Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 7 janvier 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, nous examinons ce projet de loi dans un contexte préoccupant pour de nombreux exploitants et salariés agricoles. Qu’il s’agisse de production, de surfaces cultivées, du nombre d’agriculteurs, de salariés ou d’exploitations, tous les chiffres démontrent un déclin inquiétant.

L’agriculture et l’agroalimentaire sont des atouts pour la France, mais les transformations de nos sociétés liées aux échanges internationaux depuis les vingt dernières années démontrent que les emplois dans ces secteurs sont, hélas, aussi délocalisables. Il ne faut pas dénier l’effritement continu du secteur agricole français : au cours des dix dernières années, la France a perdu 26 % de ses exploitations.

Ce projet de loi doit être l’occasion de soutenir ceux qui subissent de plein fouet la concurrence déloyale des producteurs étrangers, comme les secteurs des fruits et légumes, de l’élevage et du lait.

Ainsi, je peux témoigner de la souffrance des agriculteurs du sud de l’Aisne et de la Thiérache, que je connais bien.

Les conséquences économiques et sociales de la crise agricole actuelle sont terribles pour l’emploi, pour l’aménagement et la revitalisation des territoires ruraux, pour l’autonomie et la sécurité alimentaires, pour notre balance commerciale et pour l’image de notre pays dans le monde.

Dans le sud de l’Aisne, les évolutions qu’engendrera la nouvelle PAC entraîneront des pertes financières importantes pour les exploitations de céréales. Avec les nouvelles règles de répartition, le département de l’Aisne perdra au total plus de 50 millions d’euros d’aides, alors qu’il est déjà largement défavorisé dans certaines zones où des sols peu fertiles ne sont compensés par rien. Permettez-moi de vous dire que nous avons la douloureuse impression de subir la double peine !

Il ne s’agit pas de remettre en cause les orientations globales de la nouvelle PAC, mais de réfléchir à une réorientation indispensable vers l’élevage. Mais nous devons absolument veiller à calculer de façon plus équitable les règles de répartition pour les zones qui connaissent déjà des handicaps naturels liés à la nature des sols.

Il est évidemment primordial, comme l’a rappelé Joël Giraud, de préserver les zones à handicaps naturels comme les zones de montagne, en leur faisant bénéficier de mesures compensatoires pour surmonter leurs difficultés géographiques. Mais il est aussi primordial de ne pas fragiliser les zones intermédiaires rurales qui connaissent des difficultés pédologiques et géologiques et dont l’économie est dominée par l’agriculture et l’agroalimentaire.

Si, aujourd’hui, certaines filières se portent mieux que d’autres, ce qui justifie une nouvelle répartition des aides, évitons l’écueil consistant à opposer les filières entre elles, en particulier lorsqu’elles sont présentes sur le même territoire. Par exemple, l’avenir de l’élevage bovin revêt un caractère stratégique pour le sud de l’Aisne et nos éleveurs sont confrontés à de nombreuses difficultés. Leurs revenus, surtout ceux de l’élevage allaitant, sont parmi les plus bas du secteur agricole. Quant au cheptel laitier, il est en incessante diminution.

D’autres difficultés tiennent à la nécessité d’adapter les bâtiments d’élevage, ce qui entraîne de nouveaux investissements, mais aussi à l’alimentation animale qui se heurte à une insuffisante production française de protéagineux, qui doivent être importés.

Je reste convaincu que, pour éviter la déprise de l’élevage, voire sa disparition dans des zones comme le sud de l’Aisne, il est absolument indispensable que les handicaps naturels liés à la nature du sol soient reconnus et compensés. Dans ce type de zones où beaucoup de terres sont mal adaptées à la mécanisation des cultures, peu fertiles, pentues, humides, caillouteuses et avec une végétation que seuls les ruminants peuvent digérer, des formes de compensations liées à ce handicap naturel doivent pouvoir être imaginées au même titre que pour les zones de montagne. C’est la seule méthode à suivre pour redonner de l’espoir à nos paysans, qui en ont aujourd’hui bien besoin.

Ce projet de loi d’avenir de l’agriculture se fixe pour objectif de redonner aux agriculteurs des perspectives et des raisons d’être fiers de la qualité de la production française. Oui, l’agriculture est un secteur stratégique pour notre pays et il serait suicidaire de ne pas le soutenir de toutes nos forces.

Le titre Ier du projet de loi nous invite à concilier performance économique et environnementale des filières agricoles et agroalimentaires. Nous sommes presque tous ici favorables à une agriculture durable visant un équilibre raisonnable entre performance économique, sociale et environnementale. Mais cette approche ne doit pas se faire au détriment de la rentabilité économique de base et de la dynamique d’emplois générés actuellement par le secteur agricole et agroalimentaire. Surtout, ces réflexions ne doivent pas faire oublier que l’agriculture doit maintenir les principes d’une activité durable, c’est-à-dire qui procure un revenu décent pour faire vivre les agriculteurs sans les soumettre à des contraintes excessives. À ce propos, je tiens à saluer le fait que le texte proposé soit axé sur l’encouragement et l’incitation et non plus uniquement sur la contrainte. Cette orientation est fortement soutenue par le groupe RRDP.

Le projet de loi contient globalement de bonnes mesures, des mesures attendues depuis longtemps par le monde agricole. L’outil du GIEE – le groupement d’intérêt économique et environnemental – répond à des besoins identifiés. La mobilisation des moyens de l’État pour renforcer la compétitivité des filières grâce à une contractualisation adaptée et à la rénovation du contrôle des structures, s’inscrira dans un schéma régional et favorisera l’emploi et l’investissement.

Nous devons aussi veiller à ce que le projet de loi respecte les structures existantes qui ont fait leurs preuves ; je pense à nos coopératives.

