C'est une entreprise en état de choc et totalement désorganisée que la nouvelle direction a trouvée à son arrivée, il y a un peu plus d'un an.
Depuis la création de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF) en 2008, l'entreprise avait en effet subi une crise de gouvernance majeure qui a profondément terni son image, deux plans de départs volontaires non ciblés portant sur 22 % des effectifs, une fusion brutale insuffisamment préparée et un déménagement mal accepté.
La nouvelle direction a remis l'entreprise sur les rails en s'appuyant sur la feuille de route fixée par le rapport de M. Jean-Paul Cluzel, remis au Gouvernement à l'été 2012.
En s'appuyant sur une analyse étayée des exemples français et étrangers, M. Cluzel, chargé en juin 2012 d'une mission d'évaluation de la réforme, a remis en cause la pertinence d'une fusion des rédactions radio et télé que M. Alain de Pouzilhac s'employait à mettre en oeuvre avec un certain acharnement. Le rapport Cluzel a démontré que les synergies que l'on pouvait en attendre étaient dans la réalité « largement illusoires. »
C'est pourquoi cette réforme, menée à marche forcée, a entraîné de profondes résistances et de graves divisions au sein des équipes, celles de RFI estimant, non sans raison, que l'objectif était en réalité de renforcer France 24 aux dépens de la radio.
L'opiniâtreté et la hâte avec laquelle cette fusion a été conduite ont également rendu particulièrement coûteux et complexe tout scénario de retour en arrière. On peut le regretter, car d'autres scénarios de réforme, notamment celui d'un adossement de France 24 à France Télévisions et de RFI à Radio France, avancés tant par Mme Martine Martinel que par M. Cluzel, auraient sans doute été porteurs de synergies plus intéressantes.
Le rapprochement avec TV5 monde n'a pas été plus fructueux. Reprenant la proposition formulée par le rapport d'information rendu en mars 2012 par MM. Christian Kert et Didier Mathus, M. Cluzel a préconisé de rendre à France Télévisions son rôle de principal actionnaire de la chaîne, ce qui est chose faite depuis mai 2013.
Sur le plan financier, le bilan est particulièrement sombre.
La réforme, qui avait été présentée comme devant permettre un retour sur investissement grâce à une hausse des ressources propres et à la réalisation d'économies, s'est dans les faits traduite par une atonie des ressources propres et des surcoûts considérables – 100 millions d'euros de versements exceptionnels de l'État. La Cour des comptes, dans son rapport annuel de 2013, évoque « une dérive financière massive ».
L'entreprise – je l'ai dit – a mis en oeuvre deux plans de départs volontaires non ciblés dont le bilan n'est guère satisfaisant. Le premier, engagé en 2009, s'est traduit par la suppression de 206 postes et la création de 34 autres. Son coût, initialement évalué à 30 millions d'euros, a atteint 41,2 millions d'euros, financés intégralement par l'État. Un second plan de départs a été mis en oeuvre en 2012. Il a concerné 109 personnes pour un coût de 23,9 millions d'euros. En raison du caractère non ciblé de ce plan, 44 départs ont dû être remplacés.
À l'issue de ces deux plans de départs, l'emploi permanent a donc fortement diminué à RFI et l'emploi non permanent a augmenté, notamment dans les rédactions de France 24 où il atteint un niveau préoccupant de 31,8 %.
Le coût du regroupement immobilier sur l'ensemble de la période 2011-2013 s'élève quant à lui à 44 millions d'euros, montant supérieur de 45 % à l'estimation initiale. La volonté d'avancer vite a prévalu sur la nécessité de penser au mieux le projet et de le mener en respectant les instances sociales dans leurs prérogatives.
Les rapports successifs ont également critiqué sévèrement l'opacité de la société vis-à-vis de son conseil d'administration et de ses tutelles, son incapacité à formaliser un COM et plusieurs aspects de la gestion managériale et financière d'AEF. Le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) d'octobre 2011 relève des erreurs, voire des fautes, notamment en matière de passation des marchés.
Le 8 octobre 2012, date de la prise de fonction de la nouvelle présidente directrice générale, la société était dépourvue de direction des ressources humaines depuis trois mois. La gestion des instances sociales était caractérisée par des délits d'entrave. La société ne disposait d'aucun organigramme officiel. Cette désorganisation n'avait pas davantage permis la moindre avancée sur la réorganisation sociale post-fusion. Les systèmes d'information et les procédures budgétaires n'ayant pas été harmonisés, aucun suivi post-fusion de l'exécution budgétaire n'était réalisé. Enfin, la mutualisation des fonctions supports restait à construire.
