Intervention de Jean-Philippe Nilor

Séance en hémicycle du 7 janvier 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je partage totalement l’ambition de ce projet de loi qui propose de réconcilier les performances économiques et environnementales. C’est une approche audacieuse que nous avons toujours prônée, au grand dam des tenants de l’utra-libéraralisme.

Il s’inscrit clairement dans une approche systémique qui intègre la formation, l’installation, la transmission des exploitations, la production, la transformation, la distribution et la consommation.

Cette politique de rupture avec les politiques agricoles menées jusqu’à aujourd’hui est potentiellement porteuse d’avancées, particulièrement en Martinique, surtout si vous acceptez nos amendements.

Dans les régions d’outre-mer, l’agriculture porte encore les stigmates de notre histoire. Permettez-moi de citer le poète martiniquais d’origine basque, Salvat Etchart : « Lorsque l’on regarde au rétroviseur de notre histoire, on ne voit guère que sang, sueur, fouet et crachat. De notre servitude ce ne sont pas les pyramides ou Athènes qui sont nées, mais du sucre pour les tasses à café de l’Europe. »

Le système de plantation se fonde sur des monocultures d’exportation à destination d’une métropole exclusive. Les choix économiques sont faits en fonction des intérêts de la métropole et les productions locales subissent la détérioration des termes de l’échange.

C’est aussi dans cette même logique que le sucre de canne a été purement et simplement sacrifié au profit du sucre de betterave, sonnant le glas de l’économie sucrière, provoquant une explosion du chômage et un exode massif de la main d’oeuvre vers la métropole.

En réalité, ce système a organisé pour des siècles l’extrême dépendance et l’extraordinaire vulnérabilité de notre agriculture. Il est impératif et vital de s’écarter de ce modèle qui scelle le destin de notre agriculture, la sacrifiant séculairement aux monocultures pour le marché européen et condamnant irrémédiablement nos populations à la dépendance alimentaire.

Au moment où la Martinique aborde un tournant décisif de son histoire institutionnelle, il est crucial de mettre en oeuvre une stratégie de développement se fondant sur des filières structurées et organisées.

Il est capital de sortir progressivement de cette agriculture géophage, contrôlée par une poignée de possédants influents et à la recherche exclusive du profit. Nous devons promouvoir une agriculture moderne, humanisée, tirant les enseignements des scandales sanitaires comme celui du chlordécone, responsable de malformations génétiques chez les nouveaux nés et d’un foisonnement de cancers qui déciment les populations, notamment les ouvriers agricoles actifs et retraités, ceux-là mêmes qui ont des retraites indignes et qui ne bénéficient pas de la mutuelle sociale agricole.

Aujourd’hui, la terre est polluée, l’air est pollué, nos rivières sont polluées, la mer est polluée, la biodiversité est menacée. Les zones d’interdiction de pêche se multiplient, provoquant un amoindrissement de la ressource halieutique et précarisant davantage des marins pêcheurs déjà en grande difficulté du fait de leurs faibles revenus et de leurs retraites insignifiantes.

Ce projet entend valoriser une agriculture de proximité qui donne des garanties de traçabilité et de sécurité alimentaire et sanitaire, soutenir la transmission d’exploitations agricoles et donner les moyens aux jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer. Qui peut s’opposer à cela ? Pour ma part, j’adhère puissamment à un vrai changement de paradigme, car je crois profondément à l’émergence d’une agriculture nourricière, raisonnée et respectueuse de l’environnement et des hommes. Cette autre agriculture est possible en Martinique, notre potentiel est énorme quoique largement méconnu et inexploité.

Avec une véritable volonté politique nous pouvons répartir plus équitablement les aides publiques aux producteurs ; sur 3 000 exploitations seulement 700, soit 22 %, en bénéficient. Nous pouvons susciter des vocations grâce à la valorisation de métiers de haute technicité, avec une offre de formation étoffée, en adéquation avec les niches émergentes. Nous pouvons accorder des moyens à la recherche et au développement pour impulser l’innovation et amplifier la coopération, notamment à travers des groupements d’intérêt scientifique, avec les pays du bassin caribéen, pour développer des vitro-plants d’espèces résistantes aux bioagresseurs et réduire le recours aux pesticides. Nous pouvons favoriser les productions à forte valeur ajoutée – plantes aromatiques, médicinales, café et cacao – et promouvoir les activités de transformation et de conservation. Nous pouvons mettre à profit les connaissances et le savoir-faire acquis de longue date dans la tradition des jardins créoles. Nous pouvons, enfin, organiser les filières, à l’instar de la filière banane qui a su structurer une organisation professionnelle exemplaire, qui a permis aux acteurs de dépasser leurs antagonismes, de parler d’une même voix et de gagner en crédibilité et en pouvoir.

Oui, nous pouvons susciter une agriculture d’excellence à condition d’avoir conscience de nos potentialités, de définir une vision claire et prospective, mais surtout à condition de ne pas se contenter de discourir, à condition d’agir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion