Intervention de Marie-Suzanne le Quéau

Réunion du 9 juillet 2013 à 17h15
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

Marie-Suzanne le Quéau, directrice des affaires criminelles et des grâces :

J'informerai de mon mieux la Commission, dans le respect du secret de l'instruction défini à l'article 11 du code de procédure pénale.

Je commencerai par exposer le cadre général qui régit les relations entre le parquet général et ma direction d'une part, et entre ma direction et le cabinet de la ministre d'autre part. Par circulaire du 19 septembre 2012, la garde des Sceaux a décidé de ne plus adresser d'instructions dans les affaires individuelles afin de mettre fin à toute suspicion d'intervention inappropriée dans l'exercice de l'action publique. Un projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique, voté en première lecture par l'Assemblée nationale, reprend ce principe de prohibition des instructions individuelles. Celui-ci ne concerne toutefois que le ministre, les procureurs généraux conservant la possibilité d'émettre des avis ou d'adresser des instructions de poursuite aux procureurs de la République de leur ressort, dans le cadre des règles institutionnelles qui régissent leurs relations.

Pour autant, les magistrats du ministère ont un devoir d'information, qu'ils exercent avec une vigilance particulière dans les affaires significatives ou médiatisées, de manière à éclairer les différents niveaux de la hiérarchie judiciaire – procureur, procureur général, Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), ministre – sur le déroulement des enquêtes ou des instructions judiciaires. Ma direction peut, pour sa part, demander au procureur général – son interlocuteur naturel – des précisions concernant un dossier particulier, à des fins d'information ou d'analyse.

Un protocole sur la circulation de l'information entre la DACG et les parquets généraux – dont la première version remonte au 27 novembre 2006 – impose à ces derniers de transmettre leurs comptes rendus, en fonction de la nature des infractions en cause, au bureau compétent de la DACG – en l'occurrence, le bureau du droit économique et financier (BEFI). Adressés par courriel sur la boîte structurelle du bureau concerné, ces comptes rendus sont directement accessibles pour ses membres. Ils font en outre systématiquement l'objet d'une impression papier par le bureau d'ordre de la DACG, qui les remet physiquement au magistrat de ce bureau chargé du suivi du dossier. En cas d'urgence, l'information peut être communiquée par le parquet général à la DACG par le biais d'un courriel nominatif adressé directement aux magistrats en charge du suivi sur leur boîte professionnelle nominative.

La remontée de l'information s'effectue donc par voie écrite. Les échanges téléphoniques constituent l'exception – en cas d'urgence, ou lorsque la complexité d'un point du dossier rend nécessaires des précisions pour sa bonne compréhension.

Le parquet général nous informe régulièrement des avancées significatives du dossier résultant des actes et des auditions réalisées, mais les pièces de la procédure – à l'exception des réquisitoires définitifs, ordonnances de non-lieu ou de renvoi, jugements et arrêts – ne sont pas transmises à ma direction. De même, la DACG n'est pas informée à l'avance des actes particulièrement importants ou coercitifs comme les perquisitions ou les placements en garde à vue, elle n'est avertie qu'au moment de leur réalisation, voire après coup.

Dans ses rapports de transmission, le procureur général doit indiquer à ma direction s'il partage l'analyse juridique et les orientations du procureur de la République ; il peut également solliciter notre analyse juridique. Dans le cadre de cette affaire, le parquet général a usé une fois de cette possibilité en sollicitant, le 1er février 2013, notre expertise sur les conditions dans lesquelles, au regard du principe de spécialité, la réponse faite par les autorités helvétiques à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) dans le cadre de la convention d'assistance administrative en matière fiscale pouvait être versée à l'enquête préliminaire en cours au parquet de Paris.

Si tous les comptes rendus que nous recevons des parquets généraux ne sont pas systématiquement adressés au cabinet du garde des Sceaux, ma direction informe naturellement ce dernier des développements des dossiers sensibles. C'est le conseiller pénal qui représente notre interlocuteur privilégié, mais dans cette affaire, nous avons également adressé les comptes rendus au conseiller diplomatique, comme nous le faisons toujours en cas de développements à l'international. Enfin, vu l'importance du dossier, nous avons également inclus parmi les destinataires le directeur et le directeur adjoint de cabinet, conformément aux règles de fonctionnement fixées par le cabinet de la ministre.

Les magistrats de ma direction informent le cabinet de l'avancée des procédures qui leur sont signalées au moyen de comptes rendus écrits envoyés par courriel. Ces courriels sont également adressés en copie aux membres du comité de direction de la DACG – moi-même, le directeur adjoint, les deux sous-directeurs et le chef de cabinet –, de manière à ce qu'ils puissent suivre au plus près les dossiers sensibles et répondre aux demandes du cabinet en cas d'urgence. J'ai par ailleurs évoqué cette affaire avec le directeur de cabinet de l'époque au cours de nos entretiens hebdomadaires au même titre que d'autres dossiers sensibles, pour faire un point d'actualisation du dossier.