Dans ce contexte de désorganisation complète, la première mission de la nouvelle direction a consisté à restaurer un climat de confiance avec les salariés et à renouer le lien avec leurs représentants élus. Le travail de pacification a conduit à une normalisation dans les relations sociales qui a permis de mener à bien le déménagement. Les nouveaux organigrammes des rédactions non fusionnées ont été mis en place en respectant les procédures légales. Une réflexion stratégique a été lancée pour chaque chaîne, lors de séminaires ouverts à l'ensemble du personnel sur une base participative et interactive. Ce projet a servi de base de négociation au présent projet de COM.
Par ailleurs, les orientations du COM ont été longuement discutées entre l'entreprise et les tutelles dans un climat de transparence et le niveau d'information et de transparence, tant à l'égard des tutelles que du conseil d'administration, est désormais jugé satisfaisant par les tutelles. La Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), tutelle principale, estime que les relations entre FMM et les autorités de l'État se sont fortement améliorées. La présentation au Parlement de ce projet de COM attendu depuis cinq ans est d'ailleurs le symbole de l'amélioration de la communication et de la transparence de la société vis-à-vis des administrations de tutelle.
Le projet qui nous est présenté porte exceptionnellement sur une période réduite à deux ans : il ne peut donc être considéré que comme un projet de transition qui doit permettre à l'entreprise de préparer l'avenir sur de nouvelles bases.
Ce COM prévoit plusieurs projets de développement. 1,2 million d'euros supplémentaires seront consacrés chaque année à l'enrichissement des grilles de programmes. Le CSA suggère d'introduire des engagements culturels et en faveur de l'accessibilité. Sur ce dernier point, je propose d'ajouter un objectif de développement du sous-titrage pour France 24 qui pourrait, dans un premier temps, porter sur un ou plusieurs journaux de la version francophone de la chaîne.
Radio France international (RFI) prévoit la mise en place d'un décrochage en bambara dès 2014, justifié notamment par les développements récents au Mali – 600 000 euros sont prévus à cette fin. Toutefois, lors de son audition par la commission des affaires étrangères le 3 décembre 2013, la présidente de FMM a indiqué que le choix de la langue était toujours en cours de définition.
Le deuxième volet du projet de COM traite de la distribution. Il témoigne d'un effort de rationalisation de la stratégie de distribution par la définition de trois types de zones : les zones de consolidation, qui sont prioritaires, les zones de développement et les zones de conquête. Compte tenu des moyens limités dont l'entreprise dispose, les projets de développement dont le financement est prévu par le plan d'affaires sont les suivants : d'une part, la consolidation de la distribution de France 24 et de la diffusion de RFI et de Monte Carlo Doualiya (MCD) dans les zones d'influence prioritaires que sont le Maghreb, l'Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient – l'entreprise indique que cette consolidation sera financée par redéploiement – ; d'autre part, le renforcement de la présence en France de France 24 à travers le projet de diffusion en Île-de-France et, si les opportunités se présentent, de RFI et de MCD. Ce projet aura un coût de 300 000 euros annuels.
Le développement de la haute définition et des nouveaux médias est un autre enjeu majeur. Pour faire face à la généralisation de la haute définition, le plan d'affaires prévoit l'autofinancement par FMM de la migration en haute définition des outils de production de France 24, ce qui représente un investissement de l'ordre de 11 millions d'euros. En revanche, le projet de COM ne prévoit pas le budget nécessaire à la diffusion en haute définition, qui sera un enjeu majeur du prochain COM.
La précédente direction n'a pas accordé aux nouveaux médias toute l'attention qui leur est due. Il s'ensuit que les sites internet de RFI et de France 24 ont vieilli. Leur modernisation constitue une priorité. 0,7 million d'euros supplémentaires par an sont consacrés aux nouveaux médias par le plan d'affaires.
L'harmonisation sociale sera le principal enjeu social de l'année 2014. Elle devra permettre de rechercher un équilibre entre les deux modes d'organisation en place : d'une part, un système hérité des anciennes conventions collectives applicables au secteur de l'audiovisuel public – RFI et MCD – et, d'autre part, une couverture conventionnelle minimale et plus souple à France 24. Le financement de l'harmonisation sociale devra tenir dans une enveloppe limitée.
FMM prévoit par ailleurs de réduire de 18 % le recours aux personnels non permanents sur la période du COM. Il s'agit d'un effort très significatif mais nécessaire et qui devra être poursuivi dans les COM suivants.
