Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout comme mes amis Bruno Le Maire et François Sauvadet, je suis heureux que le premier texte de cette année 2014 soit ce projet de loi d’avenir de l’agriculture. Ces dernières décennies, le monde agricole a radicalement changé. L’agriculture, qui a eu un rôle essentiel dans notre économie et dans l’équilibre de nos territoires, est en danger. Les agriculteurs doivent faire face à diverses menaces : la concurrence de nouvelles puissances agricoles, notamment le Brésil et la Chine ; la volatilité des prix et des cours ; l’effondrement des revenus qui frappe toutes les exploitations, toutes les filières et toutes les familles de paysans depuis plusieurs décennies.
Pendant de longs mois, j’ai discuté de ce texte avec de nombreux maraîchers, des arboriculteurs, des éleveurs, des producteurs laitiers ou des viticulteurs de la Loire. S’il a d’abord suscité beaucoup d’espoir, force est de constater aujourd’hui que la déception est grande, monsieur le ministre. Vous dites vouloir renforcer la compétitivité des filières. Cependant, ce texte, qui ne repose sur aucune vision économique de l’agriculture, ne permettra pas à notre pays de se moderniser, d’innover, de développer son activité ni de gagner des parts de marché à l’étranger. Il ne contient aucune mesure concrète de nature à renforcer la compétitivité, alors qu’il s’agit d’un enjeu essentiel pour l’agriculture française. En outre, nous sommes loin du « choc de simplification » que vous nous promettez sans cesse. De nombreuses dispositions du texte vont compliquer considérablement le quotidien de la profession. Les agriculteurs, qui travaillent plus de soixante-dix heures par semaine, n’ont pas besoin par exemple d’une augmentation du nombre de déclarations ou d’une réforme du fonctionnement des interprofessions qui risque de bloquer la prise de décision.
D’autre part, vous voulez « repeindre l’agriculture en vert », en développant le concept d’agro-écologie et en imposant de nouvelles normes. Ce faisant, vous sous-entendez que les agriculteurs n’intègrent pas actuellement le développement durable dans leur activité. Cet a priori n’est pas conforme à la réalité et se révèle inutilement vexatoire pour nos concitoyens qui sont soucieux de protéger notre planète. Je suis tout à fait favorable au concept d’agro-écologie : j’avais d’ailleurs organisé à l’Assemblée nationale une réunion d’information avec des chercheurs de l’INRA en avril 2013. Les enjeux sont en effet considérables, monsieur le ministre : il s’agit de maintenir les rendements – il faudra nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 – tout en respectant l’environnement. Il convient donc de concilier deux notions paradoxales en apparence : la productivité et l’écologie. Or nous ne pourrons relever ce défi que par les innovations au pluriel. Il faut tenir compte des réalités du terrain et chaque exploitation présente des caractéristiques et des conditions pédoclimatiques propres.
Depuis dix-huit mois, le Gouvernement et la majorité mettent à mal le secteur agricole : suppression de la TVA compétitivité, que nous avions instaurée et qui aurait pu bénéficier à 94 % des entreprises du secteur ; baisse significative des crédits budgétaires en loi de finances, qui touche notamment des aides à l’installation, à la modernisation et au redressement des exploitations en difficulté ; hausse des charges en raison de la réforme du dispositif relatif aux travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi.
Il est par ailleurs souhaitable de renforcer le rôle des SAFER, qui seront obligatoirement informées préalablement à toute cession de biens ou de droits mobiliers ou immobiliers à vocation agricole. Je défendrai des amendements très importants pour le département de la Loire, consistant à empêcher les contournements du droit de préemption de la SAFER – ouverture du droit de préemption aux achats de parts sociales, achat séparé de nue propriété ou d’usufruit, enfin certaines donations à titre gratuit.
L’article 8 tend à répondre au risque de blocage et d’empêchement de décisions dans les interprofessions. Mais, en proposant un seuil exorbitant de 80 % des voix aux élections aux chambres d’agriculture pour l’application des règles d’extension des accords interprofessionnels, les interprofessions seront condamnées à l’inaction. La participation des syndicats minoritaires aux interprofessions ne pose plus de problème de fond, depuis que les juges ont reconnu la possibilité de fonctionner en collège et que des décisions interprofessionnelles prises à l’unanimité des collèges étaient valides, même en cas de non-unanimité au sein de l’un des collèges.
Les contraintes du droit de la concurrence et le démantèlement quasi complet de la PAC ne laissent plus que les interprofessions pour construire des outils de régulation, tant économique que sanitaire, au profit de toute la profession. La majorité issue de toutes les élections professionnelles est sans ambiguïté : il faut en prendre acte. Vous réaffirmez, monsieur le ministre, le rôle du médiateur des relations commerciales agricoles que nous avions instauré par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 pour redonner du poids aux producteurs dans leurs négociations avec la grande distribution. Cette possibilité concernait initialement les contrats passés dans les secteurs laitiers, des fruits et légumes et de la viande ovine. Le décret no 2011-2007 du 28 décembre 2011 a élargi les compétences du médiateur, en l’autorisant à émettre des avis sur toute question relative aux relations contractuelles, notamment à la demande des organisations interprofessionnelles, des organisations professionnelles, des syndicats ou des chambres consulaires.
Il est dommage que vous n’alliez pas au bout de la logique en dotant le médiateur de pouvoirs coercitifs. Pour l’instant, les parties peuvent en effet ne pas respecter ses avis et les négociations peuvent alors se succéder sans que l’on trouve d’accord.
Par ailleurs, le projet de loi veut interdire toute publicité pour les produits phytosanitaires. Cette interdiction serait contre-productive car elle supprimerait de fait les possibilités de communication en ce domaine par la presse professionnelle, le principal vecteur d’information sur les bonnes pratiques d’usage, les conditions de stockage et de manipulation de ces produits.
Je regrette, monsieur le ministre, que le projet de loi ne soit pas à la hauteur des enjeux. Lors de son examen en commission des affaires économique, des amendements très importants ont été adoptés, concernant notamment la contractualisation, la limitation en durée du recours au médiateur, la possibilité de faire appel à la procédure d’arbitrage ou encore au recours judiciaire collective. Ils doivent absolument être préservés au cours des débats à venir.