Intervention de Alfred Marie-Jeanne

Séance en hémicycle du 7 janvier 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlfred Marie-Jeanne :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt semble prometteur de prime abord, c’est-à-dire à l’énoncé de ses attendus généraux. Pour autant, le sera-t-il concrètement pour la Martinique lorsqu’il sera adopté ? Le doute est permis au vu de la constante dégradation de son agriculture, tous secteurs confondus. Malgré les alarmes déclenchées, les SOS lancés et les aides accordées, la détérioration s’est tout de même poursuivie à une allure immodérée. Indéniablement, plusieurs raisons expliquent un tel déclin. Citons le manque de contrôle, le défaut de suivi, l’absence d’obligation de résultat et la multiplicité de structures parallèles captant les fonds octroyés, dont une partie est utilisée à des fins distinctes de leur destination initiale.

Par ailleurs, d’autres logiques, européennes en particulier, viennent renforcer ces regrettables effets pervers. En effet, le système lui-même ne cesse de démanteler les programmes approuvés et les dispositions existantes. Ainsi, le commissaire européen à l’agriculture en personne, M. Dacian Ciolas, a très récemment fait part de sa volonté de remettre en cause le programme d’option spécifique à l’éloignement et à l’insularité destiné aux régions ultrapériphériques. Une telle démarche déstabilisante n’est-elle pas la preuve tangible d’un éventail d’attaques stigmatisantes ? Dans le même registre, l’aide au développement endogène et l’octroi de mer demeurent des cibles sous prétexte qu’ils entraveraient la sacro-sainte liberté de circulation des marchandises. Quant au quota sucrier qui expire en 2017, la Commission européenne en décidera seule la prorogation éventuelle.

En définitive, quels que soient les moyens non négligeables mis en oeuvre, on ne rebâtit pas durablement l’avenir d’un pays sur des bases chancelantes. Rebâtir, oui, mais à partir de quoi ? À partir d’un état des lieux effectué sans complaisance par les services de l’État et dont je citerai les conclusions. En trente ans, 530 exploitations agricoles ont disparu chaque année et 543 hectares de surface agricole utile ont suivi la même pente. Depuis l’an 2000, la main-d’oeuvre permanente agricole s’est contractée de 52 %. Entre 1989 et 2010, le nombre de chefs d’exploitation et de co-exploitants est passé de 15 600 à 3400, soit une diminution drastique de 78 %. En dix ans, toujours selon les documents publiés par l’État, le nombre d’exploitations maraîchères et vivrières et d’élevages de porcins et de bovins laitiers a diminué de 90 %.

J’arrête là ce rosaire inquiétant qui démontre que le redressement souhaité ne sera pas aussi évident qu’on veut le faire accroire. Et, comme un malheur n’arrive jamais seul, le comble est arrivé. À leur tour, les bananeraies sont frappées par la cercosporiose noire. Le traitement de l’épidémie a entraîné par ricochet de multiples contaminations : sols, eaux, cultures, ressources halieutiques, et j’en passe. Même l’être humain n’est pas épargné. Entendons-nous bien, monsieur le ministre : il n’est nullement question de m’ériger ici en accusateur public. Bien au contraire, mon intention est de vous alerter objectivement sur l’état critique de l’agriculture martiniquaise.

Outre le constat, retenez les efforts réalisés par les élus, les collectivités et les socio-professionnels qui ont agi bien avant l’élaboration du projet de loi. Je peux en parler en connaissance de cause. La création de réserves foncières données en gérance à la SAFER en vue de l’installation de jeunes agriculteurs : on a fait cela ! L’aide à l’aquaculture en eau douce et en milieu marin : on a fait cela ! L’aide à l’élevage : on a fait cela ! La construction du pôle agroalimentaire régional, organisme de recherche valorisant les produits du pays : on a fait cela ! L’aide à la recherche sur la transmission des produits toxiques aux cultures vivrières, maraîchères, aux tubercules et à certains fruits : on a fait cela !

Comme vous le voyez, nous ne sommes pas à la traîne. « Nou pran douvan avan douvan pran nou », comme on dit en créole. Si le projet de loi vise à accélérer le processus enclenché, tant mieux ! Mais pour obtenir le succès escompté, encore faut-il disposer de subsides subséquents au prorata des difficultés amoncelées ! N’oublions pas que le projet de loi n’est pas un projet de loi de programmation. Par conséquent, il ne comporte aucune obligation d’engagement financier systématique.

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