La DACG transmet au cabinet les éléments factuels qui lui ont été communiqués par le parquet général, ainsi que son analyse juridique si le dossier soulève une question de droit. Dans les cas nécessitant un suivi de long terme, une fiche de synthèse reprenant les principaux événements de l'affaire accompagne le compte rendu envoyé par courriel, afin de faciliter le travail du conseiller pénal.

Par ailleurs, ma direction peut être interrogée par le cabinet sur des points particuliers. Ainsi, dans le cas présent, nous avons été invités à le renseigner à deux reprises, d'abord sur les conditions juridiques du versement de l'enregistrement en possession de M. Gonelle au dossier de diffamation, puis au sujet de la Division nationale d'investigations financières et fiscales (DNIFF).

Dans cette affaire – le procureur de la République et le procureur général de Paris vous l'ont confirmé –, la transmission hiérarchique de l'information a scrupuleusement suivi l'ensemble de ces règles. L'affaire a débuté le 4 décembre 2012 avec la publication par Mediapart d'un article intitulé « Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac ». À partir de là, ce dossier a fait l'objet de comptes rendus sous ses deux aspects : la procédure de diffamation et la procédure de blanchiment.

Entre le 6 décembre 2012 et le 2 avril 2013, le parquet général de Paris a adressé 56 comptes rendus à ma direction, laquelle en a transmis 54 au cabinet. Les deux comptes rendus restants – datés du 7 décembre 2012 – concernaient, d'une part, l'analyse juridique, par le parquet de Paris, de la plainte en diffamation que je lui avais transmise la veille par le biais du parquet général, et d'autre part, l'information selon laquelle la Brigade de répression de la délinquance aux personnes (BRDP) avait été saisie de l'enquête du chef de diffamation.

Sur les 54 comptes rendus adressés au cabinet, 6 portaient sur le volet diffamation – 3 résultant d'une demande adressée par ma direction au parquet général de Paris et 3 relevant de l'initiative de ce dernier – et 48, sur le volet blanchiment – 12 répondant à une demande de ma direction et 36 relevant de l'initiative du parquet général. Un tableau récapitulatif de ces courriels – que je peux remettre à la Commission – démontre la parfaite continuité dans la remontée de l'information entre le parquet général de Paris, la DACG et le cabinet de la ministre, à l'exception des deux premiers comptes rendus que j'ai évoqués.

Les principaux développements de ce dossier, qui ont fait l'objet de comptes rendus transmis par ma direction au cabinet de la ministre, vous ont déjà été exposés par le procureur de la République de Paris et le procureur général. Je souhaite en revanche vous préciser la nature des commandes passées à ma direction par le cabinet.

Dans le volet diffamation, trois demandes d'actualisation nous ont été adressées par le cabinet : le 27 décembre 2012, le 1er mars et le 15 mars 2013. À chaque fois, nous y avons répondu le jour même. Dans le volet blanchiment, sur les 12 demandes adressées par la DACG au parquet général, 10 l'ont été à la demande du cabinet. Le 8 janvier 2013, le cabinet a souhaité se voir confirmer l'ouverture d'une enquête préliminaire et savoir quand la DNIFF serait saisie du « soit transmis » aux fins d'enquête. Le même jour, il a également demandé de se faire transmettre le communiqué de presse du parquet de Paris annonçant l'ouverture de l'enquête préliminaire. Le 10 janvier, le cabinet a voulu obtenir des renseignements sur les auditions et investigations envisagées. Le 1er février, il nous a demandé de préciser les termes contenus dans la demande adressée par l'administration fiscale française aux autorités fiscales helvétiques. Le 6 février, il nous a adressé une demande d'actualisation et de précisions sur les éléments transmis par les autorités suisses. Le 7 mars, le cabinet a souhaité savoir quand serait achevée l'expertise de l'enregistrement téléphonique confiée au laboratoire d'Ecully. Le 15 mars, il a demandé des renseignements sur le coût de l'enquête, les moyens engagés et l'existence de liens éventuels avec l'affaire UBS, et le 19 mars, sur l'existence d'un communiqué de presse du parquet de Paris annonçant l'ouverture d'une information judiciaire. Le 2 avril, il nous a adressé une demande d'actualisation, souhaitant se voir confirmer que Jérôme Cahuzac était ce jour-là convoqué par le juge d'instruction pour la mise en examen. Enfin, le même jour, le cabinet nous a demandé de préciser si une mesure de contrôle judiciaire avait été prise à l'encontre de Jérôme Cahuzac à l'issue de sa mise en examen.

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