Le COM prévoit enfin un volet relatif aux coopérations avec les autres opérateurs participant à la politique audiovisuelle extérieure de la France – TV5 Monde, Radio France, France Télévisions, Arte, l'Agence France Presse (AFP), l'Institut national de l'audiovisuel (INA), Canal France International (CFI), etc. Les engagements figurant dans le COM à cet égard sont peu formalisés, car ils devront être prolongés par la signature de conventions bilatérales.
Le plan d'affaires proposé est réaliste en dépit des incertitudes qui pèsent sur les recettes publicitaires. L'accompagnement de l'État, qui mobilisera 4,4 millions d'euros supplémentaires sur 2014 et 2015, est très significatif dans un contexte budgétaire général contraint.
FMM compte pour sa part poursuivre ses efforts en matière d'économies et de redéploiements afin de dégager 4,2 millions d'euros de ressources annuelles supplémentaires. Je note que plusieurs actions importantes ont commencé à être mises en oeuvre afin d'améliorer la transparence et les procédures de gestion.
Le plan d'affaires table sur une progression des ressources propres de 8,2 millions d'euros en 2013 à 10,4 millions d'euros en 2015, soit une augmentation de 27,2 %. Celle-ci paraît acceptable en dépit des contre-performances de France Télévisions Publicité, régie de France 24, sur laquelle je reviendrai.
Ce COM étant un document de transition, il doit être l'occasion de lancer plusieurs chantiers de réflexion pour la suite. Je souhaite tout d'abord que l'opportunité d'une diffusion plus large de FMM sur le territoire national puisse faire l'objet d'un débat au Parlement avant d'être confirmée ou infirmée par le prochain projet de COM.
Cet objectif, qui constitue un nouveau projet stratégique, mérite réflexion, s'agissant d'un service public qui est avant tout un outil de la diplomatie d'influence de notre pays et dont la finalité première n'est pas de s'adresser au public français.
Lors de son audition par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2013, Marie-Christine Saragosse a clairement affirmé sa volonté de développer largement la diffusion des chaînes de FMM sur le territoire national : France 24 sur la TNT mais aussi RFI et MCD qui disposent d'une fréquence temporaire à Marseille. « Les radios laïques en langue arabe ne sont pas si nombreuses, » a indiqué Mme Saragosse, « et il n'existe pas d'autre chaîne de télévision non confessionnelle en langue arabe que France 24. Il est donc dommage que la diffusion de nos médias soit réservée à l'étranger. Nous espérons jouer de la sorte un rôle utile en France. »
Les objectifs de ce projet méritent d'être clarifiés.
L'argument selon lequel une diffusion sur la TNT en Île-de-France permettrait d'accroître la notoriété à l'étranger de France 24 me paraît recevable. Plusieurs interlocuteurs auditionnés ont reconnu que l'existence d'une base arrière nationale forte est susceptible de renforcer la notoriété hors de nos frontières. L'entreprise doit notamment pouvoir utiliser l'argument de sa diffusion sur la TNT nationale pour négocier l'attribution de fréquences à l'étranger.
Si l'objectif est bien celui-ci, j'estime que la diffusion de France 24 ne peut à ce stade que se limiter au français et à la région parisienne – par parallélisme avec la diffusion actuelle de RFI – pour un coût qui ne devrait pas excéder 300 000 euros annuels pour une diffusion entre 22 heures et 15 heures.
En revanche, aller au-delà présente des risques stratégiques, éditoriaux, politiques et budgétaires importants qu'il convient d'évaluer précisément. Le rapport de l'IGF d'octobre 2011 avait clairement exclu l'option d'une diffusion de France 24 sur la TNT. Quant au rapport de MM. Kert et Mathus, il avait qualifié le projet de diffusion de France 24 sur la TNT nationale de « contresens stratégique » et proposé, dans la même logique, que France 24 ne soit plus diffusée sur la TNT outre-mer.
S'adresser à un public étranger dans un objectif d'influence et de rayonnement et s'adresser au public français constituent deux approches différentes. C'est d'ailleurs ce qui a justifié la création d'un pôle dédié à l'audiovisuel extérieur par opposition à l'audiovisuel tourné vers le public français.
L'expérience montre en effet que, lorsqu'une même entité est tournée à la fois vers l'international et le national, la dimension nationale a tendance à l'emporter sur la dimension internationale. C'est pourquoi une diffusion plus large de FMM en France présente un véritable risque éditorial.
