Intervention de Manuel Valls

Réunion du 17 décembre 2013 à 16h15
Commission des affaires européennes

Manuel Valls, Ministre de l'Intérieur :

Sur la loi de programmation militaire, Jean-Yves Le Drian a eu l'occasion à plusieurs reprises d'expliquer la légitimité des dispositions prévues par l'article 13 et les garanties apportées en matière de protection des libertés. Notre objectif est l'efficacité opérationnel de nos services de renseignement dans le respect de nos droits et de nos libertés. Nous devons travailler d'une manière générale à renforcer le contrôle de nos services de renseignements et à débattre autour de nos services de renseignement.

Il y a aujourd'hui plus de 200 ressortissants français en Syrie, 70 ou 80 qui sont en transit, une grande centaine qui cherchent à s'y rendre et une quinzaine qui y sont décédés. Ces phénomènes concernent tous les pays de l'Union européenne (Belgique, Danemark, la Grande Bretagne, l'Espagne et l'Italie dans une moindre mesure). Ce sont des jeunes, désocialisés, avec un passé de délinquance, convertis pour la plupart, qui veulent combattre dans les rangs djihadistes. En deux ans, ils sont déjà plus nombreux qu'ils ne l'ont été en Afghanistan. Cette situation d'une ampleur inégalée fait craindre le retour de ces personnes, et nécessite des initiatives et des échanges de très haut niveau entre les services de renseignement. À Bruxelles, la veille du Conseil Justice et Affaires intérieures, nous avons rencontré des représentants australiens et américains à ce sujet. Des initiatives doivent être prises : la France, aujourd'hui, peut punir les actes terroristes qui ont eu lieu en dehors de son territoire. Est-ce que l'intention d'aller combattre pourrait aussi faire l'objet de poursuites ? Il pourrait être souhaitable d'harmoniser le droit européen en la matière. Depuis bientôt deux ans, une proposition est sur la table à propos du PNR européen. J'ai pris l'initiative d'écrire au président de la Commission LIBE du Parlement européen à ce sujet, sans réponse pour le moment.

Christophe Caresche a bien posé le débat sur l'espace de Schengen.

C'est précisément parce que nous sommes attachés à la libre-circulation, l'un des piliers de l'Union européenne, que nous devons répondre au risque de remise en cause que fait peser sur elle une surveillance défaillante de nos frontières extérieures. Or, cette surveillance est aussi de la responsabilité des États, en particulier ceux qui font face aux afflux de migrants illégaux. Je pense évidemment à l'Italie, à la Bulgarie et la Roumanie, dont les destins sont liés en raison de l'importance de leur frontière commune, et même à la Grèce, qui a beaucoup progressé.

Une surveillance efficace suppose en parallèle une étroite coopération avec les pays tiers d'où partent ces populations qui fuient, bien naturellement d'ailleurs, la misère. Il ne faut en effet pas oublier à la fois combien ces migrations posent aussi des difficultés aux pays de l'autre côté des frontières de l'Union et combien une maitrise des flux doit efficacement reposer sur une action de qualité de la part de tous les États traversés. Le Maroc consent ainsi, par exemple, un important effort pour juguler les migrations illégales, dont les succès, certes perfectibles, expliquent sans doute que ces dernières empruntent aujourd'hui désormais majoritairement d'autres voies, via la Libye ou la Tunisie notamment.

C'est pourquoi toute solution partielle qui ne solliciterait pas l'ensemble des leviers disponibles créerait immanquablement un immense appel d'air.

Et c'est pourquoi il faut accepter de débattre, sans faux semblants, des moyens d'améliorer sans cesse l'organisation et la gouvernance de notre espace Schengen.

S'agissant de la question voisine des réfugiés, je vous le dis sans ambiguïté. J'ai une obsession aujourd'hui, c'est de sauver le droit d'asile. Or il est en danger mortel. Vous ne pouvez pas avoir 70 000 demandeurs d'asile en France, 100 000 en Allemagne, dont 80 % seront déboutés, et ne pas se poser la question de savoir si l'on utilise le droit d'asile à des fins de migrations économiques.

Il est indispensable que l'Europe trace un cadre adapté, dans lequel nous pourrons intégrer notre réforme qui devra reposer sur des délais d'instruction des demandes beaucoup plus courts, sur une organisation beaucoup plus directive de l'accueil des demandeurs d'asile, et sans doute, au terme de larges consultations et au regard des nombreux et excellents travaux parlementaires effectués sur cette question, sur une organisation des acteurs mieux déconcentrés et décentralisés. La question centrale demeure évidemment la suivante, à laquelle aucun Gouvernement n'a jusqu'ici trouvé de réponse satisfaisante : que fait-on des personnes déboutés de leur demande ?

À cet égard d'ailleurs, je ne peux que souscrire à l'idée d'une liste commune européenne des pays sûrs et des pays qui ne le sont pas. Et je souhaite bien sûr que cette liste réponde à des critères incontestables, et stables, évitant par exemple qu'un pays comme l'Arménie ait pu changer chaque année de catégorie. Et je souhaite par ailleurs que nous nous entendions sur des critères réalistes. L'Albanie et le Kosovo doivent ainsi être reconnus comme des pays sûrs. Une première approche efficace serait que nous harmonisions nos positions au moins dans un cadre bilatéral, en particulier avec l'Allemagne.

S'agissant de la Turquie, le débat est d'une autre nature, et s'inscrit sur un chemin au long cours. Se posent en effet les questions de la réadmission, de l'asile, et la libéralisation des visas, qui n'interviendra que si la feuille de route est respectée, ce qui ne sera bien évidemment pas facile.

La vocation des pays des Balkans, quant à eux, à adhérer ne peut être contestée. Il suffit d'observer n'importe quelle carte d'Europe. Mais, là encore, du chemin reste à accomplir, et griller les étapes serait contre-productif.

La question des Roms nous interpelle tous. Les pays où résident la majorité des populations Roms aujourd'hui doivent être aidés, et les États sont prêts à assumer leur responsabilité, je le sais. La crédibilité de l'Union se joue là-dessus aussi, elle qui ne peut se contenter d'admonester les pays d'accueil pour leurs prétendues difficultés à intégrer rapidement des populations singulièrement fragiles alors même que ces États, comme le nôtre, consentent de réels et importants efforts.

La présidente Danielle Auroi. Merci, monsieur le Ministre, des informations très précises que vous nous avez données aujourd'hui. Nous aurons certainement à vous auditionner à nouveau, le moment venu, sur les sujets importants et sensibles que vous avons évoqués.

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