes pas sourds. Des discussions sont engagées. Le Mouv', qui s'adresse aux jeunes, ne peut pas traiter l'information comme France Inter ou France Info. Si on y parle de l'engagement de la France au Mali, il faut, par exemple, demander l'autorisation du ministre de la défense d'interroger dans une caserne un jeune soldat sur son expérience de la guerre. Telle est la démarche qui rendrait cette radio audible par son public. Ce serait une folie journalistique et économique de faire la même chose sur toutes les antennes !

Monsieur Françaix, j'ignore à quoi ressemblera la radio de demain : je n'ai pas de boule de cristal à ma disposition. Ce que je sais en revanche, c'est que 43 à 44 millions de Français écoutent la radio chaque jour. C'est donc une industrie prospère. À elle seule, Radio France réunit 14 millions d'auditeurs. Il est vrai que les changements peuvent être très rapides, en raison notamment de l'impact de la Toile. La radio n'est pas facile à exporter sur internet, qui est fait pour l'image et le texte.

Radio France, qui diffuse 1 000 titres par jour, se doit d'être prescripteur de musique en direction de la jeunesse. Cultiver, notamment sur le plan musical, tous les âges de la population est une des missions de Radio France qui dispose en la matière de très bons atouts : d'excellents programmateurs et producteurs de musique, des journalistes spécialisés et une somptueuse discothèque que le monde entier lui envie – ce n'est pas une exagération. C'est pourquoi Radio France ouvrira bientôt RF8 – ce sera en effet le huitième réseau de la maison –, le site de toutes les musiques. Nous souhaitions l'ouvrir au mois de novembre, mais nous nous sommes heurtés au refus de plusieurs sociétés de gestion collective de droits, ce qui a retardé le projet. Les discussions continuent, dans l'espoir que ces sociétés comprennent enfin leur intérêt à cette nouvelle forme d'éditorialisation de la musique. Nous sommes évidemment très légalistes et faisons attention à respecter scrupuleusement tous les aspects juridiques des dossiers.

Radio France est consciente que nous vivons dans un monde d'économie, de sciences et de technologies : elle essaie de faire le maximum en la matière.

Notre maison, fermée depuis deux ans en raison d'importants travaux de réhabilitation, rouvrira au public dans le courant de l'année 2014. L'investissement consenti par notre actionnaire étant considérable, nous devons la regarder comme un nouvel instrument mis à la disposition de nos antennes et de nos formations musicales. Nous souhaitons, à l'heure de l'aménagement des rythmes scolaires, la transformer, avec ses propres ressources, en un véritable instrument pédagogique, en une vraie maison de la culture. Savez-vous que Radio France possède un mini-studio de France Info où des enfants peuvent apprendre à faire le journaliste ou le technicien ?

Je vous rassure, monsieur Reiss, toutes les antennes de Radio France sont libres, honnêtes et indépendantes : c'est une conviction sans faille !

Madame Attard, refuser la publicité pour l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes aurait été incohérent : je ne peux pas développer les ressources propres et me mettre dans l'illégalité pour refus de vente. La maison doit honorer ses contrats. Cette affaire ne m'a absolument pas mis mal à l'aise.

S'agissant de l'international, Radio France entretient les meilleures relations du monde avec RFI, notamment dans le cadre de collaborations, comme en Afrique où il est dangereux de travailler. Nous nous rapprocherons davantage encore au sein de l'Union radiophonique et télévisuelle internationale (URTI) que je préside : je pense d'ailleurs confier la direction générale à un représentant de RFI. Il convient d'opérer une synergie qui dépasse les seuls aspects économiques : nous faisons en effet le même métier et partageons les mêmes valeurs.

En revanche, le Président de la République a évoqué hier un possible rapprochement entre France Télévisions et Radio France : je tiens à affirmer ici que suis attaché à l'absolue indépendance de Radio France. La radio et la télévision, où j'ai également travaillé, ne font pas le même métier.

Enfin, s'agissant du climat social régnant à Radio France, il faut savoir qu'à mon arrivée à la tête de la maison il m'a fallu immédiatement entamer la renégociation de la convention collective, qui datait des années 80. Radio France a la culture des débats vifs : les négociations y sont lentes et ont été, de plus, interrompues plusieurs mois en 2013 pour laisser passer les élections professionnelles. Malheureusement, alors que je souhaite signer ce nouveau contrat collectif avant la fin de mon mandat, les négociations sont de nouveau au point mort en raison de l'annulation des élections par la justice à la suite de la plainte d'un syndicat, pour un problème de représentativité. Les prochaines auront lieu en janvier 2014. Je l'affirme pourtant haut et fort : cette nouvelle convention collective est une nécessité car elle rassurera le personnel tout en modernisant la définition de nos métiers et en redessinant les relations sociales au sein de la maison, qui a sa culture et son histoire propres.

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