L'élargissement de la diffusion de France 24 à l'ensemble du territoire national comporte également un risque budgétaire dans un contexte de rareté des ressources : les coûts de diffusion d'une chaîne nationale sur la TNT sont de l'ordre de 8 millions d'euros par an, autant de moyens qui ne seraient pas consacrés au développement à l'étranger, mission première de l'entreprise, ou au développement de la haute définition, priorité pour le prochain COM.
Si l'objectif est d'offrir une alternative non confessionnelle aux autres chaînes d'information en langue arabe, il convient de rappeler que les programmes de France 24 dans leurs trois langues de diffusion sont disponibles sur le câble, le satellite, l'ADSL et internet. Quant aux radios laïques en langue arabe, il en existe déjà sur notre territoire.
Il convient également d'avoir à l'esprit que la diffusion d'un programme de service public en langue arabe sur la TNT pourrait susciter des revendications de diffusion de programmes de service public dans d'autres langues parlées sur notre territoire, qu'il s'agisse de langues étrangères ou régionales.
Si l'objectif est d'ouvrir nos concitoyens à l'information internationale, je pense qu'il s'agit là du rôle de France Télévisions, éventuellement grâce à des synergies accrues avec FMM.
Enfin, si l'objectif est de proposer à nos concitoyens une chaîne d'information continue de service public à forte dimension internationale, projet dont la pertinence est réelle, il conviendrait d'en confier la mise en place à France Télévisions dans le cadre d'une synergie avec France 24 et d'une éventuelle redéfinition du bouquet de France Télévisions.
La place des Français de l'étranger dans la stratégie de FMM mérite également débat. Le projet de COM fait figurer les Français de l'étranger parmi les publics cibles de FMM. Ce choix peut paraître discutable. S'agissant des quelque 2 millions à 2,5 millions de nos compatriotes qui vivent à l'étranger et des voyageurs français, le rapport Cluzel soulignait que « leurs besoins ne sont pas nécessairement mieux servis par des chaînes spécifiques, dont le public prioritaire est en principe étranger, que par la généralisation et la facilitation de leur accès, grâce au web, à tous les médias français, presse, radio et télévision ».
Je pense que le ciblage des Français de l'étranger peut, comme la diffusion de FMM en France, conduire à un brouillage de la ligne éditoriale. Il peut également conduire à des choix de distribution en contradiction avec les priorités stratégiques.
Deuxième chantier : en dépit d'un effort louable de rationalisation des priorités géographiques, la contrainte budgétaire doit conduire à définir plus finement les priorités géographiques et les choix technologiques en vue du prochain COM.
Le développement de la diffusion en Europe mérite par exemple une réflexion approfondie. Il ne s'agit pas d'une priorité diplomatique, mais c'est une zone considérée comme stratégique pour le développement des ressources propres. Or l'évolution des ressources propres dans la période récente montre que cette stratégie se heurte à d'importantes limites. En tout état de cause, elle doit être évaluée.
Une réflexion plus générale s'impose sur les options technologiques dans un univers médiatique en mutation constante.
En ce qui concerne l'organisation du multimédia, les rédactions « nouveaux médias » de FMM ne sont pas regroupées dans un pôle commun mais sont intégrées aux rédactions de chaque antenne, alors même que le rapport de M. Cluzel préconisait la création d'une direction commune du multimédia. Si cette option n'a pas été retenue par la direction pour le moment, elle doit constituer un chantier de réflexion dans le cadre de l'élaboration du prochain COM.
Le rapport Cluzel préconise également des rapprochements avec les autres sociétés de l'audiovisuel public en matière de développement des nouveaux médias. Il serait souhaitable que de tels rapprochements dans le domaine du multimédia soient mis à l'étude.
Enfin, une réflexion doit être lancée sur la commercialisation des espaces publicitaires de France 24. Il s'avère que la contribution de France Télévisions Publicité (FTP) à la commercialisation des espaces publicitaires de France 24 n'est pas satisfaisante, de sorte que FMM travaille aujourd'hui sur un scénario de ré-internalisation de la régie. Cette solution présenterait certains avantages, mais également des coûts majeurs. C'est pourquoi, dans la perspective du prochain COM, il convient d'évaluer les solutions à envisager pour redynamiser les ressources propres de FMM.
Je salue le travail très important réalisé par la nouvelle direction pour remettre en ordre les trois entités de FMM et insuffler, de nouveau, un dynamisme positif. Je salue également l'engagement fort de l'ensemble des personnels qui n'hésitent pas à prendre des risques pour promouvoir une information libre et indépendante, comme l'ont montré les deux salariés assassinés au Mali le 4 novembre dernier et dont je tiens à saluer la mémoire.
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, j'émets un avis favorable au présent projet de COM.