Intervention de Bruno Nestor Azerot

Séance en hémicycle du 7 janvier 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Nestor Azerot :

« Les hommes qui prennent de grands risques doivent s’attendre à supporter souvent de lourdes conséquences ». Ces mots de Nelson Mandela me permettent ici de rendre un hommage préalable au leader africain qui vient de nous quitter, et je crois, monsieur le ministre, que vous accepterez de vous y joindre.

Vous l’accepterez d’autant plus qu’avec ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, vous prenez vous-même quelques risques avec les conformismes, notamment celui de revenir sur des pratiques agricoles et des habitudes culturales installées dans notre pays depuis les années 60. Il y a là un risque de déstabilisation, mais c’est sûrement une nécessité incontournable, et c’est votre mérite de vous lancer dans cette voie, quitte à vous attendre à en supporter là aussi les lourdes conséquences.

Quelles sont les nécessités de l’heure ? Il nous faut conserver une base productive forte qui assure une création de richesse économique et, désormais, assurer surtout une sécurité alimentaire à nos concitoyens, qui s’accompagne en même temps d’une réduction des impacts agricoles négatifs sur les milieux naturels. C’est la quadrature du cercle !

Ces deux nécessités impliquent de restructurer les exploitations agricoles, d’encourager l’installation des jeunes et le renouvellement des générations, de promouvoir le fermage et la coopération pour faire baisser les charges d’exploitation, de protéger les structures familiales, de renforcer aussi, par une politique de qualité et d’origine, les produits de notre agriculture.

Une agriculture qui a trop été marquée par des crises sanitaires ces dernières années. Les modes de voie changent. L’agriculture doit changer. Mais quel rôle doit-elle avoir ces prochaines années ? C’est à ce défi que vous tentez de répondre et j’approuve globalement votre démarche économique et sociétale en la matière, notamment cette idée de « pacte avec la communauté nationale visant à garantir une alimentation saine et respectueuse de l’environnement ».

J’approuve aussi l’idée de mobilisation d’un monde agricole toujours dynamique, contrairement aux idées reçues, qui s’ouvre vers la société par des coopérations, des mises en réseaux avec les acteurs des territoires et des filières intraconnectées, dans des approches de développement territorial intégré.

Je suis d’autant plus sensible à votre approche territoriale, monsieur le ministre, qu’en tant qu’homme de l’outre-mer, j’ai constaté que celle-ci a depuis longtemps structuré nos sociétés antillaises modernes, depuis la fin de l’esclavage, leur apportant son nouveau souffle libertaire.

En effet, là où nos sociétés coloniales reposaient sur la culture exclusive et servile de la canne à sucre, l’introduction volontariste par l’État, au début du vingtième siècle, d’une culture diversifiée, la banane, a permis l’émergence d’une petite paysannerie rurale à partir de 1928, ainsi que d’une classe moyenne antillaise fondamentalement pénétrée des idéaux radicaux-socialistes et humanistes. Ainsi, la banane, seule culture de diversification qui ait réussi aux Antilles depuis la révolution, et le rhum ont structuré et façonné nos territoires d’un point de vue agricole et commercial, mais aussi d’un point de vue politique et sociétal.

C’est ce qui a fait s’exclamer, dans les années 2000, la Première ministre de la Dominique, Miss Eugenia Charles, confrontée à la méconnaissance arrogante des fonctionnaires européens : « Mais ne comprenez-vous pas que la banane aux Antilles, c’est la banane des droits de l’homme ? », par opposition aux situations socialement et écologiquement indécentes connues en Amérique latine.

Je crois donc que votre démarche globale est bonne. Je suis convaincu, de même, que ces pivots que sont les filières dites traditionnelles doivent être impérativement sauvegardés si l’on ne veut pas déstructurer toutes nos sociétés en outre-mer.

Mais, hors de là, monsieur le ministre, bien sûr, de nouvelles compétitivités peuvent et doivent être recherchées : par une transmissibilité nouvelle des outils de production, une simplification des modèles de production, un renouvellement des générations, un accompagnement des productions locales, un encadrement des cultures et produits de diversification pour les doter d’une vraie dynamique, et non les saucissonner encore par des aides parcellaires, aléatoires ou personnelles.

Là encore, certes, une vision globale est nécessaire. C’est ce à quoi vous vous attelez, et j’espère que vous accepterez nos quelques amendements de précision, de conviction ou de sauvegarde, concernant nos territoires.

Quoi qu’il en soit, vous pouvez compter sur notre soutien ferme et définitif. Je ne suis pas en effet de ceux qui viendront vous parler toujours des difficultés ou des handicaps de notre agriculture ou s’attacheront à des postures pour n’évoquer que des produits témoins, symboles d’une agriculture muséale ou passéiste. Je crois au contraire que l’agriculture des outre-mer, par son dynamisme et son modernisme, est par nature une agriculture mondialisée.

Je crois plutôt, pour ma part, à une agriculture de réseaux de produits, d’innovation, de filières, de diversité, de nouvelles organisations du travail et de nouveaux modes d’investissement par des chefs d’exploitations agricoles dignes et responsables humainement ou sociétalement car ancrés dans leurs territoires. Notre agriculture doit être humaine, parce qu’équilibrée et raisonnable. Notre agriculture doit être compétitive, parce que structurée par des filières agricoles dynamiques et fortes.

Pour toutes ces raisons, pour tous ces besoins, pour toutes ces espérances, monsieur le ministre, les députés de notre groupe GDR, auxquels sont associés les députés d’outre-mer, soutiendront avec force votre projet et le voteront.

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