Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, mes chers collègues, j’aime l’idée qu’« humus » et « humilité » aient la même racine. Je souhaite donc commencer en rendant un hommage à nos pères, qui furent pionniers ; pionniers du modèle coopératif et mutualiste en France pour l’agriculture, pionniers des lycées et de l’enseignement agricole qui, encore aujourd’hui, fait école ; pionniers des lois sur le fermage et les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, qui ont été une véritable révolution dans les rapports du capital et du travail ; pionniers également dans la réussite de cette formidable épopée technique de l’après-guerre ; pionniers, enfin, sont ceux qui ont osé, à contre-courant, innover pour aller vers de nouveaux modèles de développement. Nous leur devons un profond respect et devons puiser dans leur modèle la force de réformes radicales, comme le furent les lois Pisani en leur temps.
Nous vivons des temps nouveaux, porteurs de promesses et de menaces. Au nombre des promesses figurent le progrès d’une conscience mondiale universelle du rapport à la nature conçue comme un bien commun et d’une culture de la qualité, se substituant à un consumérisme qui donne des signes de fatigue. Mais il y a également des menaces : dans le monde agricole, à la figure traditionnelle du cumulard s’est substituée la capacité délétère de certaines sociétés financières. Au cycle des innovations multiples et aux coopératives, se sont substitués potentiellement les monopoles de la privatisation du vivant. Sur les échanges régulés et les équilibres pèsent des risques importants liés à des cycles de marché qui doivent autant au risque spéculatif et aux menaces spéculatives qu’au chaos climatique.
Face à ces menaces, la bonne réponse n’est pas un compromis tiède entre des contraires : régulation et liberté d’entreprendre, productivité et écologie, exportation et qualité. Il faut, au contraire, affirmer, au nom même de la modernité, que la capacité d’entreprendre pour tous passe par des régulations du marché et du foncier. Oui, au nom même de la modernité, nous devons affirmer que la véritable compétitivité passe par la redécouverte de l’agronomie. Oui, nous devons rappeler – et le groupe socialiste est fier d’y avoir contribué – qu’un sixième de l’humanité souffre de la faim tandis qu’un autre sixième souffre d’obésité et que, comme l’a indiqué il y a vingt ans le groupe de Seillac, nous aurons besoin, pour nourrir le monde, de toutes les agricultures du monde.
Ce projet de loi qui ouvre des voies nouvelles est novateur, défriche : il permet de renouveler les générations ; il est, à travers le groupement d’intérêt économique et environnemental, le GIEE, un laboratoire grandeur nature pour l’agroécologie ; il ouvre des perspectives de rééquilibrages commerciaux dans les filières interprofessionnelles ; il choisit de privilégier le biocontrôle et fixe certains interdits pour la phytopharmacie ; il confie des missions nouvelles à l’enseignement, à la recherche et au développement ; il apporte des valeurs ajoutées multiples à la forêt et des éléments de protection et de partition des terres.
À cet égard, j’ai relu les dernières lignes de La Terre , d’Émile Zola : « Rien ne restait de la ferme [de la Borderie et de ses inventions nouvelles]. Mais, qu’importait ! Les murs pouvaient brûler, on ne brûlerait pas la terre. Toujours la terre, la nourrice, serait là, qui nourrirait ceux qui l’ensemenceraient. Elle avait l’espace et le temps. » La nécessité de la maîtriser, de la contrôler, de la partager au bénéfice du plus grand nombre est la mère de toute politique agricole, sous toutes les latitudes.
Chaque pas que nous ferons pour revenir sur le laisser-faire de 2006 est un pas vers l’installation et l’agroécologie. Pour cultiver les champs du futur, il ne s’agit pas tant d’être nostalgique d’un âge d’or ou d’un modèle héroïque que de retrouver l’esprit qui l’a fondé et qui pourrait en animer d’autres dans les temps présents. Saisissons avec force le mouvement enclenché par les premiers éléments transformateurs de la PAC et de ce projet de loi d’avenir.
La France a de formidables atouts : ses grands espaces, la diversité de ses terroirs et de ses savoir-faire, le génie de la recherche et la sagesse paysanne. Dans la phase de transition actuelle, nous savons que nous avons besoin d’une boîte à outils, dont le plus précieux est la boussole. Or celle de notre famille politique, c’est la justice. Nous sommes heureux d’avoir fixé la justice et l’emploi comme objectifs de cette reconquête.
En effet, la saignée démographique de l’après-guerre était la conséquence d’une mutation globale. Sa poursuite est un non-sens, au regard des trois millions de chômeurs que compte le pays et du défi du XXIe siècle : nourrir neuf milliards d’hommes en 2050 tout en divisant par deux l’usage des pesticides.
L’agroécologie peut résoudre cette équation a priori impossible, mais elle aura besoin pour cela tout autant du génie des chercheurs que de celui des paysans. Elle doit être une contribution à une vie rurale qui ne peut se résoudre à choisir entre le désert ou le résidentiel périphérique. Nous voulons donc donner un avenir à l’agriculture et à nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)