De nombreux amendements, issus de tous les bancs de notre hémicycle, ont été déposés, visant à la suppression des alinéas 11 et 12 de l’article 6. Je les soutiendrai, car, dans ma circonscription, les coopératives agricoles sont nombreuses et c’est un modèle qui fonctionne. Je ne peux m’empêcher de penser à la COVAMA, près de Château-Thierry – où nous vous invitons à venir, monsieur le ministre. Aussi, ne confondons pas tout !

Autre mesure qui mérite d’être saluée : l’encadrement du recours aux engrais et aux produits phytosanitaires. À l’heure où les problèmes liés à la santé publique ne cessent de défrayer la chronique, l’encadrement et la réglementation des engrais et des produits phytosanitaires sont indispensables. Car l’agriculture, c’est la vie. Et je crois pouvoir dire qu’en ce domaine, le vignoble champenois a montré l’exemple depuis longtemps en diminuant l’utilisation de ces produits d’une façon considérable. En suivant cet exemple, nous devons faire évoluer nos filières agricoles vers des filières d’excellence économique et environnementale.

Cet engagement vers une agriculture durable est une préoccupation assez récente de notre société, mais elle existe depuis longtemps chez l’immense majorité de nos paysans. Des efforts considérables ont été faits et les mauvaises pratiques ont globalement disparu. Dans l’élevage, les fruits et légumes, les grandes cultures, le maraîchage ou la viticulture, nos agriculteurs sont résolument engagés vers des démarches plus respectueuses de l’environnement.

Cependant, une telle transformation de notre mode de production ne se fera pas pleinement sans un minimum de bon sens. C’est à l’échelle de l’Union européenne que la réglementation doit être déterminée et appliquée. Ne désespérons pas nos agriculteurs dépourvus de solutions face aux maladies orphelines, impuissants à soigner leurs cultures et constatant jour après jour que la maladie détruit leurs récoltes. Par ailleurs, n’oublions pas que nous mangeons tous les jours les produits agricoles de nos voisins belges, italiens, espagnols ou allemands qui ont utilisé ces mêmes engrais et produits phytopharmaceutiques interdits dans notre pays. Restons raisonnables ! Nous devons aussi préserver nos paysages agricoles et para-agricoles en maintenant l’économie et l’emploi qui en découle. Le sol, le foncier, la terre, voilà l’outil de travail de référence des agriculteurs ! À cet égard, le renforcement des SAFER constitue également un pas dans la bonne direction.

Sur ce point cependant, le projet de loi demeure perfectible. Tel quel, le texte ne donne pas aux SAFER les moyens de remplir pleinement leur mission de régulateur du foncier agricole. Le groupe RRDP a donc déposé de nombreux amendements en ce sens. La plupart d’entre eux sont passés à la trappe en raison d’interprétations aussi restrictives que malheureuses de l’article 40 de notre Constitution, mais certains sont passés entre les gouttes. Ils seront défendus avec énergie et j’appelle leur adoption de mes voeux, mes chers collègues, en vue de mettre fin aux dérives liées au contournement du droit de préemption. La superficie des terres dédiées à l’agriculture en France est en chute libre. Comme vous le savez tous, environ 90 000 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année dans notre pays au profit de l’industrie, des transports, de l’habitat et des aménagements urbains et commerciaux. En fin de compte, la France perd tous les sept ans l’équivalent d’un département.

Dès lors, afin que vive la morale du Laboureur et ses enfants selon laquelle « Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins », nous devons nous mobiliser pour le maintien de nos surfaces agricoles au risque de perdre l’une de nos richesses les plus précieuses.

Enfin, comment parler d’avenir de la performance économique et environnementale de notre agriculture sans évoquer l’enseignement ? L’article 27 procède à la création de l’Institut agronomique et vétérinaire de France, établissement visant à coordonner les stratégies et les projets de formation et de recherche des établissements français d’enseignement supérieur et de recherche en matière agricole et vétérinaire. Nous formons le voeu qu’il soit efficace et fécond afin d’unifier nos ressources pédagogiques et de proposer des enseignements et des formations innovantes visant à moderniser notre agriculture.

L’enseignement agricole souffre actuellement d’un manque préjudiciable de personnel à même d’assurer une formation de qualité à nos futurs agriculteurs. Il serait bon que la création de l’IAVF serve à détecter et pallier les besoins en emplois dans l’ensemble des établissements agricoles. Permettez-moi d’exprimer un regret relatif au titre Ier du projet de loi. En dépit d’un intitulé ambitieux, il n’exploite pas assez la perspective du développement des filières des éco-matériaux et de la chimie végétale. Plusieurs acteurs majeurs du secteur déplorent par ailleurs le manque de mesures et de moyens visant à renforcer durablement la compétitivité. Afin de se maintenir sur le territoire des zones intermédiaires, certains chefs d’exploitation seront contraints d’envisager la reconversion de leur activité.

Nous devons répondre aux demandes des agriculteurs désireux de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens. En France, la lourdeur des contraintes administratives, sanitaires et environnementales est parfois exaspérante pour nos agriculteurs, d’autant plus que leurs concurrents ne les subissent pas. Loin de nous l’idée de remettre en cause l’ouverture des frontières, car nous ne trouverons pas de solution réaliste en les fermant. Cependant, les règles des échanges internationaux doivent être équitables. Il n’est pas question de subir naïvement les conséquences d’un commerce déloyal. Le commerce équitable et durable à long terme et pour tous, agricole ou non, suppose l’établissement de règles de réciprocité. Comme l’a rappelé tout à l’heure ma collègue Jeanine Dubié, nous subissons un coût du travail deux à trois fois plus élevé qu’en Allemagne, en Italie ou en Espagne.

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